29 août, 2006

JUSTICE SANS FRONTIÈRES

JUSTICE SANS FRONTIÈRES

Olivier Bras
Le juge Garzón entre les œufs et les honneurs
Huit ans après, rien ne semble avoir bougé. Les déclarations de certains parlementaires chiliens de droite restent toujours aussi véhémentes à l'égard du juge espagnol Baltasar Garzón. En octobre 1998, l'impudent avait signé un mandat d'arrêt à l'encontre de l'ex-dictateur chilien Augusto Pinochet, qui se remettait alors d'une opération chirurgicale dans une clinique londonienne. La manœuvre avait porté ses fruits et le dictateur à la retraite était resté prisonnier de la police britannique pendant cinq cent trois jours. Une année et demie pendant lequel la justice chilienne a considérablement avancé sur les différents dossiers de violations des droits de l'homme dans lesquels était impliqué Augusto Pinochet.
Olivier Bras
En apprenant l'arrestation de Pinochet le 16 octobre 1998, ses partisans avaient réagi en vitupérant ce juge ibère qui venait fourrer son nez dans les affaires chiliennes. L'Espagne n'avait qu'à se pencher sur sa transition démocratique avant de vouloir faire le ménage ailleurs ! Pour qui se prenait ce magistrat espagnol dont le nom rime tellement bien avec certaines insultes locales ! Pendant des mois, les plus fervents admirateurs ont ressassé leur haine et rêvé de pouvoir lui exprimer un jour tout leur mépris. Oui mais voilà, ce lâche ne se montrerait jamais et n'aurait jamais le courage de fouler le sol chilien.

Baltasar Garzón n'avait rien d'un homme inquiet, samedi 26 août 2006, lors de sa sortie de l'aéroport de Santiago. Il avait même plutôt l'air serein et ravi de pouvoir revenir sur cette longue épopée judiciaire. Et il s'est contenté de sourire en apprenant qu'une sénatrice chilienne de droite, Evelyn Matthei, avait promis de lui jeter des œufs lors de son séjour au Chili. "Mon seul problème sera de nettoyer un peu mon costume. Je me moque qu'on me lance des œufs, cela ne changera pas mes plans", a prévenu le magistrat, venu notamment au Chili pour recevoir le titre de docteur honoris causa de l'Universidad central et de l'Universidad Arcis, deux universités de Santiago.


Ces deux établissements d'enseignement supérieur n'ont pas oublié d'associer un autre protagoniste essentiel de l'affaire Pinochet, le procureur espagnol Carlos Castresana, qui avait lancé les poursuites en Espagne contre Augusto Pinochet en 1996 en déposant une plainte auprès de Baltasar Garzón au nom de l'Union des procureurs progressistes (UPF). Un souci qui s'explique notamment par la présence à la tête du département de droit de l'Universidad Central d'une personnalité qui connaît bien le rôle joué par ces deux hommes : Juan Guzmán, l'ancien juge chilien qui s'est efforcé pendant plus de sept ans d'obtenir le procès de Pinochet au Chili.

"Sans eux, on aurait jamais connu une telle avancée dans le domaine de la juridiction pénale internationale", a confié Juan Guzmán au quotidien chilien La Nación. "Si Castrasena n'avait pas cherché, à partir de 1996, une manière de qualifier les crimes de torture, d'enlèvement et de disparition forcée comme crimes contre l'humanité, l'histoire aurait été différente. En qualifiant ces délits de crimes contre l'humanité, il a permis de lancer les procédures contre des agents de l'Etat chilien et argentin qui ont ensuite été instruites par Garzón. Tous les deux ont été essentiels."

De fait, ils ont joué un rôle d'accélérateur au Chili, un pays dans lequel des plaintes avaient certes déjà été déposées contre Pinochet, mais qui semblaient condamnées à être classées sans suite. L'ancien dictateur a finalement été poursuivi. Et, malgré la lenteur des procédures engagées et les nombreux obstacles auxquels elles ne cessent de se heurter – notamment l'état de santé de l'accusé, âgé de 90 ans, et sa prétendue sénilité –, le juge Garzón ne perd pas l'espoir de voir l'ancien dictateur chilien être jugé et condamné dans son pays.



Courrier international - 29 août 2006