06 août, 2024

NAGASAKI N’INVITE PAS L’AMBASSADEUR D’ISRAËL AU JAPON POUR LES COMMÉMORATIONS DU BOMBARDEMENT ATOMIQUE

  [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

DES PIGEONS SONT LÂCHÉS AU DESSUS DU MÉMORIAL DE LA PAIX D’HIROSHIMA
 LORS DU 79E ANNIVERSAIRE DU BOMBARDEMENT ATOMIQUE À HIROSHIMA,
DANS L’OUEST DU JAPON, LE 6 AOÛT 2024.
PHOTTO KYODO / VIA REUTERS

1945  - 6 et 9 août - 2024

LOGO
LE MONDE

INTERNATIONAL / JAPON / Nagasaki n’invite pas l’ambassadeur d’Israël au Japon pour les commémorations du bombardement atomique / Des manifestations critiques de l’État hébreu ont mobilisé les survivants contre la venue du diplomate, qui était toutefois mardi à Hiroshima, dont le maire veut qu’il entende le traditionnel « message de paix ».

Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)

DESSIN NÉSTOR SALAS
Temps de Lecture 3 min.

L’ambassadeur d’Israël au Japon, Gilad Cohen, était à Hiroshima mardi 6 août, mais ne sera pas à Nagasaki le 9, pour le 79e anniversaire des bombardements atomiques américains de 1945 sur les deux villes du sud-ouest de l’archipel. Au terme de vifs débats sur fond de manifestations contre l’offensive israélienne à Gaza, la municipalité d’Hiroshima l’a invité, comme elle le fait tous les ans. Celle de Nagasaki n’a pas souhaité sa venue, officiellement pour des raisons de sécurité.

Jugeant « regrettable » la décision de cette dernière, M. Cohen a souligné dans un message sur le réseau social X qu’Israël et le Japon partagent les mêmes valeurs et que son pays « assiste à cette cérémonie depuis de nombreuses années pour rendre hommage aux victimes et à leurs familles ». Et l’ambassadeur de rappeler qu’« Israël mène une guerre imposée par l’organisation terroriste soutenue par l’Iran, le Hamas, à la suite de sa brutale attaque du 7 octobre » et qu’« il n’y a pas de comparaison possible » avec « les autres conflits ».

M. Cohen pointe Nagasaki mais l’invitation adressée par Hiroshima est accompagnée d’une note appelant Israël « à faire un pas vers la paix », et jugeant « profondément regrettables les nombreuses pertes humaines ».

À Hiroshima comme à Nagasaki, le souvenir des bombardements atomiques américains de 1945, qui ont fait 140 000 morts à Hiroshima et 74 000 à Nagasaki, nourrit un puissant courant pacifiste porté par les hibakushas – les survivants des attaques atomiques. Ce mouvement les amène à condamner toute forme de conflit. La guerre entre Israël et le Hamas n’y échappe pas et depuis le début de la riposte israélienne à l’attaque du Hamas, les deux villes sont le théâtre de manifestations limitées mais régulières contre le massacre à Gaza, accompagnées d’appels à ne pas inviter l’Etat hébreu.

Choix « difficile »

Le 9 mai, à l’occasion du 500ème rassemblement mensuel de Nagasaki pour la paix et contre les armes nucléaires, les participants ont brandi des panneaux appelant à la cessation des combats en Ukraine et à Gaza. C’est dans ce contexte que le maire, Shiro Suzuki, a envoyé en juin une lettre à Israël appelant à un cessez-le-feu dans le territoire palestinien. Il conditionnait l’invitation de son ambassadeur à une amélioration de la situation à Gaza, seule à même, selon lui, d’éviter des troubles dans sa ville.

LES PARTICIPANTS OBSERVENT UNE MINUTE DE SILENCE LORS DE
 LA CÉRÉMONIE AU PARC DU MÉMORIAL DE LA PAIX, À HIROSHIMA,
 LE 6 AOÛT 2024. STR / AFP

Le 1er août, M. Suzuki a confirmé l’exclusion d’Israël des cérémonies du 9 août. « Cette décision n’est pas fondée sur des considérations politiques, mais sur notre désir de tenir la cérémonie de commémoration des victimes des bombardements atomiques dans une atmosphère pacifique et solennelle, et de veiller à ce qu’elle se déroule sans heurts », a-t-il déclaré, qualifiant son choix de « difficile ». Nagasaki a dans le même temps invité l’Autorité palestinienne, qui « n’est pas partie prenante du conflit » entre Israël et le Hamas.

Hiroshima a fait un choix différent. En conférence de presse le 24 avril, le maire, Kazumi Matsui, a confirmé l’invitation de l’État hébreu le 6 août. À ses yeux, la position historique d’Hiroshima est de convier tout le monde, même les représentants de régions en guerre, afin de leur faire entendre la traditionnelle « déclaration pour la paix » délivrée lors de la cérémonie et qui, cette fois, a déploré la « dégradation de la situation entre Israël et Palestine », entraînant « la perte d’un nombre incalculable de vies humaines ». Les représentants de 115 pays et de l’Union européenne ont assisté à la commémoration d’Hiroshima, un record.

L’invitation d’Israël a suscité une vague de protestation. Le 6 mai, la Communauté de veille Hiroshima-Palestine, association active depuis les massacres du Hamas le 7 octobre 2023 et les bombardements de Gaza, a lancé une pétition contre l’invitation. Le 4 août, elle avait recueilli 32 200 signatures. Hiroshima a été accusée de pratiquer le « deux poids deux mesures » en excluant la Russie et la Biélorussie mais en autorisant Israël à participer.

« Une mauvaise image d’Hiroshima »

Le 8 mai, les organisations de hibakushas et la section locale de l’Association pour un Japon pacifique, démocratique et progressiste (Hiroshima Kakushinkon), ont déploré une invitation qui « donne une mauvaise image d’Hiroshima, ville internationale de paix et de culture ». Elles ont appelé M. Matsui à « exhorter fermement la Russie et Israël à cesser immédiatement leurs opérations militaires ». La municipalité a reçu des centaines de messages sur la question. L’un d’eux disait : « En invitant Israël, la ville d’Hiroshima cautionne le massacre dans la bande de Gaza. »

Waleed Siam, le représentant au Japon de la Palestine – non invitée car non reconnue comme un État – a regretté que les « victimes » ne soient pas présentes mais que les « auteurs » de massacres le soient. Lors du conseil municipal du 21 mai, la municipalité d’Hiroshima a rappelé que la Russie n’était pas invitée car elle a justifié l’attaque en Ukraine par des « allégations mensongères ». « La situation est différente » avec Israël, a précisé la municipalité, tout en soulignant que sa présence le 6 août « ne signifie pas que nous acceptons l’offensive sur Gaza ».

LA « CLOCHE DE LA PAIX » SONNE LORS DES CÉRÉMONIES MARQUANT LE
 79ème ANNIVERSAIRE DE LA PREMIÈRE ATTAQUE À LA BOMBE ATOMIQUE
 AU MONDE, AU PARC DU MÉMORIAL DE LA PAIX, À HIROSHIMA,
 LE 6 AOÛT 2024. STR / AFP

Le gouvernement japonais, qui n’a pas pris position dans le conflit, n’est pas intervenu dans les choix des deux villes. Depuis le début de la guerre, Tokyo appelle à la retenue mais ne veut mécontenter ni son allié américain ni le monde arabe, afin de préserver son approvisionnement en pétrole. « Tokyo adopte une certaine neutralité car il a besoin de bonnes relations avec les deux camps », confirme Toshimitsu Shigemura, de l’université Waseda, qui constate toutefois une couverture médiatique japonaise du conflit assez négative pour Israël. Un penchant que pourrait, selon lui, exacerber la décision de Nagasaki « dont la posture morale a une forte influence ».

Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)

Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)

SUR LE MÊME SUJET :