24 février, 2007

200.000 enfants vivent dans des situations de vulnérabilité

Plus de 200.000 enfants de moins de 6ans qui vivent dans des situations de vulnérabilité et de risque socialsont l’objet de la Campagne de Fraternité qui...
le jeudi 22 février 2007

Avec le slogan "Quand ce sera notre tour”, la Campagne de Fraternité 2007 a été lancé au Chili. Lors de la conférence de presse qui a été tenue par Mgr Cristian Contreras Villaroel, évêque auxiliaire de Santiago, et par Roberto Urbina, Coordinateur général de la Campagne, il a été rappelé qu’à partir de 2006 et jusqu’à 2008, la Campagne de Fraternité est destinée à appuyer des programmes pour les enfants de moins de 6 ans, qui vivent dans des conditions de vulnérabilité ou de risque social, dans tout le pays. Jusqu’à 6 ans effectivement, les enfants traversent un processus de développement déterminant pour leur avenir. Actuellement, d’après Mgr Contreras, plus de 200 000 enfants vivent dans des conditions de privation, qui influent, parfois sévèrement, sur le développement. Plusieurs vivent enfermés tandis que les mères travaillent, d’autres doivent prendre soin de leurs petits frères ou des anciens. Beaucoup souffrent à cause de la pauvreté des conditions culturelles, sociales et de développement personnel qui concernent les personnes de l’environnement dans lequel ils vivent. Par cette collecte, l’Eglise organise des activités dans tout le Chili qui offrent de meilleures opportunités à ces enfants, dont le développement et les structures d’écoles maternelles, de laboratoires pour les parents, de services de soutien pour les mères adolescentes, de diffusion de matériaux et de réalisation de laboratoires de formation pour adultes afin de prévenir les mauvais traitements des enfants. Mgr Cristian Contreras Villaroel a lancé un appel à toutes les familles et à toutes les personnes de bonne volonté afin qu’elles soient généreuses à cette occasion, et également aux jeunes et aux enfants afin qu’ils participent à la campagne avec leurs écoles. Le Carême de Fraternité est une campagne qui a lieu au Chili depuis 24 ans, et qui a pour but de solliciter les catholiques et les personnes de bonne volonté à être solidaires avec les plus nécessiteux et à recueillir des fonds destinés à l’action sociale de l’Eglise dans le pays. "Le Carême est un temps de préparation pour vivre la Semaine Sainte dans un esprit de foi et de prière - a rappelé l’Evêque Auxiliaire de Santiago -. L’Eglise nous invite à conduire une vie d’austérité en partageant ce que nous avons avec les plus pauvres, et nous demande même de donner avec sacrifice". Cette Campagne n’est pas une collecte supplémentaire, comme les autres, "mais plutôt la façon de vivre la spiritualité du Carême exprimée dans la pratique de l’amour généreux". (RG)

LES DIX-SEPT ACCUSÉS CHILIENS

Voici les noms des dix-sept accusés renvoyés devant la cour d'assises de Paris qui les jugera par contumace pour la disparition de quatre Français au Chili entre 1973 et 1975.


- Juan Manuel Guillermo Contreras Sepúlveda (général de l'armée de terre en retraite), surnommé "Mamo", 77 ans, incarcéré au Chili. Ex-chef de la Dina (Direction d'intélligence nacionale), la police secrète du régime.









- Herman Julio Brady Roche (général de l'armée de terre en retraite), 86 ans, ex-général de l'armée de terre, commandant en chef de la garnison de Santiago et ancien ministre de la Défense sous Pinochet.










- Luis Joaquin Ramírez Pineda (général d'armée à la retraite), 81 ans, ex-lieutenant-colonel, commandant du régiment d'artillerie de l'armée de terre Tacna qui aurait détenu Klein









- Rafael Francisco Ahumada Valderrama (Colonel), 62 ans, argentin, ex-capitaine soupçonné d'avoir exécuté le médecin Georges Klein dans la propriété de Peldehue appartenant au régiment Tacna

- Emilio Sandoval Poo (officier de la force aérienne chilienne) 71 ans, ferait partie du groupe de militaires portant l'uniforme de la Fach qui a arrêté Pesle

- Andrés Rigoberto Pacheco Cárdenas (colonel de la Force aérienne chilienne à la retraite), 78 ans, ex-commandant de la base de Maquehua (au sud de Temuco) où l'ancien prêtre a été détenu

- Pedro Octavio Espinoza Bravo (brigadier général de l'armée de terre en retraite), 74 ans, incarcéré, ex-lieutenant-colonel d'infanterie, N°2 de la Dina. Il aurait fait ses preuves à la tête de la caravane de la mort (commando héliporté de 12 hommes chargé de l'exécution d'opposants)








- Gerardo Ernesto Godoy Garcia (colonel des carabiniers en retraite), 60 ans, ex-sous-lieutenant de l'armée de terre, surnommé "capitaine Manuel", il dirigeait un groupe d'intervention de la Dina, le commando Tucan









- Osvaldo Enrique Romo Mena, sans profession, 68 ans, incarcéré au Chili, surnommé "le Gros Romo", membre du groupe d'intervention de la Dina qui a arrêté Chanfreau







- Miguel Krasnoff Martchenko (colonel de l'armée de terre), 61 ans, ex-capitaine de l'armée de terre, dit "Caballo loco", il aurait participé à des séances de torture au 38, rue de Londres à Santiago, l'un des centres d'interrogatoire de la Dina surnommé "la maison de la terreur"






- Marcelo Luis Moren Brito (colonel de l'armée de terre en retraite), dit "El Coronta", 71 ans, ex-commandant de l'armée de terre affecté à la Dina, il aurait participé à des séances de torture, rue de Londres









- Basclay Humberto Zapata Reyes (sous-officier de l'armée de terre), dit "Troglo", 60 ans, ex-sous-officier de l'armée de terre, il se serait vanté d'avoir écrasé les jambes de Chanfreau avec une voiture à la Villa Grimaldi, centre d'interrogatoire de la Dina








- Paul Schaeffer Schneider, chef de la "Colonie Dignité" rebaptisée "villa Baviera", 85 ans, incarcéré au Chili, ancien nazi qui avait fondé au Chili cette colonie qui a servi de camp de détention.









- José Octavio Zara Holger (général de l'armée de terre à la retraite), 64 ans, ex-officier de l'armée de terre, il aurait secondé le colonel Contreras pour les activités de la Dina à l'étranger









- Raul Eduardo Iturriaga Neumann (général de l'armée de terre en retraite), 69 ans. Surnommé "El Chico", il était responsable du département extérieur (service étranger) de la Dina









- José Osvaldo Riveiro (lieutenant-colonel de l'armée de terre en Argentine à la retraite), 74 ans. Second de la police secrète d'Argentine


- Enrique Lautaro Arancibia Clavel, alias "Luis Felipe Alemparte", 62 ans, incarcéré en Argentine. Un des premiers agents introduit par la Dina en Argentine.

23 février, 2007

CHILI : LES DÉTENUS-DISPARUS

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Voici la traduction intégrale d’un article paru dans « La Nación » du 25 novembre 2003, où est relatée d’une manière macabre, mais précise, la façon dont les agents de la DINA (police politique de Pinochet) se débarrassaient des opposants politiques sous la dictature. Les mêmes méthodes ont été employées en Argentine sous Videla et compagnie. Ça se sait depuis longtemps. Mais au Chili, c’est un fait nouveau. Pour aller jusqu’au bout de l’horreur, en bas de page se trouve le lien de l’article original où des dessins expliquent comment cela se passait, avec une carte qui permet de situer les différents endroits cités. 



LE DESTIN DES DÉTENUS - DISPARUS DE LA DINA DANS LA RÉGION MÉTROPOLITAINE

Les Anges de la Mort

Une enquête exhaustive et longue du juge Guzmán et de son équipe de détectives du Département V a réussi à dévoiler le secret le mieux gardé par la DINA : le destin de ses détenus - disparus dans la Région Métropolitaine. L’opération systématique fût réalisée par les pilotes et les mécaniciens des hélicoptères Puma du Commando d’Aviation de l’Armée de terre entre les années 1974 et 1978.

par Jorge Escalante.

Les mollets et les pieds dépassaient des sacs de pommes de terre. On voyait les chaussures à talons, hauts et bas des femmes. Quelques fois, le bout de la jupe dépassait. On voyait les chaussures et l’extrémité des pantalons des hommes. Chaque sac contenait un corps attaché avec du fil de fer à un morceau de rail. Certains corps avaient encore du sang frais. D’autres rejetaient l’odeur de la première décomposition. D’autres sacs étaient imprégnés d’huile humaine, signal que les cadavres étaient restés enterrés quelque temps. Quelques sacs, les moins nombreux, n’avaient pas la forme d’un corps mais étaient d’une taille plus réduite, avec seulement une partie des restes.

Il y a eu au moins 40 voyages. À chacun d’eux, de 8 à 15 sacs montèrent à bord des hélicoptères Puma. Des 12 mécaniciens de l’Armée de terre qui ont finalement reconnu les opérations, chacun a au moins fait un voyage. Dans quelques cas, il y en eût deux, trois, ou plus. Il y a d’autres mécaniciens qui ont participé aux opérations mais qui le nient encore. Le secret a été gardé pendant presque 30 ans par les pilotes et mécaniciens du Commando d’Aviation de l’Armée de terre (Comando de Aviación del Ejército CAE ), organisme responsable de l’opération. Au début, tous ont nié, plusieurs fois. Les pilotes nient encore aujourd’hui. Mais les mécaniciens ont rompu le serment scellé avec le sang des autres. Le juge Guzmán et les détectives qui l’ont assisté ont tiré le bout du fil et ont enquêté, silencieux et patients, pendant plus d’un an, dans le cadre du procès de la disparition de la dirigeante communiste de la rue Conferencia (Marta Ugarte).

Intégrer les détails des vols de la mort surprend. Voici enfin la réponse, détaillée, et cette fois racontée de l’interieur, du destin des prisonniers de la DINA à Santiago. Il y eût entre 400 et 500 corps jetés à la mer lors de ces opérations, principalement menées entre 1974 et 1978, bien qu’elles auraient aussi eu lieu dans les dernières semaines de 1973. Le rapport des Forces Armées qui est né de la Table Ronde sur les Droits de l’Homme en janvier 2001, avec l’information sur le destin de 200 détenus - disparus (49 sur terre et 151 à la mer), a consigné à peine 29 cas attribués à la DINA. De ceux-ci, seulement 23 apparaissent comme lancés à la mer. A la Table Ronde, l’Armée commandée alors par le général Ricardo Izurieta a affirmé qu’elle ne possédait pas plus d’information. En accordant le bénéfice du doute, l’Armée de terre n’a pas réussi à rompre le secret des assermentés. Mais elle ne l’a pas fait non plus jusqu’à aujourd’hui. Les chiffres officiels du rapport Rettig et des organismes qui ont suivi indiquent que les disparus de la DINA dans la région métropolitaine entre 1973 et 1975, furent au nombre de 590.

MAMO (surnom donné à Manuel Contreras) A RAISON

Finalement, la vérité a été confirmée. Les exécuteurs l’ont confirmé, ou une partie d’entre eux. Comme cela arrive dans d’autres cas effrayants, comme les exécutés de La Moneda à Peldehue, ceux qui ont parlé sont ceux d’en bas, pas les officiers supérieurs. Les mécaniciens sont tous des sous-officiers aujourd’hui à la retraite.

Il faut admettre que l’ancien chef de la DINA, Manuel Contreras, avait pour une fois raison : « Il n’y a pas de détenus - disparus de la DINA, ils sont tous morts » a-t-il dit récemment à une journaliste de Canal Plus de la télévision française. Ce que Contreras n’a jamais reconnu, c’est que l’opération macabre et systématique de jeter les corps à la mer avait existé. Et que jamais elle n’a pu être planifiée seulement par celui qui fût le chef du Commando d’Aviation de l’Armée de terre entre janvier 1074 et décembre 1977, le Colonel Carlones Mardones Díaz. Il a été, avec quatre autres anciens pilotes du CAE, inculpé le vendredi 14 novembre 2003 par le juge Guzmán en qualité de complice et dissimulateur dans l’instruction sur la mort de Marta Ugarte. Le corps de cette dirigeante communiste fût le seul des victimes jetées à la mer, que les profondeurs de l’océan ont relaché et qui en septembre 1976 a échoué sur la plage La Ballena, près de la crique Los Molles dans la Vème région. Ce fût l’unique faille du système d’extérmination, la piste qui permettra de condamner les coupables aujourd’hui. Aucun autre corps jeté à la mer n’est réapparu. Le « coupable » de la fixation défectueuse du poids, qui a permis que le cadavre de Ugarte remonte à la surface et qui s’est transformé en une preuve fondamentale, est identifié et a confessé son erreur criminelle.

Mais Guzmán a inculpé aussi, pour ce cas, en qualité d’auteurs de séquestration et homicide, Contreras et son cousin, le brigadier en retraite Carlos López Tapia, qui en 1976, était le chef de la Brigade d’Intelligence Métropolitaine de la DINA et en même temps, chef de la Villa Grimaldi. Ce fût le principal centre clandestin de réclusion et de torture dans le pays, et de là, furent sortis la majeure partie des corps qui allaient à la mer. Le juge fût appuyé le vendredi 21 novembre 2003 par la cinquième chambre de la Cour d’Appel de Santiago, qui a confirmé les inculpations. Bien qu’elle ait rejeté celle du pilote Emilio de la Mahotiere « qui était en France » quand Marta Ugarte a disparu.

TOBALABA-PELDEHUE

L’Opération « Puerto Montt » (Code avec lequel on notait la liste des prisonniers qui seraient exécutés et lancés à la mer dans les centres clandestins de la DINA), eût un protocole de conduite qui s’est répété. Avant chaque vol, les mécaniciens recevaient l’ordre d’enlever les sièges du Puma (de 18 à 20), et le réservoir d’essence de secours. L’autonomie de vol de cet hélicoptère sans le 2ème réservoir est de deux heures et demie. Chaque voyage était ordonné par le chef du CAE au chef de la compagnie aéroportée de ce commando d’hélicoptères. Tous les vols étaient enregistrés.

Les machines partaient à chaque fois de l’aérodrome de Tobalaba dans la commune de La Reina, où a fonctionné le Commando d’Aviation de l’Armée de Terre durant ces années. L’équipage était composé d’un pilote, d’un copilote, et d’un mécanicien. Le vol démarrait en direction de Peldehue, à Colina. Une fois là, en zone militaire, ils descendaient et étaient attendus, normalement, par deux ou trois « camionettes » Chevrolet C-10, presque toujours blanches, dont la partie arrière était couverte d’une bâche. Deux ou trois agents civils étaient en charge de ces véhicules. Les civils enlevaient les bâches qui cachaient les corps empilés et les déchargeaient pour les mettre à l’intérieur de l’hélicoptère. Ensuite, le Puma repartait avec les civils à bord. Normalement, il se dirigeait vers la côte de la Vème région, et à la hauteur de Quintero, la machine prenait la direction de la haute mer à la hauteur de San Antonio ou Santo Domingo.

Arrivé à une distance appropriée, le pilote donnait l’ordre de décharger les corps. Le lancement s’effectuait au travers de l’écoutille d’un mètre carré environ, située au milieu de l’hélicoptère, où se trouve le crochet de charge qui descend à l’intérieur, à la hauteur du rotor principal. Mais la décharge se faisait quelques fois depuis une écoutille de poupe, d’1,80 mètre de haut sur 1 mètre de large. Les agents civils effectuaient le lancement et étaient responsables, non seulement d’emmener les corps à Peldehue et les mettre à l’intérieur de l’hélicoptère, mais aussi de vérifier que les sacs atteignaient bien le fond de la mer.

L’identité des corps jetés à l’océan lors de cette opération n’est pas établie, puisque les témoins disent qu’ils ne les ont jamais connus, sauf celle de Marta Ugarte. Ceux qui les connaissent, comme l’ancien chef de la DINA Manuel Contreras, nient que cette opération ait existé.

« ILS BRILLAIENT »

Les rails « coupés récemment, puisqu’ils brillaient des deux côtés », comme les a vu le Commissaire aux enquêtes et agent de la DINA, Nibaldo Jiménez Santibañez, garantissaient, en principe, que la preuve du crime irait avec le morceau de métal au fond de l’océan. Jiménez dit dans une de ses déclarations lors de la procédure, que quand il a demandé un jour à quoi servaient ces rails coupés en morceaux, on lui a répondu : « C’est pour les paquets ». Quand il a demandé « Quels paquets ? », il soutient qu’on lui a répondu : « Ceux qui s’en vont en morceaux tous les jours d’ici, un grand lot à la mer, ils les enveloppent dans un sac bien attaché avec du fil de fer, jettent le corps avec le rail, et avec le poids du rail, ils vont au fond ». Ce n’était pas les anciens prisonniers qui parlaient des rails, et pas seulement le champion de pêche sous-marine Raúl Choque, qui une fois dans les années 80 a déclaré à la presse qu’il avait vu des ossements dans les fonds sous-marins, en face de Pisagua, collés à des morceaux de rails. Dès lors les morceaux de voies ferrées devenaient une réalité dite par un des agents et qui le racontait à un juge.

Le Colonel en retraite Olapier Benavente Burdos n’était pas non plus devenu fou, quand le 24 juin 1999, il a déclaré à une entrevue pour « ’La Nación » que « le pilote de Pinochet, son chou-chou, Antonio Palomo », lui a raconté un jour d’été, quelques années après 1973 à Pelluhue, où tous les deux ont une maison de campagne, qu’il avait dû faire des voyages en pilotant un Puma pour lancer des corps à la mer. « Ils partaient de Tobalaba », a déclaré le Colonel en retraite Benavente que lui avait dit Palomo. C’était la première fois qu’un officier de haut rang en retraite, révélait une partie du secret. Mais cette fois, tout en restât là, seulement des déclarations. Les antécédents découverts aujourd’hui n’existaient pas. Bien sûr, Palomo a démenti les déclarations de Benavente quand le juge Guzmán l’a interrogé.

LE NETTOYAGE

Une fois accomplie chaque mission de vol, les hélicoptères revenaient à Peldehue à l’endroit où étaient stationnées les « camionettes » C-10. C’est ici que descendaient les civils, montaient dans les « camionettes » et partaient.

L’hélicoptère repartait et retournait à sa base du CAE à Tobalaba. Une fois la machine vidée de son équipage, les mécaniciens réalisaient l’opération de nettoyage du sol, qui la plupart du temps restait imprégné de sang avec une odeur de viande décomposée pénétrante. Ils passaient le sol et l’intérieur au jet et laissaient l’hélicoptère se ventiler. Quand l’odeur et le sang avaient disparu, les mécaniciens réinstallaient les sièges et le réservoir secondaire, sans savoir que le lendemain, cet hélicoptère devait accomplir une tâche similaire. Normalement, ce nettoyage n’était pas réalisé par les mêmes mécaniciens qui avaient participé au vol. Parmi les nettoyeurs, a figuré plus d’une fois E.A.O., le mécanicien personnel du Puma nº256 du Commandant en chef de l’Armée de terre, le général Augusto Pinochet. Bien que celui-ci soutienne dans l’enquête que « jamais », il ne lui a été donné de réaliser ces vols pour la haute mer. Son chef a été pendant de nombreuses années, le brigadier Antonio Palomo, aujourd’hui à la retraite.

« Quand on discutait, entre mécaniciens, j’ai pu me rendre compte que beaucoup d’entre eux avaient réalisé ce type de voyages », à déclaré au procès un autre mécanicien qui a participé aux vols et que nous appellerons « Rotor 1 ».

Les identités des mécaniciens, qui ont finalement raconté au juge les ténébreuses histoires qui ont permis de connaître ces faits, LND les tient en réserve. Le fils de l’un d’entre eux a été séquestré pendant quelques heures, vendredi dernier, le jour même où le juge Guzmán a énoncé les premières accusations dans l’affaire Marta Ugarte avec cinq anciens pilotes des Puma, en plus de Contreras et López Tapia. Deux individus l’ont obligé à monter dans une auto, l’ont attaché, lui ont mis une cagoule sur la tête, l’ont battu, et lui ont dit qu’il dise à son père de « fermer sa gueule ». Puis ils l’ont jeté dans une rue de Santiago.

Un autre des mécaniciens, « Rotor 2 », à raconté pendant l’enquête, qu’à peine les vols avaient commencé, le commandant du CAE Carlos Mardonez a réuni les pilotes et les mécaniciens, et leur a déclaré : « Il s’agit de missions secrètes que vous ne devez commenter à personne d’autre que ceux qui y participent. Vous ne devez même pas en parler à vos familles ».

LE TRIBUNAL

Le commissaire en retraite Nibaldo Jiménez, ancien agent de la DINA en fonction à Villa Grimaldi et dans l’enceinte de José Domingo Cañas soutient que « Ceux qui envoyaient les individus à la mer étaient une assemblée qui se tenait avec les chefs de groupe de l’époque, les capitaines Miguel Krassnoff Marchenko, Maximiliano Ferrer Lima, et d’autres, parce qu’il y avait plusieurs casernes. Ils se réunissaient comme un tribunal, où ils décidaient quel détenu serait sauvé et quel autre irait à la mer, avec le code nommé « Puerto Montt ». Ces « autres » auxquels se réfère Jiménez son ceux de toujours, Marcelo Moren Brito et Pedro Espinoza Bravo, tous les deux chefs en alternance de différents centres clandestins de la DINA. Le résultat de chacune de ces réunions, continue Jiménez, « était envoyé au général Contreras, chef suprême de la DINA (...). Le général Contreras est celui qui vérifiait les listes et en définitive décidait du sort des détenus.

Une autre victime de la DINA a été le journaliste Máximo Gedda Ortiz, le frère des Gedda qui réalise l’émission « Au sud du Monde ». Détenu en juillet 1974, il a disparu dans l’immeuble au nº 38 de la rue Londres. Jiménez raconte l’état dans lequel il a vu son corps avant que, on le présume, il n’allonge la liste des jetés à la mer. « Un sujet nommé Gedda fût détenu. On lui avait enlevé au couteau la chair de la jambe et on voyait l’os. Cela pendait, ils l’avaient pendu. Ils l’avaient fouetté ».

Jiménez décrit une autre facette de l’horreur et de la brutalité contre un autre des disparus de la DINA. Il s’agit du photographe Teobaldo Tello Garrido, qui avait été fonctionnaire des Renseignements Généraux pendant le gouvernement de Salvador Allende. Il a été arrêté en août 1974 et a disparu. « Je suis allé le voir dans une cellule bondée de détenus, il a ouvert la bouche et j’ai vu qu’il saignait. Ses dents avaient été arrachées avec une pince par Monsieur Marcelo Moren(...). Le Colonel Moren était assez brutal ».

LES PILOTES DE LA CARAVANE

Parmi les cinq anciens pilotes d’hélicoptères Puma que le juge Guzmán a inculpé pour la séquestration et le meurtre de Marta Ugarte figurent ceux qui furent les pilotes de la Caravane de la Mort. Antonio Palomo a été le pilote sur le trajet sud de cette opération, et a agi comme son copilote Emilio de la Mahotiere González. Pour le trajet nord de la caravane, le pilote fût le même de la Mahotière et le copilote, Luis Felipe Polanco Gallardo. Le cinquième pilote détenu est le colonel en retraite Oscar Vicuña Hesse.

Une seconde phase de cette méthode de disparition de détenus jetés à la mer, a commencé après 1978 et a continué au moins jusque 1981-82, après qu’à la fin de 1978, on ait découvert les cadavres de 15 paysans dans un four de Lonquén et l’Armée de terre et Pinochet se sont inquiétés.

Cette seconde phase connue sous le nom de « remaniements » clandestins, fût admise, y compris par l’ancien directeur de la Centrale Nationale d’Informations (Renseignements Généraux), le général Odlanier Mena, et à son propos, ont déposé aussi quelques anciens agents qui ont participé à l’opération. A cette opération appartiennent, entre autres, les prisonniers de Chihuío dans la 10ème région, les exécutés de La Moneda détenus à Peldehue, et les 26 victimes de la Caravane de la Mort enterrées clandestinement dans le désert de Calama. Celles-ci ne furent pas victimes de la DINA.

Probablement, une fois l’expérience acquise, cette seconde phase a été réalisée par les mêmes pilotes et mécaniciens du Commando d’Aviation de l’Armée de terre. Cet épisode n’est pas totalement éclairé judiciairement. En tout cas, les commandants du CAE après Carlos Mardones ont été : le colonel Hernán Podestá Gómez, entre janvier et décembre 1978 ; le colonel Fernando Darrigandi Márquez entre janvier 1979 et juillet 1981 ; et le colonel Raúl Dirator Moreno, entre août 1981 et février 1982.

22 février, 2007

FAMILLES DES VICTIMES SALUENT LE PROCÈS CONTRE 17 PROCHES DE PINOCHET

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VIVIANA ELISA DÍAZ CARO
L'Association des familles de détenus et de disparus sous la dictature d'Augusto Pinochet "apprécie énormément" l'ouverture prochaine d'un procès ordonné mercredi par la Justice française contre 17 proches de l'ancien homme fort du Chili aujourd'hui décédé.


"J'apprécie énormément ce qui est en train d'être fait, c'est très important", a déclaré mercredi à l'AFP Mme Viviana Diaz, la vice-présidente de l'Association.

"Je suis très contente de ces démarches pour juger tant de personnes qui possèdent des réponses sur ce qui s'est passé" pendant la dictature de Pinochet (1973-1990), a-t-elle ajouté.

Mme Diaz espère que le procès décidé par la juge d'instruction française Sophie Clément "va contribuer à ce que d'autres pays qui ont des citoyens détenus et disparus dans notre pays fassent la même chose".

Aucune réaction dans l'entourage des accusés, toutefois selon un source qui ne souhaite pas être citée "les tribunaux français n'ont pas l'autorité de juger des chiliens pour de supposés délits commis sur le territoire chilien.

Les 17 proches du général Pinochet, parmi lesquels l'ancien chef de la police secrète le général Manuel Contreras, seront jugés à Paris en leur absence pour la disparition de quatre ressortissants français entre 1973 et 1975.

M Contreras purge actuellement une peine de quinze années de prison.

Parmi les accusés, figure l'ancien commandant de la garnison militaire de Santiago, le général Herman Brady Rocha. Atteint d'une maladie neurologique, l'ex-général a indiqué mercredi à l'AFP à propos de l'ouverture d'un procès en France contre d'anciens proches de Pinochet "qu'il était éloigné de tout et qu'il n'était pas au courant de ce qui se passait en France".

Le général Pinochet est mort à Santiago le 10 décembre 2006, à l'âge de 91 ans, sans jamais avoir été condamné ni pour les dossiers des droits de l'homme ni pour les délits liés à ses comptes secrets aux Etats-Unis ou dans d'autres pays.

Trois mille personnes sont mortes ou disparues pendant la dictature chilienne.

Cette annonce d'un procès en France contre 17 proches de l'ex-général Pinochet a provoqué pour le moment peu de réactions au Chili où février est le mois traditionnel des congés pour les magistrats et les avocats.



12 février, 2007

LA FABULEUSE HISTOIRE DU SYSTÈME BINOMINAL

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« NOUS SOMMES D'ACCORD QUE LE SYSTÈME BINOMINAL N'EST PAS DÉMOCRATIQUE, DONC NOUS REJETONS SA MODIFICATION... »

C’est l’une des promesses phares de la présidente Michelle Bachelet : réformer le système électoral chilien, qui fausse la représentation politique du pays, et exclu les petits partis. Mais cette promesse semble difficile à concrétiser dans les faits, tant l’ancien dictateur Augusto Pinochet a rendu compliquée toute modification de la Constitution.
Héritage de la dictature, le système binominal est imposé par la constitution de 1980, rédigée par Pinochet lui-même. Notons qu’à cette époque, il n’y avait au Chili aucune vie politique et démocratique, et encore moins d’élections.

Augusto Pinochet, sachant que son «Gouvernement militaire» ne serait pas éternel, s’est assuré que plus aucun mouvement du type de l’Unité Populaire d’Allende ne se reproduirait, en créant un système politique qui, s’il a le goût, l’aspect et l’odeur d’une démocratie, s’apparente à une véritable arnaque pour les citoyens chiliens. En effet, la vie politique chilienne s’articule principalement autour d’un parti, centriste, la Démocratie Chrétienne (DC), qui l’orchestre depuis plus de 50 ans. Elle fait le jeu de la droite (comme sous le gouvernement d’Allende) ou de la gauche (comme depuis 1990, et la naissance de la Concertation, coalition regroupant le centre et gauche réformiste).


Ni la droite ni la gauche ne peuvent, depuis le retour de la démocratie en 1990, gouverner sans la DC, car la constitution de 1980 a institué un second tour lors de l’élection présidentielle qui n’existait pas avant le coup d’Etat. Auparavant, le candidat ayant obtenu le plus grand nombre de voix au premier tour était élu, une fois sa victoire ratifiée par le Congrès.


L’idée sous jacente des militaires au pouvoir était d’isoler les partis progressistes (PS, PC et Radicaux) de leur centre marxiste, de les marginaliser, afin de les obliger à chercher des alliances au centre, les rapprochant de la Démocratie Chrétienne, mère politique du pays. C’était l’une des manières d’étouffer tout mouvement à tendance marxisante ou révolutionnaire, après avoir assassiné, torturé et poussé à l’exil ses militants (3000 morts, 30 000 torturés, un million au moins d’exilés).


La particularité du système électoral chilien réside dans le fait que si deux candidats sont élus par circonscription, l’électeur, lui, ne dispose que d’un seul vote. Prenons ainsi l’exemple d’une circonscription lors des dernières élections parlementaires, dont les résultats sont très proches des résultats nationaux :

  • Parti Communiste 5%
  • Parti Socialiste/Parti Pour la Démocratie/Radicaux 25%
  • Démocratie Chrétienne 30%
  • Union Démocratique Indépendante 21%
  • Rénovation Nationale 19%
Ce qui aboutit à des coalitions :

  1. Concertation (DC + PS/PPD/PRG) 55%
  2. Aliance (UDI + RN) 40%
Coalitions qui permettent de faire élire le candidat DC et le candidat UDI.

Pourquoi ? Parce que pour gagner les deux postes en jeu lors de l’élection, il faut « doubler » le score de l’adversaire. Pour emporter les deux postes de députés, l’un des blocs doit donc réaliser au moins 66,6% des suffrages. Il s’agit d’un concept d’une ingéniosité remarquable qui permet de contourner le jeu démocratique. Pour modifier la constitution de 1980, et donc le système électoral, il est nécessaire de bénéficier des 7/9e des votes du Congrès, ce qui est quasiment impossible à obtenir tant que le binominal est en vigueur. Cercle vicieux ? Peut-être pas.


Michelle Bachelet dispose d’une carte à jouer : le plébiscite. C’est d’ailleurs le chemin qu’elle semble vouloir emprunter pour mener à bien cette refonte de la Constitution. Cependant, si le chef de l’Etat dispose de l’initiative pour proposer un referendum, celui-ci doit être validé par les deux chambres qui peuvent le modifier. Comme les 7/9e des votes du Congrès sont nécessaires pour valider le referendum avant de le soumettre au peuple chilien autant dire que c’est loin d’être gagné...


Thomas HUCHON

10 février, 2007

UN MOMENT DE DÉTENTE COMME CHARLES DARWIN AU CHILI

On dit que les propriétés médicinales des eaux de Cauquenes, à une centaine de kilomètres au sud-est de Santiago, sont reconnues depuis l'ère préhispanique. Au début du XIXe siècle, le naturaliste Charles Darwin et l'homme politique Bernardo O'Higgins - celui qui a donné au Chili son indépendance en 1818 - avaient l'habitude d'y venir pour «recharger leurs batteries». Deux siècles plus tard, on vient encore à l'hôtel Termas de Cauquenes pour ses bains, mais aussi pour sa fine cuisine et pour le temps qui s'arrête soudainement au creux des montagnes.

Vêtue d'un chaud et moelleux peignoir blanc, je traverse le jardin intérieur un peu dénudé en cette fin d'hiver - nous sommes en août -, mais quand même très joli avec ses pergolas, sa fontaine en son centre et ses bancs de bois. Au bas d'un escalier baigné d'une lumière colorée par le soleil à travers un vitrail, j'accède la salle des bains. Je suis accueillie par une préposée qui me conduit à mon bain, après m'avoir offert une grande serviette.

Pas de piscine commune ici - celle de l'extérieur est fermée pour la saison froide et une piscine intérieure sera construite d'ici cinq ans -, mais plutôt deux rangées de petites salles. Dans chacune, trône une baignoire à remous. «N'y restez pas plus de 20 minutes», me prévient la dame, avant de refermer la porte derrière moi. Le bain est chaud - un peu trop? - et je m'y glisse avec plaisir, d'autant plus que la journée est fraîche. Qu'elle soit thérapeutique ou non, l'eau projetée en de nombreux jets a un effet certain : la détente est immédiate. Au bout de 15 minutes, la tête commence néanmoins à tourner en raison de cette intense chaleur.

Au bout du couloir, je tire une immense porte et - quelle surprise! -, je découvre une terrasse qui donne sur une cascade. Je m'étends sur une chaise pendant un moment. J'y serais demeurée toute la journée, un livre à la main, si le froid n'avait pas commencé à piquer ma peau. Vais-je marcher dans les sentiers ou me faire masser? J'opte pour les sentiers et j'emprunte le chemin de terre battue qui longe la rivière. Je croise un jardinier et un couple de personnes âgées. Sinon, il n'y a que moi et le bruit de la rivière et des oiseaux. Une promenade propice à la réflexion, encore plus à la relaxation. Une promenade qui creuse l'appétit aussi.


Tant mieux, puisque pour le dîner, les propriétaires et réputés chefs suisses, René Acklin et sa fille Sabine, ont concocté des petits plats à s'en lécher les doigts. Au menu : jambon de perche des mers (serran), crème de morilles, steak d'espadon au beurre d'ail verte et pommes de terre mousseline, salade d'aubergine et fromage de chèvre, filet de boeuf dans une sauce au merlot accompagné de quinoa. Une crème brûlée au romarin et des truffes au chocolat sont servies en dessert. Un peu trop copieux tout ça, mais quel délice!


Je me retire, repue, dans mes quartiers. On a récemment rénové les 52 habitations au coût de 900 000 $. La chambre est petite et sans prétention, une bougie est déposée sur la commode de bois brun foncé. La salle de bains, recouverte de marbre, est des plus modernes. Le mobilier de la chambre, lui, est sobre. Le plancher grince, le lit est confortable, les couvertures sont épaisses et, après avoir ouvert la fenêtre à battants, le son de la rivière nous plonge doucement dans un sommeil réparateur. On rêve de ne jamais quitter cet endroit.


Pour une nuitée, un dîner (dégustation) et un bain, on débourse environ 120 $.


Le 28 août de 1834, après avoir croisé la "Cuesta Zapata", Charles Darwin est arrivé Santiago de Valparaiso, où il a été consacré à visiter les alentours. En septembre a effectué des excursions à Rancagua, les Thermes de Cauquenes, Tagua Tagua, San Fernando, Navidad, Casablanca.

08 février, 2007

UN MILLIONNAIRE VERT ET PRESQUE ROUGE

Une forêt est menacée? Achetez-la ! C’est ce qu’a fait le millionnaire Douglas Tompkins pour éviter le pillage d’une forêt pluviale au Chili... pour en restituer ensuite une grande partie à l’État chilien. A la condition qu’il s’engage à en faire un sanctuaire naturel. Enquête de Nicola Graydon I1 a fallu plusieurs heures de vol, deux voyages en bateau, une longue journée en voiture sur une route cabossée, et enfin une excursion en tracteur pour rejoindre Doug Tompkins, un homme d’affaires multimillionnaire reconverti dans l’écologie. Dans l’arrière-pays spectaculaire du sud du Chili, Tompkins, âgé de 62 ans, fondateur de multinationales de l’habillement comme Esprit et North Face, est devenu le gardien d’un autre empire : « Pumalin », la réserve naturelle privée la plus vaste du monde. Pumalin, « terre des pumas », s’étend du Golfe de Corcovado du Pacifique Sud à la frontière andéenne avec l’Argentine, un univers sauvage époustouflant de 320 000 hectares, [soit presque cinq fois la taille du parc national du Mercantour, NDT]. Quelque 70 de la superficie du parc sont constitués d’une forêt pluviale tempérée, qui, sans Tompkins, aurait été déboisée. En août 2005, ce monde sauvage intact avec ses volcans, ses fjords et ses forêts pluviales tempérées, l’une des dernières sur la planète, a été déclaré sanctuaire naturel par le Chili. Pour Tompkins, il s’agit d’un aboutissement triomphal après une décennie de luttes difficiles pour la création d’un nouveau type de partenariat avec le Chili. Aux extrémités du parc, on compte huit fermes en agriculture biologique.

De la multinationale à l’écologie profonde On a traité Tompkins d’arrogant, de fondamentaliste, d’excentrique, d’obsessionnel. Or c’est une personne discrète, calme, mais on sent une volonté laissant peu de doutes sur sa capacité à bâtir deux multinationales... ou à sauver des forêts. Tompkins a toujours aimé la nature, la marche en montagne, même lorsqu’il était encore à la tête de ses multinationales. Il songeait depuis plusieurs années déjà à s’échapper du monde de affaires lorsqu’il lut Deep ecology : living as if life mattered d’Arne Naess au milieu des années 1980, qui faisait la différence entre l’écologie profonde (Deep ecology) et l’écologie superficielle (Shallow ecology). Tompkins se sentait plutôt du côté de l’écologie profonde. « C’est la première fois que je me rendais compte qu’il existait deux visions du mode opposées : le monde industriel et technologique et le monde écologique. » Il s’immergea dans des livres sur l’écologie, se mit à soutenir des mouvements écologistes et s’aperçut que ses affaires faisaient partie du problème...

Ses convictions nouvelles créèrent un désaccord avec sa première femme, de laquelle il se sépara. En 1989, il vendit ses parts à son ex-femme pour 150 millions de dollars qu’il réinvestit dans deux fondations : la Foundation for deep ecology qui a accordé 70 millions dollars à des associations écologistes dans le monde entier et le Conservation Land Trust qui a pour objectif d’acheter des terres pour les protéger.
Personne ne remarqua le millionnaire américain quand il se mit à acheter des terres au Chili au début des années 1990. Ce fut seulement en 1994, lorsqu’il acheta en une fois 180 000 hectares d’un seul tenant à une firme du Panama, que cela suscita des remous. Il avait eu l’audace de soustraire aux développeurs de tous poils un vaste territoire et fut alors accusé d’intentions hostiles au Chili, comme vouloir creuser un tunnel sous les Andes, créer un Etat juif (Tompkins n’est pas juif !), remplacer les vaches par du bison, accaparer le monopole du granit. Comme ses terres coupaient le pays en deux, les militaires s’en mêlèrent. Des jets de l’armée se mirent à raser sa propriété et une campagne de diffamation fut orchestrée par les médias. Tompkins avait le tort d’être blanc, riche et américain. Les Chiliens, qui sortaient d’une dictature soutenue par la CIA, restaient très soupçonneux envers quelqu’un qui se mettait à acheter des terres. D’autant plus que Tompkins s’était opposé à la salmoniculture financée par l’Etat qui ravageait le sud et qui était présenté comme la success story employant 20 000 personnes. « On s’est fait beaucoup d’ennemis, reconnaît Tompkins, comme le responsable local d’un élevage de poissons, un ancien garde du corps de Pinochet. »

Les obstacles au projet de sanctuaire naturel Tompkins voulait que Pumalin ait un statut de sanctuaire. Le président du Chili Eduardo Frei déclara qu’il « ne laisserait pas le développement être freiné par le souci de l’environnement ». Le ministre de la Propriété nationale stigmatisa le projet comme issu d’une mainmise étrangère et le ministre de la Sécurité argua que le parc représentait une menace pour la sécurité nationale car il coupait le pays en deux. Tompkins avait commencé par ignorer les attaques mais s’est rendu compte qu’à force de les répéter elles commençaient à gagner du terrain dans l’opinion. Tompkins passa à l’offensive : il organisa une conférence de presse et fit passer un spot publicitaire sur la télé chilienne, expliquant sa vision de Pumalin comme un havre pour la vie sauvage et la biodiversité, un endroit où les Chiliens pourraient profiter de leur patrimoine naturel. Il invita ministres, journalistes et industriels à venir sur place se faire une opinion.

L’un de ceux qui changea d’avis fut Ricardo Largos, alors ministre des Travaux publics. Tompkins : « J’ai du concéder une autoroute « panoramique » pour contrer l’accusation selon laquelle je voulais couper la seule route côtière de Patagonie. Mais ce ministre nous aida à faire contrepoids dans le gouvernement Frei ». Largos devint le président socialiste du Chili en 2000, ce qui facilita le projet de Tompkins qui est maintenant reconnu pour son action positive au Chili. D’autres, comme un ancien candidat à la présidentielle Sabastian Piñera, lui emboîtent le pas et achètent des terres pour en faire des sanctuaires.

Pumalin n’est qu’un début. En 2002, la Conservation Land Trust de Tompkins rendit 90 000 ha au Chili pour la création d’un parc national de 260 000 ha, comprenant 82 lacs. La fondation de Kris, sa deuxième femme, Conservacion Patagonica, a créé le premier parc national côtier en Argentine. Elle a acheté en 2004 l’un des plus vastes ranchs du Chili où le cerf andain, emblème national du Chili, alors proche de l’extinction, revoit aujourd’hui l’espoir d’une renaissance. Les Tompkins ne se targuent pas d’être des pionniers en matière de conservation, mais notent que les grands parcs nationaux ont été créés aux Etats-Unis par des mécènes privés. « C’est une des rares choses que ce pays a fait de bien, il a, le premier, créé des parcs nationaux, il y a 130 ans. A l’époque, c’était révolutionnaire ! » Mais Tompkins reconnaît qu’il est l’avant-garde d’un mouvement nouveau et encourageant : l’achat de terres sauvages comme moyen de préserver la nature. The Nature Conservancy et Conservation international ont acheté plusieurs « points chauds » de biodiversité menacée dans le monde. Ce genre de philanthropie est un moyen rapide pour protéger les écosystèmes menacés, mais cela ne veut pas dire que l’action politique soit inutile. Sa fondation Deep ecology a aidé de groupes éclectiques, des associations locales contre la mondialisation, d’autres pour la protection de la vie marine et des prairies...

Des fermes écologiques dans le parc. Mais revenons à Pumalin. Des petites cabines de Hobbits pour les visiteurs faites de bois local à l’entrée de Caleta Gonzales sont le seul logement du parc. A proximité, un restaurant sert des produits issus des fermes biologiques du parc. Le silence est brisé par les oiseaux et les chutes d’eau lorsqu’on entre dans la forêt pluviale, douce et fraîche, contrairement aux forêts tropicales. Les troncs sont couverts de fougères de mousses et de lichen. Lalerce, Fitzroya cupressoides, peut pousser jusqu’à 40 mètres de haut et vivre plus de 3 000 ans. Ces arbres ont été décimés. Pumalin contient 35 des forêts d’alerce du Chili.

Les fermes en bio qui entourent Pumalin sont pour Tompkins presque aussi importantes que la forêt. Pour l’heure elles sont soutenues financièrement, mais il espère qu’elles seront bientôt autonomes. Elles sont des modèles d’une agriculture durable et ne sont pas des fermes « de loisir ». « S’il faut perdre de l’argent sur une certaine durée, nous le ferons. Mais dans l’intervalle, nous reconstruisons les sols, nous apprenons, et l’autosuffisance sera possible entre 5 ans et 15 ans. » En 2000, les ruches ont produit 30 tonnes de miel. Tompkins espère aussi bientôt pouvoir se débarrasser de ses tracteurs et les remplacer par des chevaux. « Ils reviennent en Europe, il y a là-bas 3 500 associations sur le cheval de trait. Les gens pensent que je suis fou, mais attendez de voir le pétrole à 100 $ le baril et on verra... »

Même si la désignation de Pumalin comme sanctuaire naturel indique la fin des hostilités, Tompkins reste pragmatique quant à l’avenir : « Je contrôle l’avenir proche, mais je ne peux protéger le parc des révolutions, de la pollution, de la crise climatique, des pluies acides... » Tompkins espère que d’autres personnes fortunées emboîteront le pas : il a tenté de persuader les propriétaires voisins comme les Benetton et Ted Turner qui ont de vastes ranchs en Argentine de se mettre à protéger les lieux. Il s’est exprimé publiquement sur la différence que cela ferait si Bill Gates consacrait d’abord sa fortune à acheter des terres plutôt qu’à l’éducation ou la pauvreté, qu’il considère comme des diversions face à la vitale et urgente nécessité pour l’humanité... de sauver la planète. ∎

Nicola Graydon est journaliste et contribue régulièrement à The Ecologist. -/ L’ÉCOLOGISTE N°19 - Fol. 7 N’2 - JUIN - JUILLET - AOUT 2006 17

06 février, 2007

Deux accidents mortels au Chili


Samedi, une explosion de gaz dans le vieux quartier du port de Valparaiso a tué au moins trois personnes et fait onze disparus, détruisant quatre immeubles anciens. D'après les premières constatations de l'enquête, l'explosion serait due à une négligence. Il faudra au moins un an pour reconstruire à l'identique les immeubles, classés au Patrimoine de l'humanité par l'UNESCO. Le même jour, dix touristes étrangers ont trouvé la mort dans un incendie qui a détruit un hôtel de Punta Arenas, au sud.


AUGUSTO PINOCHET : ÉPITAPHE POUR UN TYRAN

par Mario Amorós

En janvier 1978, un tribunal italien condamnait Eugenio d’Alberto, policier de son état pour avoir proféré une « offense impardonnable » à l’encontre de ses supérieurs hiérarchiques : ils les avaient appelé « Pinochet ». Le juge a considéré la «qualification injurieuse», puisque l’accusé dénonçait un commandement usant de «méthodes de nature autoritaire et répressive» (Azócar, Pablo : Pinochet, epitafio para un tirano. Cuarto Propio, Santiago de Chile, 1998).

À sa mort, 33 ans après le coup d’Etat qui instaura un pouvoir illégitime et brutal, Pinochet est répudié comme un des symboles universels de lâcheté et trahison. Au Chili, il a perdu de nombreux soutiens suite à la découverte de vols de fonds publics se montant à des millions de dollars, en plus d’être le responsable de violations massives des droits humains.

Cependant, son «héritage» nous révèle les clés qui expliquent la situation actuelle du Chili. Précédant largement Margaret Thatcher et Ronald Reagan dans l’application du modèle néolibéral, la dictature de Pinochet a condamné à la misère de larges secteurs de la population : au moment où il cédait le pouvoir au président Patricio Aylwin en 1990, après avoir perdu le référendum de 1988, 45 % de la population vivaient dans des conditions misérables.

Même aujourd’hui, malgré la réduction de l’extrême pauvreté, le Chili est l’un des pays où la brèche sociale est la plus accentuée et où le manque de défense des travailleurs face au pouvoir économique est le plus important, puisque c’est le Code du Travail de 1980 qui est encore appliqué. De même, les multinationales du cuivre, de la pêche et du bois saccagent les principales ressources naturelles du pays en vertu de son « ouverture » économique si appréciée, alors que des secteurs comme l’éducation et la santé ont subi les conséquences d’un véritable « tsunami » néolibéral.

Malgré des avancées notables liées à la détention de Pinochet à Londres le 16 octobre 1998, l’impunité continue, essentiellement due au maintien du décret loi de 1978 instaurant une amnistie qui laisse jouir une grande majorité des assassins et tortionnaires d’une totale liberté. Durant la transition chilienne, seules 46 personnes ont été jugées et condamnées à la prison ferme pour violations de droits humains et 24 d’entre elles ont recouvert la liberté parce que leurs peines avaient été très légères. Les trois gouvernements antérieurs à l’actuel de Michelle Bachelet ont promu l’élaboration de trois rapports sur les crimes de la dictature, mais n’ont pas fait en sorte que les principaux responsables soient jugés, bien au contraire ils se sont obstinés - et s’obstinent encore - à garantir leur impunité, ceci depuis le retour du tyran de Londres jusqu’à, entre autre, l’amnistie en 2005 (lors du gouvernement de Ricardo Lagos) de Manuel Contreras Donaire, un des assassins du syndicaliste Tucapel Jiménez en 1981.

En plus du modèle néolibéral et de l’héritage abominable de l’impunité, Pinochet lègue des Forces armées avec des privilèges inadmissibles pour un régime démocratique et, même si quelques-uns de ces privilèges ont été annulés par des réformes constitutionnelles, elles s’approprient toujours 10 % des bénéfices de la vente du cuivre (la plus importante richesse économique du pays) et conservent une capacité considérable d’intervention sur la scène politique. Jusqu’à ce jour, les militaires n’ont pas davantage admis leur grave responsabilité dans la destruction de la démocratie le 11 septembre 1973 et dans la répression du mouvement populaire qui a soutenu le gouvernement constitutionnel du président Salvador Allende. Le sociologue Tomas Moulian soutient qu’ «ils n’ont pas conscience du mal qu’ils ont causé, qu’ils croient que ces assassinats ont été nécessaires, qu’ils ont participé à la guerre pour la civilisation, contre le marxisme, qui était le mal».

Cependant, Pinochet est mort à l’âge de 91 ans de façon bien différente de celle à laquelle il avait rêvé : dispensé de se présenter devant les tribunaux pour démence, abandonné par la majeure partie de ses fidèles, répudié par la conscience démocratique de l’humanité et accusé dans différentes causes judiciaires pour violations des droits de l’homme.

La dictature qu’il a dirigée a été un des chapitres les plus sombres de l’histoire latino-américaine du 20e siècle. Parce qu’il a détruit un processus rempli de l’espérance d’un changement social impulsé par la voie de la démocratie, parce qu’il a refondé le pays à partir de dogmes néolibéraux et parce que, de façon cruelle, il a massacré des milliers de personnes et institutionnalisé la torture. Le 13 novembre 1974, le tyran avait assuré aux évêques Fernando Ariztía et Helmut Frenz en parlant du prêtre espagnol


Antonio Llidó, séquestré par la Direction des Renseignements Nationaux (DINA, Dirección de Intelligencia Nacional) le 1er octobre et disparu trois semaines plus tard : «Ce n’est pas un prêtre, c’est un marxiste et les marxistes il faut les torturer pour qu’ils parlent. La torture est nécessaire pour en terminer avec le communisme».

La géographie de la mémoire historique au Chili comporte deux visites obligatoires. D’une part, l’impressionnant Mémorial érigé dans le Cimetière général de Santiago en souvenir des 3 197 personnes officiellement assassinées ou que la dictature a fait disparaître. Et d’autre part, Villa Grimaldi, un nom qui à lui seul concentre l’indescriptible horreur de la dictature de Pinochet, un lieu où 5000 «prisonniers de guerre», de la guerre que le tyran a inventé, ont été torturés de façon atroce et d’où on a fait disparaître 226 personnes, probablement en lançant les corps dans l’océan Pacifique, grâce à des hélicoptères militaires pilotés par des agents de la DINA.

Alexandra Holzapfel, militante du Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR, Movimiento de Izquierda Revolucionaria) qui a été torturée et violée à la Villa Grimaldi quand elle a été arrêtée à l’âge de 19 ans, dit avoir pu reconstruire sa vie : «Maintenant, nous qui sommes passés par là, nous sommes sains, nous avons des vies et des familles «normales», nous avons des enfants et des petits-enfants, nous travaillons. Mais je ne perds toujours pas l’espoir, le moment viendra où nous allons pouvoir construire une société plus juste, plus solidaire, pleine d’amour».

Des témoignages comme celui là et la lutte de la gauche chilienne pour la construction d’une alternative socialiste au modèle néolibéral (modèle imposé par la dictature et maintenue de manière acritique par la Concertation des partis politiques pour la démocratie) constituent l’authentique échec historique de Pinochet et de son héritage.

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Augusto Pinochet (1915-2006)

- 1915 : Naissance à Valparaiso. Fils d’une famille de 6 enfants, le père est fonctionnaire douanier.
- A 18 ans, intègre l’Ecole Militaire du Chili et sera longtemps simple soldat d’infanterie.

- 1943 : Epouse Lucia Hiriart Rodriguez, fille d’un membre influant du Parti Radical. Le couple aura 5 enfants.

- Juin 1973 : Pinochet est nommé Chef des Armées intérimaire, suite à la nomination du Général Carlos Prats au poste de ministre de l’Intérieur du gouvernement Salvador Allende.

- 11 septembre 1973 : Pinochet prend la tête de l’organisation du cup d’Etat militaire, qui renverse le gouvernement démocratique de Salvador Allende.

- Octobre 1973 : création de la police politique Direction des Renseignements Nationaux (DINA, Dirección de Intelligencia Nacional).

- 1974 : Pinochet est proclamé « Chef suprême de la Nation »

- 1998 : Le juge espagnol Baltasar Garzon obtient la mise en arrêt de Pinochet à Londres alors qu’il s’y était rendu pour subir une intervention chirurgicale. Après 503 jours d’un épisode judiciaire, le Royaume Uni n’accorde pas l’extradition demandée par le juge espagnol et Pinochet retourne au Chili.

- 2006 : Le dictateur décède à l’age de 91 ans sans avoir été jugé.

RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine
Source :Rebelión
, 11 décembre 2006.
Traduction : Renata Molina, pour l’association France Amérique Latine : (FAL). Traduction revue par l’équipe du RISAL.