30 septembre, 2021

FABIEN GAY, NOUVEAU DIRECTEUR DE «L’HUMANITÉ »

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PATRICK LE HYARIC ET FABIEN GAY
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L’Humanité écrit une nouvelle page de son histoire

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L'HUMANITÉ

L’actuel directeur du groupe l’Humanité, Patrick Le Hyaric, a annoncé son départ. Le conseil de surveillance a validé, mercredi, la nomination de son successeur, Fabien Gay. Le sénateur de la Seine-Saint-Denis devient le huitième directeur du titre, depuis sa création par Jean Jaurès en 1904.

par  Caroline Constant 

PHOTO MARTIN BUREAU

L’un arrive, l’autre est sur le départ. Mercredi, le conseil de surveillance a validé la nomination de Fabien Gay au poste de directeur du groupe l’Humanité. Après vingt années à la tête du journal, l’actuel directeur, Patrick Le Hyaric, a décidé de quitter ses fonctions. L’occasion de revenir sur le parcours de ces deux hommes, le premier fils d’ouvriers, l’autre fils d’agriculteurs. Des trajectoires venues du monde du travail, dans la grande tradition de l’Humanité.

Les deux dirigeants se connaissent bien. Fabien Gay a été, durant dix mois, le collaborateur de Patrick Le Hyaric, à la tête du journal, en 2014. « C’était une expérience intense, confie le jeune sénateur communiste au téléphone. J’ai découvert, semaine après semaine, mois après mois, quelqu’un de très humain. Et une heure avec lui, c’est comme si tu avais lu un livre. J’ai beaucoup appris à ses côtés. C’est quelqu’un de dur au travail, d’exigeant, avec une rigueur intellectuelle hors du commun. » Le désormais ex-directeur de l’Humanité, de son côté, avait en tête le portrait-robot de son successeur : « Il convient d’élire un camarade qui connaisse bien l’Humanité et son fonctionnement, qui soit capable d’animer des équipes avec des personnalités fortes et diverses, qui soit capable de prendre des décisions parfois difficiles, et qui puisse maintenir des liens avec les institutions étatiques et le monde économique. » Toutes qualités qu’il a pu déceler chez Fabien Gay, dont il a proposé le nom.

Directeur de la Fête durant trois ans

Et Fabien Gay se dit « très heureux » de revenir à l’Humanité. Lui qui fut directeur sur trois éditions de la Fête, de 2015 à 2017, avant d’être élu sénateur, confie avoir « adoré » cette expérience, le travail, le sentiment d’urgence, et les équipes aussi. « La Fête, c’est ce qui rassemble toute la maison, estime-t-il, philosophe. Quand j’ai été élu sénateur de la Seine-Saint-Denis, en 2017, la seule chose qui m’a embarrassé, c’est de quitter le journal. » Il y revient « avec émotion, car c’est une très grosse responsabilité, en même temps qu’un très grand honneur d’y travailler ». Et a hâte de se mettre au travail, dans « cette belle maison qu’est l’Humanité ».

L’histoire est d’autant plus belle que Fabien Gay vient d’un milieu très modeste. Celui qui devient, à 37 ans, le plus jeune directeur de l’Humanité de tous les temps, est le fils d’une ouvrière et d’un tourneur-fraiseur devenu permanent de la CGT. Il a grandi dans un quartier populaire de Bordeaux, le Bacalan. Et il est le premier de sa famille à décrocher le baccalauréat, avant de se découvrir une passion pour l’étude à l’université de Bordeaux-III, où il décroche un master d’histoire contemporaine, de géographie, d’histoire des idées. « La fac, ça a été pour moi une révélation », avoue-t-il, de son accent chantant du Sud-Ouest. Parallèlement, il est très engagé dans son club de rugby, tour à tour joueur, entraîneur bénévole, éducateur. « Mon premier engagement militant, il est sportif », commente-t-il. Dans le club, se retrouvaient tous les gamins du coin, fils d’ouvriers, d’avocats ou d’architectes. « C’est un vrai lieu de socialisation, de vie, que je continue toujours à chercher dans le PCF comme dans mon rôle d’élu », affirme le jeune homme.

Côté engagement, il entre en politique avec la bataille contre le traité constitutionnel européen, puis les révoltes urbaines de 2005. Il prend assez vite des responsabilités au PCF, puis à la Jeunesse communiste (JC). Tout en poursuivant et finançant ses études, il travaille dans des champs de maïs, est tour à tour vendangeur, barman, serveur, et même, pendant neuf ans, animateur dans un village de vacances. Une expérience de la précarité qu’il n’oublie pas. C’est à cette époque qu’il collabore pour la première fois à l’Humanité, en participant au programme « Libres-échanges » qui ouvrait nos colonnes à de jeunes gens, avec un papier rageur sur Sarkozy et l’immigration. Fabien Gay a suivi son épouse en région parisienne, au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), où il est devenu permanent de la JC, avant d’entrer à l’Humanité, puis de devenir sénateur en septembre 2017. Thibaut Weiss, l’actuel directeur de la Fête de l’Humanité, a un souvenir ému de celui qu’il considère comme un « grand frère » : « Fabien a une vision. Il ne se contente jamais de rester strictement dans le rôle qu’on lui assigne. Il essaie d’aller le plus loin possible et d’emmener les gens avec lui, parce qu’il est généreux dans le travail, avec ses équipes. » Dans un moment où la Fête de l’Humanité doit être « réinventée », il considère que c’est « un atout » d’avoir comme directeur du journal quelqu’un qui en connaît les rouages.

Une page se tourne pour l’Humanité. Patrick Le Hyaric, en vingt années, a fait face à de véritables tornades. Il est arrivé en 2000, à 43 ans, dans un climat délétère, où le journal avait perdu des milliers d’abonnés. « Avec courage et abnégation, il a tenu le journal à bout de bras pendant deux décennies sans jamais se plaindre », dit de lui le PDG du groupe de la Dépêche du Midi, Jean-Michel Baylet, ancien président de l’Alliance de la presse d’information générale. « Ce qui m’a marqué chez lui, c’est qu’il est un véritable humaniste. En vrai radical-socialiste, j’apprécie beaucoup. Je l’ai toujours vu ouvert, jamais dans l’excès, ni dans l’intransigeance, à essayer de comprendre. Ça n’empêche pas les divergences. C’est un honnête homme dans tous les sens du terme », loue-t-il.

Protéger l’indépendance du journal

Et Patrick Le Hyaric a eu fort à faire. Il a été obligé, en guise de ticket de bienvenue, de procéder à un premier plan social qui l’a beaucoup affecté. Le dirigeant communiste, qui était directeur du journal la Terre, collaborateur d’André Lajoinie, a relevé les manches, convoqué les financements, placé inlassablement le personnel politique face à ses responsabilités. Il a dû affronter une véritable révolution dans les pratiques de lecture, d’abord avec l’arrivée des journaux gratuits, puis avec l’explosion d’Internet qui a totalement chamboulé tout le modèle économique des journaux. Son credo, durant toutes ces années : « Renouer avec les enseignements de Jaurès, et protéger l’Humanité pour la mettre au service de ceux qui en ont besoin », assure-t-on dans son entourage.

La dernière de ces tempêtes, en 2018, a failli signer la fin de l’aventure de l’Humanité, et il lui a fallu batailler pour inventer un nouveau modèle. Au final, d’une maison lestée par l’amertume et les ennuis financiers, en 2001, il laisse aujourd’hui une économie saine, un groupe de presse bien plus stable, composé de l’Humanité, de l’Humanité Dimanche, d’une plateforme Internet, mais aussi de la Terre et de Travailler au futur, avec des collectifs de travail soudés. « Ce qui caractérise Patrick, c’est son sens absolu des responsabilités, commente un proche.  Il pèse ses choix, et les assume, même quand ce n’est pas facile. Ça ne veut pas dire qu’il ait raison sur tout, mais c’est l’inverse de la bravade et de la gloriole, il y a même un côté très pudique chez lui. »

Les directeurs de la rédaction qui se sont succédé depuis 2001 saluent aussi l’immense dévouement du directeur sortant. Pour Pierre Laurent, en poste de 2001 à 2010, « le bilan sur les années 1998-2021 est extraordinaire ». Patrick Apel-Muller, qui a pris sa suite jusqu’en décembre 2019, estime pour sa part que Patrick Le Hyaric « a su protéger l’indépendance du journal, alors que des difficultés financières attiraient des prédateurs de tout poil. Au fil d’un dialogue parfois animé avec la rédaction, il a tracé le sillon d’un quotidien ouvert, communiste et à la confluence des débats de la gauche, exigeant intellectuellement et accessible à tous. Une denrée rare dans le paysage médiatique aujourd’hui ». Sébastien Crépel, actuel codirecteur de la rédaction aux côtés de Maud Vergnol, assure que « Patrick a toujours joué le rôle de paratonnerre pour l’Humanité et ses équipes. En toute circonstance, il a pris la défense des journalistes et de ce qu’ils écrivent, même quand, en son for intérieur, il lui est arrivé de ne pas être d’accord sur tout. Quand on prenait des risques, c’est lui qui affrontait le danger. Et pourtant, il n’a jamais demandé à quiconque de se censurer, il est très attaché à la liberté de chaque journaliste. En échange, il attend que nous soyons solidaires les uns des autres. Pour lui, rassembler, à l’intérieur comme autour de l’Humanité , faire la chaîne pour être plus forts, c’est une préoccupation constante depuis vingt ans ».

Un nouveau chapitre du journal de Jaurès s’ouvre. Patrick Le Hyaric, qui continuera à s’occuper du développement de la Terre et de Travailler au futur, rappelle que «  l’Humanité est un trésor que nous lègue le mouvement ouvrier et communiste. Il est le seul journal de cette nature dans le monde capitaliste, un journal d’inspiration, de combat et de création communiste. C’est un caillou dérangeant pour le talon de fer du capital, observé, jalousé, et qui, à n’en pas douter, continuera à faire l’objet de manœuvres pour l’ôter au courant communiste et progressis te ». Fabien Gay assure : « Nous continuerons à faire de l’Humanité un journal ouvert sur la société, avec des informations qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, qui fait vivre ses valeurs, montre l’actualité sous un autre angle, la décrypte et la rend accessible au plus grand nombre. Et ce, avec tous les défis qui attendent ses équipes. »

Dans tous les cas, comme l’a déclaré Patrick Le Hyaric, « l’Humanité est un combat quotidien, qu’il faudra continuer à mener tous ensemble ».

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