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Avec son documentaire diffusé sur France 5, la cinéaste franco-chilienne Carmen Castillo fait revivre le coup d’Etat du général Pinochet à travers les yeux du personnel diplomatique français en poste à l’époque à Santiago.
Les dramatiques événements survenus en septembre 1973 dans les rues de Santiago du Chili lors de la prise du pouvoir par l’armée ont donné lieu à de nombreux reportages, fictions et documentaires. Le palais de la Moneda bombardé, le président Allende casqué, prêt à mourir, les derniers appels à l’aide grésillant à la radio pendant que les coups de feu retentissent et que les avions de chasse survolent la capitale chilienne, tous ces éléments forment une dramaturgie propice à la mise en images.
Invitée d’honneur du Festival international de documentaires (Fipadoc), qui s’est tenu à Biarritz du 21 au 26 janvier, la cinéaste Carmen Castillo, qui a fui son Chili natal lorsque Augusto Pinochet a pris le pouvoir, ne cesse de livrer des œuvres remarquées sur cette période. Avec ce documentaire centré sur l’action des diplomates français en poste à Santiago à l’époque des faits, Carmen Castillo choisit un angle passionnant. Car, à travers les faits et gestes des personnels diplomatiques français, menés par l’ambassadeur Pierre de Menthon et son épouse Françoise, se pose une question fondamentale : un diplomate peut-il sortir de sa réserve et désobéir à sa hiérarchie lorsqu’il s’agit de sauver des êtres humains ? La réponse apportée, entre septembre 1973 et avril 1974, par le couple de Menthon et leurs collaborateurs montre que oui.
Atmosphère angoissante
En accueillant dans l’enceinte de l’ambassade et celle de sa propre résidence des centaines de militants fuyant la torture et la mort, en transformant ces espaces officiels en dortoirs et cantines de fortune, Pierre et Françoise de Menthon ont pris de vrais risques : par rapport à la junte chilienne, mais aussi par rapport au pouvoir politique français. Car à l’époque, en France, alors que l’Union de la gauche entre PS, PC et Radicaux prend forme, ni le président Pompidou ni Pierre Messmer, son premier ministre, ne tiennent en haute estime – c’est une litote – Salvador Allende. En résumé, la France n’est pas pour le coup d’Etat militaire mais s’il a eu lieu, c’est la faute de ce dangereux gauchiste d’Allende…
Entre souvenirs de réfugiés, archives d’époque, témoignages d’anciens diplomates et extraits des Mémoires du couple De Menthon, le documentaire parvient à capter l’atmosphère angoissante régnant à Santiago. Sitôt sorti des enceintes diplomatiques protégées, on peut, au petit matin, voir des cadavres flotter dans les eaux troubles du Mapocho. La nuit, des coups de feu sont tirés près de l’ambassade et les militants réfugiés sont terrorisés. Consignant tous les éléments d’une vie quotidienne sortant tout à coup de l’ordinaire, Françoise de Menthon raconte avec talent et émotion les relations qui se nouent, les peurs, l’espoir d’obtenir enfin le sauf-conduit qui permettra de sortir de ce refuge de fortune pour s’envoler vers Paris.
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Environ 600 militants opposés au pouvoir militaire seront sauvés par les diplomates français. Obligés eux aussi de vivre entre deux espaces-temps, les personnels jonglent entre aide humanitaire dans leurs locaux et démarches diplomatiques ordinaires à l’extérieur. Il faut maintenir de bonnes relations avec la junte afin d’obtenir les précieux sauf-conduits, dont les premiers ne seront délivrés qu’en décembre 1973. Dans les réceptions, les diplomates français côtoient des citoyens chiliens ravis de s’être débarrassés du péril communiste. « Je ne peux plus supporter ces réceptions ! », écrit Françoise de Menthon. Jusqu’en avril 1974, date de leur départ du Chili, le couple prendra soin des derniers militants réfugiés à l’ambassade.
Chili 1973 : une ambassade face au coup d’Etat, de Carmen Castillo (Fr., 2019, 60 min). www.lesfilmsdici.fr/fr/en-production/5192-chili-1973-une-ambassade-face-au-coup-detat.html
Alain Constant