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LES FAITS Contraints de fuir le pays après le putsch du général Augusto Pinochet le 11 septembre 1973, des milliers d’opposants chiliens ont trouvé refuge en France. Trois d’entre eux témoignent./ C’était il y a cinquante ans et pourtant, il est impossible pour Ricardo Parvex d’oublier ce 11 septembre 1973, le jour où le général Augusto Pinochet a renversé le président Salvador Allende au Chili. « C’est comme si ces événements étaient arrivés hier. Le caractère cyclique des anniversaires nous ramène des années en arrière et on revit certaines choses », raconte ce Chilien de 76 ans forcé, à 29 ans, à quitter son pays dans l’urgence et à s’exiler en France.
Par Johanna Beeckman
Temps de Lecture 4 min.
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DESSIN DE PLANTU PUBLIÉ DANS LE MONDE DU 11 SEPTEMBRE 2003 |
Leyla Guzman, elle, avait 3 ans lorsque le palais de la Moneda a été bombardé. Pourtant, avec ses yeux d’enfant de l’époque, elle garde des souvenirs nets des fouilles de sa maison par les militaires : « Ils retournaient tout et ça faisait peur. » Malgré son jeune âge, elle comprenait la gravité de la situation. « À l’école, les années suivantes, on nous obligeait à défiler le 11 septembre, raconte-t-elle. Pour ma dernière année de primaire, à 11 ans, j’ai refusé avec la conscience de pourquoi je ne le faisais pas : je ne voulais pas défiler pour Pinochet. »
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ILLUSTRATION KATIA ODARTCHENKO |
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Comme Ricardo et Leyla, près de 15 000 réfugiés chiliens, des militants de gauche et leur famille, ont trouvé refuge en France après 1973, notamment grâce à l’action personnelle de l’ambassadeur français de l’époque, Pierre de Menthon, et de son épouse. Sans réelles instructions de l’exécutif alors dirigé par Georges Pompidou, le couple a ouvert les portes de la représentation diplomatique à Santiago et a permis l’obtention par les autorités putschistes chiliennes de près de 800 laissez-passer.
« Torture psychique »
Du coup d’Etat militaire, les réfugiés gardent des séquelles profondes. Leyla Guzman, qui a quitté le Chili en 1982, à l’âge de 12 ans, n’y est retournée qu’en 1991, un an après le retour de la démocratie. « La première fois, je ne pouvais pas sortir seule, se remémore-t-elle. J’avais des nausées et des angoisses. Inconsciemment, j’avais peur. » Alors à l’approche du 11 septembre, l’émotion est perceptible. Les larmes coulent parfois et les souvenirs douloureux resurgissent. « Je me souviens des heures suspendu par les bras, des chocs électriques, des interdictions de boire et de manger et surtout de la torture psychique endurée », confie Ricardo Parvex, ancien militant au Mouvement de la gauche révolutionnaire. En janvier 1976, la police chilienne lui donne trois mois pour partir.
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LA RÉFUGIÉE POLITIQUE CHILIENNE LEYLA GUZMAN À LA MAISON DU CITOYEN ET DE LA VIE ASSOCIATIVE DE FONTENAY-SOUS-BOIS (VAL-DE-MARNE), LE 31 AOÛT 2023. PHOTO CELINE VILLEGAS POUR « LE MONDE » |
Son frère, socialiste, s’est, lui, fait enlever par la DINA, la police politique chilienne, et a disparu pendant quatre mois, pour ensuite se faire expulser en Angleterre. A l’inverse de Ricardo, qui a préféré rester en France avec ses enfants, il est retourné au Chili et a participé au premier mandat de la socialiste Michelle Bachelet (2006-2010) en tant qu’économiste.
Si l’expérience de l’exil n’a pas été vécue de la même façon par tous, leur prise en charge en France a généralement été rapide grâce aux milieux associatifs (Cimade, France terre d’asile, Secours catholique…) et aux mairies, comme celles de Montreuil (Seine-Saint-Denis), Grenoble (Isère) ou encore Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), qui avaient à leur tête des maires communistes et socialistes. Dans cet élan de solidarité, les milieux de gauche et d’anciens résistants ont été particulièrement actifs.
Aujourd’hui vice-président de l’Association d’ex-prisonniers politiques chiliens, Ricardo Parvex s’implique activement dans les préparatifs du rassemblement pour la commémoration du 11 septembre à Paris. Mais l’amertume se lit sur les visages. « Il y a des criminels qui n’ont pas été jugés et ceux qui l’ont été sont dans une prison de luxe », s’indigne Antonio Valdivia, ancien adhérent aux Jeunesses communistes du Chili. Ce membre du Parti communiste chilien de 69 ans ne décolère pas contre l’impunité dont ont bénéficié la plupart des tortionnaires de la dictature.
Profonde reconnaissance
Leyla Guzman partage ce sentiment amer. Elle rappelle que les assassins du chanteur et compositeur Victor Jara, tué au lendemain du coup d’Etat de 1973, n’ont été condamnés que récemment. Cette chaleureuse femme de 53 ans, éducatrice à la citoyenneté et aux relations internationales, coordonne « l’année Chili » à la Maison du citoyen et de la vie associative de Fontenay-sous-Bois. Tout un symbole : ce lieu a d’abord servi de foyer d’accueil pour les réfugiés politiques latino-américains. C’est là que Leyla a logé, un temps, avec sa mère.
Cours de français, aides au logement, aide médicale gratuite… A l’arrivée en France des réfugiés chiliens, tout un dispositif d’accueil a été mis en place. Mais pour Leyla Guzman, comme pour d’autres, l’intégration n’a pas été facile. Partie seule dans un premier temps auprès de sa tante déjà exilée, rejointe deux ans plus tard par sa mère, elle a été placée dans une classe d’initiation pour non-francophones avec des enfants beaucoup plus jeunes qu’elle. « Je séchais les cours pour aller militer », avoue-t-elle.
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LE RÉFUGIÉ POLITIQUE CHILIEN ANTONIO VALDIVIA À SON DOMICILE DE GOURNAY-SUR-MARNE (SEINE-SAINT-DENIS) LE 31 AOÛT 2023. PHOTO CELINE VILLEGAS POUR « LE MONDE » |
Malgré les difficultés, Ricardo Parvex, Leyla Guzman et Antonio Valdivia éprouvent une profonde reconnaissance pour leur terre d’exil. « Un accueil comme celui-ci, on n’en verra plus, déplore Ricardo. L’époque était particulière. Aujourd’hui, la situation est devenue plus difficile : l’extrême droite et la xénophobie sont en hausse, en France, en Italie, en Hongrie… Et dans l’opinion publique, la prédisposition à accueillir n’est plus la même. »
« Réparer les blessures »
Pour ces anciens réfugiés, commémorer constitue un devoir. « Ce travail est une lutte permanente et importante pour réparer les blessures » et éviter que les atrocités de la dictature ne se répètent, estime Leyla. Sans cela, pense-t-elle, le Chili n’est pas à l’abri d’un regain de violence et de répression. Depuis la France, elle a assisté au mouvement social de 2019 contre les inégalités et le modèle ultralibéral chilien et se rappelle avoir été choquée d’assister au déploiement « démesuré » des forces de sécurité : près de 200 manifestants avaient été éborgnés. « Pendant le couvre-feu imposé alors, les militaires enlevaient des gens dans la rue. Ces méthodes nous ont fait penser au 11 septembre », regrette-t-elle. La déception a été encore plus grande quand le projet de nouvelle Constitution, pour remplacer celle de Pinochet, a été rejeté à 62 % lors du référendum de septembre 2022.
Devenus parents, Ricardo, Leyla et Antonio ont raconté leur histoire à leurs enfants et petits-enfants, avec lesquels ils parlent en espagnol. « Leur pays, c’est la France », précise Leyla, mais ils « se sentent impliqués émotionnellement », dit-elle. Parmi les amis des trois réfugiés, d’autres exilés chiliens ont choisi, au contraire, de ne pas transmettre et de faire table rase de ce passé trop douloureux.
En visite à Paris le 21 juillet, Gabriel Boric, l’actuel président du Chili, s’était adressé à la communauté chilienne de France lors d’une projection à la Maison de l’Amérique latine d’un documentaire sur les opposants ayant trouvé refuge à l’ambassade de France à Santiago : « Je voudrais dire, avec une grande responsabilité, au nom de l’Etat, pardon. (…) Votre combat n’a pas été vain. »
Johanna Beeckman
Johanna Beeckman
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DESSIN PATRICIO PALOMO
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