21 juillet, 1990

PINOCHET POURSUIVI PAR SES MORTS


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VINGT-ET-UN VILLAGEOIS FUSILLÉS DURANT LA DICTATURE
DE PINOCHET, DONT QUATORZE RETROUVÉS ICI, DANS UNE
FOSSE COMMUNE QUI RESTE DÉSORMAIS À CIEL OUVERT.
PHOTO QUOTIDIEN LA NACION
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L'HUMANITÉ

Que sont devenus les quelque quatre mille disparus dont les familles réclament toujours des nouvelles dix-sept ans après le coup d'état de Pinochet? Les premiers éléments d'une réponse macabre sont donnés par la révélation du charnier de Pisagua, dans le désert de Tamarugal au nord du Chili. 
C'est le docteur Alberto Neuman, ancien détenu de cette prison, qui a été le premier à lever le voile. À l'époque, il était contraint de constater les décès des prisonniers politiques exécutés sommairement. En mai dernier, de retour d'exil, il dénonce ces crimes au tribunal civil. Dès le lendemain, une enquête sur place est effectuée afin de retrouver les corps. Ils sont découverts, momifiés par le sel, dans un cimetière abandonné depuis près d'un siècle. Le 2 juin, vingt et un cadavres sont mis à jour.

L'information est aussitôt livrée à la presse et le juge Nelson Muñoz accuse le haut commandement de l'armée. Sûr de ses protections, l'amiral Jorge Martinez, commandant en chef de la marine, prétexte que «le pays était en guerre intérieure» (la faute à qui?) et réfute des conclusions «trop hâtives sur des faits s'étant produits il y a longtemps». Une bande vidéo tournée par un agent de la police secrète montre alors un échantillon des méthodes de répression utilisées contre les opposants.

Un premier reportage avait été tourné sur place en 1974 par une équipe de la télévision est-allemande qui, à l'aide de faux papiers, s'est fait passer pour un groupe de journalistes venus de RFA. On pouvait constater que les prisonniers étaient soumis à une sévère discipline militaire et contraints de construire un nouveau camp (détruit illico après la diffusion du reportage en Europe).

Le premier camp de concentration de Pisagua a été dirigé à partir de 1947 par un dénommé... Pinochet. On y emprisonnait - déjà - des militants de gauche comme Volodia Tetelboim, secrétaire général du Parti communiste chilien qui y est resté enfermé jusqu'en 1957, date de la fermeture du camp. Il est réouvert en 1973, au moment du coup d'état. Il y a cinq ans, un particulier en a fait l'acquisition lors d'une vente aux enchères.

D'anciens détenus y pénètrent malgré tout. Devant la caméra, ils témoignent des traitements qui leur ont été infligés. L'un d'eux se souvient du sort réservé aux prisonniers communistes. Après les séances de torture, «pas une partie de leur corps n'avait une couleur normale». Les familles des victimes dont les corps ont été identifiés retournent également sur les lieux. Certains ont activement participé aux recherches et ne cachent pas leur horreur ainsi que leur détermination pour que justice soit faite. En effet, les assassins circulent toujours librement et beaucoup pensent qu'ils ne seront jamais inquiétés. Le frère d'une des victimes affirme: «Il faut que tout le monde sache quelle sorte de militaires nous avons ici. Je ne comprends pas comment un être humain peut faire une chose pareille. Pourtant, ils vont à la messe le dimanche...»