21 septembre, 2000

LA CIA RÉVÈLE SES BARBOUZERIES AU CHILI

CAPTURE D'ÉCRAN

Les États-Unis admettent avoir soutenu «activement» la junte de Pinochet.

par Pascal RICHE Washington de notre correspondant

Sobrement titré: «Les activités de la CIA au Chili», le rapport n'est pas très épais: 22 pages très denses. C'est à reculons que la CIA l'a remis cette semaine au Congrès américain, à la demande que ce dernier lui avait faite en 1999 (1). Pour la première fois depuis le coup d'État d'Augusto Pinochet, en septembre 1973, l'agence de contre-espionnage a accepté de revenir, en détail, sur le soutien qu'elle a apporté à la dictature chilienne.

Rémunérer un tueur. Le rapport déclare tout de go que «la CIA a activement soutenu la junte militaire après le renversement d'Allende», mais il va plus loin, puisqu'il reconnaît que l'agence américaine avait pour contacts, même pour agents, certains des «nombreux officiers de Pinochet impliqués dans des violations des droits de l'homme systématiques». Parmi ces officiers, la CIA explique qu'elle a eu pour contact Manuel Contreras, le chef de la Dina (Dirección nacional de inteligencia), police politique de sinistre mémoire. Elle l'a même rémunéré ­ par «erreur»­ en 1975. Or c'est Manuel Contreras qui a fomenté l'assassinat, à Washington en 1976, de l'ex-ambassadeur d'Allende, Orlando Letelier, et de sa secrétaire américaine, Ronni Moffitt. La CIA savait-elle que Contreras avait des activités terroristes aux États-Unis? «Elle savait en tout cas qu'elle avait pour agent quelqu'un qui menait des activités terroristes dans d'autres pays, qui faisait froidement tuer des gens», constate Peter Kornbluh, un chercheur qui dirige à Washington le National Security Archives, institut indépendant qui diffuse les documents déclassifiés (1): «Quelques mois avant de l'embaucher, la CIA disait elle-même qu'à l'intérieur de la junte Contreras était, je cite, "le principal obstacle à une politique des droits de l'homme raisonnable"!» Les contacts entre la CIA et Contreras se sont poursuivis après l'explosion de la voiture de Letelier. Et ce bien que «son éventuel rôle dans l'assassinat de Letelier soit devenu un problème», souligne le rapport. Contreras, qui purge une peine de sept ans au Chili, a démenti ses déclarations. La CIA reconnaît aussi qu'elle a suivi de près les préparatifs de l'«opération Condor», organisée par plusieurs dictatures latino-américaines, et qui consistait à traquer les opposants aux dictatures pour les tuer.

L'agence nie avoir participé directement au coup d'État de Pinochet: «Nous n'avons trouvé aucune information» sur une telle participation, dit le rapport, qui défend au passage la thèse selon laquelle Salvador Allende se serait suicidé, alors qu'il s'était vu offrir la possibilité de fuir. Evoquant les «scrupules internes» à l'agence, les auteurs anonymes du rapport écrivent qu'avant septembre 1973 «les officiers de la CIA étaient préoccupés par le flou de la frontière entre la surveillance des complots (collecter des informations sur ces activités, tout en se gardant de les diriger ou de les influencer) et le soutien, fût-il implicite, à un coup d'État». La CIA a en tout cas tout fait pour que Pinochet sache que son coup d'État serait «toléré».

L'agence, en revanche, ne nie pas avoir financé et armé trois différents groupes, trois ans plus tôt, pour empêcher Salvador Allende de prendre le pouvoir. C'était l'opération «Track II», demandée par Nixon, qui jugeait l'arrivée de la gauche «inacceptable pour les États-Unis». Quatre agents américains devaient aider les putschistes. L'idée était de kidnapper le chef des armées, Rene Schneider. De le supprimer peut-être, même si l'agence jure qu'elle n'a «aucune information» permettant de le penser.

«Humanitaire». L'un des groupes, conduits par un général à la retraite, Roberto Viaux, entouré de jeunes officiers, a fini par tuer Schneider en octobre 1970, mais le putsch a échoué. La CIA lui avait déconseillé d'agir, jugeant prématurée la date choisie. Elle n'en a pas moins continué à financer ce groupe. Le rapport explique que l'argent versé avait pour but de «maintenir secret le premier contact», de «s'assurer de la bonne volonté du groupe» et, ajoutent bizarrement les auteurs, qu'il répondait «à des considérations humanitaires»... .

Notes :

(1) L'«amendement Hinchey», voté à l'initiative de Maurice Hinchey, exigeait la publication d'un rapport sur les relations de la CIA avec le régime de Pinochet.

(2) La National Security Archives a mis mardi soir le rapport en ligne: 

https://nsarchive.gwu.edu/project/chile-documentation-project