28 septembre, 2023

PREMIÈRE INTERNATIONALE OUVRIÈRE, À L’AUBE DU SYNDICALISME

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KARL MARX S'ADRESSE À UN CONGRÈS.
©GETTY - UNIVERSAL HISTORY ARCHIVE/UNIVERSAL IMAGES GROUP

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RFI - RADIO FRANCE CULTUREE,
SÉRIE « AUX ORIGINES DU SYNDICALISME »
PREMIÈRE INTERNATIONALE OUVRIÈRE, À L’AUBE DU SYNDICALISME
« LE COURS DE L'HISTOIRE » PAR XAVIER MAUDUIT
DIFFUSION VENDREDI 7 AVRIL 2023

 1864 - 28 septembre - 2023

Le 28 septembre 1864, réunis au Saint-Martin's Hall à Londres, des travailleurs anglais, français, allemands et italiens fondent ensemble l'Association Internationale des travailleurs. En quoi cette Première Internationale ouvrière est-elle un jalon fondateur de l’histoire des luttes sociales ?

Avec
  • Jean-Numa Ducange Historien, professeur à l'Université de Rouen Normandie, spécialiste de l'histoire des gauches, des mouvements ouvriers et socialistes européens
  • Emmanuel Jousse Maître de conférences en histoire contemporaine à Sciences Po Lyon, directeur des Cahiers Jaurès
©GETTY - UNIVERSAL HISTORY
 ARCHIVE/UNIVERSAL IMAGES GROUP
En septembre 1864, les ouvriers relieurs de Paris se mettent en grève ! Le quotidien La Presse annonce leurs revendications, qui portent essentiellement sur le temps de travail et les salaires… À deux reprises, la police les a dispersés, rapporte le journal, et il sera pris contre les ouvriers récalcitrants toutes les mesures jugées propres à les réduire au silence… Au même moment, à Londres, des travailleurs de tous les pays se réunissent et fondent l'Association Internationale des travailleurs.

1848, vers une union du monde ouvrier ?

Le mouvement ouvrier se structure tout au long du XIXe siècle. La Ligue des communistes, en activité entre 1847 et 1852, édite en 1848 le célèbre Manifeste du parti communiste, rédigé par Karl Marx et Friedrich Engels. C’est dans ce texte qu’apparaît l’idée d’une union des prolétaires par-delà les appartenances nationales ("Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !"), qui préfigure le projet de la Première Internationale. Les mouvements révolutionnaires de 1848, qui touchent toute l’Europe, contribuent également à la diffusion d’idées progressistes, et, après l’échec et la répression du Printemps des peuples, et l’exil de nombre de militants, à des mouvements de populations, qui favorisent la rencontre entre des personnes d’origines différentes. À travers elles, ce sont différents héritages et courants de pensées qui se confrontent et s’enrichissent mutuellement.

Pour l’historien Jean-Numa Ducange, il faut souligner que les révolutions de 1848 sont des événements historiques importants dans cette histoire ouvrière et syndicaliste : "Les révolutions de 1848 ont contribué à rapprocher un certain nombre d’ouvriers et d’ouvrières de différents pays européens. Si d’autres révolutions les ont précédées, notamment celle de 1789, les révolutions de 1848 mêlent des revendications démocratiques, sociales et nationales."
À réécouter : Sous les drapeaux rouges
Grande Traversée : Karl Marx, l'inconnu

En France, la politique libérale mise en place par Napoléon III sous le Second Empire contribue à nourrir un climat de tolérance. En 1862, l’empereur autorise ainsi une délégation ouvrière française à participer à l’Exposition universelle de Londres. Les délégués français découvrent alors une classe ouvrière anglaise très organisée, sous la houlette des syndicats britanniques, les trade-unions. En 1864, la loi Ollivier instaure un droit de grève encore strictement réglementé, mais néanmoins réel.

La création de la Première Internationale s’inscrit ainsi dans un contexte social, économique, politique et idéologique spécifique, et synthétise une pluralité d’opinions et de revendications qui circulent en Europe au XIXe siècle. L’Association internationale des travailleurs se propose ainsi de développer le mouvement ouvrier, et de favoriser la coopération internationale entre les travailleurs, afin de renforcer la lutte pour l'affranchissement social.

L'Association internationale des travailleurs

La grande nouveauté de cette association est de concevoir son action à l’échelle internationale, par-delà les frontières des États-nations. Pour ses fondateurs, baignés de culture pacifiste, c’est d’abord un moyen de lutter contre les politiques étrangères bellicistes des gouvernements, en donnant la priorité aux intérêts de la classe ouvrière. C’est également une manière de contourner le marché mondial que la Révolution industrielle contribue à faire advenir, qui met en compétition les travailleurs, pour affirmer la prépondérance de la solidarité ouvrière. Les patrons d’industrie n’hésitent pas en effet à recruter de la main-d’œuvre étrangère pour briser les grèves ou faire baisser le coût du travail, et donc les salaires.

L’historien Emmanuel Jousse revient sur les origines de cette Association : "Certes, la loi Le Chapelier de 1791 interdit les corporations, réduisant d’emblée le nombre et l’importance de regroupements de syndicats dans ce premier XIXe siècle. Néanmoins, il existe un certain nombre de structures autorisées ou tolérées par le Second Empire, comme par exemple les chambres syndicales qui sont des formes d’organisation pratiques pour certaines professions. En 1864, les ouvriers obtiennent même le droit de coalition, ce qui permet largement d’encourager le développement de l’Association internationale des travailleurs."

Tensions et divergences, la difficile union des ouvriers
Les revendications de la Première Internationale tournent autour de l’émancipation des travailleurs et de l'amélioration de leurs conditions de vie. Quelques points de convergence font l’unanimité parmi les militants, mais d’autres, comme le rôle dévolu à l’État, la place de la grève, ou le travail des femmes, sont des éléments de discorde. Dès les débuts du mouvement, les mutuellistes, qui s’inscrivent dans la filiation de Proudhon, croisent le fer avec les collectivistes, plus proches de la pensée de Marx. Le troisième congrès de l’Association internationale des travailleurs, qui se tient à Bruxelles en 1868, voit la victoire des partisans du collectivisme et du syndicalisme. Le principe de la grève générale est ainsi adopté comme le moyen privilégié de la lutte ouvrière.

En 1869, la tension au sein du mouvement internationaliste est à son apogée, alors que s’affrontent les tenants de la pensée de Bakounine et ceux de la pensée de Marx. L’Association internationale des travailleurs est au bord de l’implosion et ne survit pas à ces dissensions. Elle disparaît en effet en 1876, minée par les conflits internes, et la sécession des bakouninistes en 1872, après que le huitième congrès, qui se tient à La Haye, a exclu Bakounine de l’Internationale. Malgré un échec institutionnel patent, la Première Internationale laisse un héritage militant important, auquel le XXe siècle ne cesse de se référer pour construire l’avenir du mouvement ouvrier.


Pour en parler
Emmanuel Jousse est maître de conférences en histoire contemporaine à Sciences Po Lyon, directeur des Cahiers Jaurès.
Il a notamment publié :
Jean Jaurès. Penser dans la mêlée (1907-1910) (avec Jean-François Chanet, Fayard, 2021)
Les Hommes révoltés. Les origines intellectuelles du réformisme en France (Fayard, 2017)
Jean-Numa Ducange est professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Rouen Normandie. Il est spécialiste de l'histoire des gauches, des mouvements ouvriers et socialistes européens, notamment français, allemand et autrichien.  
Il a notamment publié :
La République ensanglantée. Berlin, Vienne : aux sources du nazisme (Armand Colin, 2022)
Que sais-je ? Marx de A à Z (Presses universitaires de France, 2021)
Quand la gauche pensait la nation. Nationalités et socialismes à la Belle époque (Fayard, 2021)
Histoire globale des socialismes, XIXe-XXIe siècle (avec Razmig Keucheyan et Stéphanie Roza, Presses universitaires de France, 2021)
Pour aller plus loin
Découvrir l'exposition "Marx en France. Histoire, usages et représentations" au Musée de l'histoire vivante de Montreuil du 25 mars au 31 décembre 2023.
Références sonores
Micro-trottoir sur le syndicalisme ouvrier, Où va le syndicalisme ouvrier ?, RTF, 30 août 1963
Film Le Jeune Karl Marx de Raoul Peck, 2017
Archive sur la grève de 1869, Collège des ondes syndicalismes, 10 décembre 1963
Film La Commune (Paris, 1871) de Peter Watkins, 2004
Archive sur Léo Ferré et l'anarchisme, avec Yves Montand, Journal de 20h, TF1, 6 avril 1984
Extrait de la musique L'Internationale dans le film Milou en mai de Louis Malle, 1990
Générique de l'émission : Origami de Rone
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CHILI : UNE NOUVELLE CONSTITUTION PIRE QUE CELLE DE PINOCHET ?

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LE PRÉSIDENT GABRIEL BORIC PREND LA PAROLE DEVANT
 LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,  DOMINÉ PAR LE PARTI
 RÉPUBLICAIN, CHARGÉ D'ÉLABORER
LA NOUVELLE CONSTITUTION,
À SANTIAGO LE 7 JUIN 2023.
PHOTO MARTIN BERNETTI/AFP
Après le rejet du projet progressiste porté en 2022 par la gauche et les mouvements sociaux, l’extrême droite chilienne dirige actuellement la rédaction d’un nouveau texte, conservateur et ultralibéral. 

par Luis Reygada 

5 min

« K4st veut imposer l’état
 antisocial de droite»
FLYER PCCH

Dur retour de bâton. En septembre 2022, le Chili était sur le point de tirer un trait sur un des pesants vestiges de l’ère Pinochet avec l’adoption d’une nouvelle constitution, présentée comme « la plus progressiste du monde ». Une charte fondamentale féministe et paritaire, rédigée par 154 membres issus en grande partie des mouvements sociaux et des partis politiques de gauche et faisant la part belle à l’État social et démocratique, au « plurinationalisme » et à l’écologie.

Un texte qui répondait en grande partie aux aspirations exprimées par les Chiliens lors des impressionnantes manifestations populaires de fin 2019, avec des exigences bien précises, dans un pays exsangue après plusieurs décennies d’ultralibéralisme : droit universel à la santé, accès gratuit à l’éducation, fin de la privatisation de l’eau…

Un an plus tard, après le rejet massif par référendum (62 %) de ce projet qui avait pourtant réveillé tant d’espoirs, les Chiliens seront bientôt amenés à se prononcer sur un nouveau texte, d’abord issu d’un avant-projet élaboré par une commission d’experts désignée par le Congrès et maintenant défini par un Conseil constitutionnel dominé par le Parti républicain. C’est-à-dire par l’extrême droite.

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FLYERS PCCH 30S

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25 septembre, 2023

L'AMBASSADE DE CUBA À WASHINGTON VISÉE PAR DES COCKTAILS MOLOTOV

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 L'AMBASSADE DE CUBA À WASHINGTON
PHOTO PRENSA LATINA
L'ambassade de Cuba à Washington visée par des cocktails Molotov/ Il s'agit de la deuxième attaque contre la mission cubaine à Washington ces dernières années./ L'ambassade de Cuba à Washington a été visée dimanche 24 septembre au soir par deux tirs de cocktails Molotov, a indiqué le chef de la diplomatie cubaine, qualifiant l'incident d'«attaque terroriste».

Par Le Figaro avec l'AFP

PHOTO PRENSA LATINA

«l'ambassade de Cuba aux États-Unis a été la cible d'une attaque terroriste perpétrée par un individu qui a lancé deux cocktails Molotov», a déclaré Bruno Rodríguez dans un message publié sur le réseau social X (ex-Twitter). «Le personnel (de l'ambassade) n'a subi aucun dommage», a-t-il ajouté.

Président cubain à l’ONU

PHOTO PRENSA LATINA

Il s'agit de la deuxième attaque contre la mission cubaine à Washington ces dernières années. Un homme avait ouvert le feu sur le bâtiment en avril 2020, sans faire de blessés.

L'attaque de dimanche soir à Washington a eu lieu quelques heures après le retour à La Havane du président cubain Miguel Diaz-Canel qui avait séjourné à New York où il a notamment assisté à l'Assemblée générale des Nations unies. À New York, des Cubains habitant aux États-Unis ont manifesté contre la présence du président cubain à l'ONU, selon des posts et des vidéos partagées sur les réseaux sociaux.

SELON LE CHEF DE LA DIPLOMATIE CUBAINE,
«LE PERSONNEL (DE L'AMBASSADE) N'A SUBI AUCUN DOMMAGE».
PHOTO NICHOLAS KAMM / AFP

«Les groupes anti-Cuba ont recours au terrorisme quand ils pensent pouvoir profiter d'une impunité, ce contre quoi Cuba a mis en garde à plusieurs reprises les autorités américaines», a ajouté Bruno Rodríguez après l'attaque de dimanche.

En avril 2020, le ministre cubain des Affaires étrangères a convoqué la chargée d'affaires américaine à La Havane, Mara Tekach, pour lui exprimer sa «protestation énergique» après l'«agression terroriste» contre son ambassade. Cette fusillade a laissé des impacts de balles dans les murs extérieurs et endommagé plusieurs vitres et moulures sur la façade du bâtiment, avait constaté l'AFP.


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24 septembre, 2023

CHILI / LES COMMUNISTES SE DONNENT DE NOUVEAUX DIRIGEANTS

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Après le décès de Guillermo Teillier, Lautaro Carmona a été élu comme nouveau président du Parti Communiste du Chili. 

par Pierre Cappanera

PIERRE CAPPANERA
PHOTO FACEBOOK


Âgé de 71 ans, il en était jusqu'à aujourd'hui le secrétaire général. Il a commencé à avoir des responsabilités importantes au sein du PCCH pendant la dictature. En 1979, il était devenu le secrétaire général des Jeunesses Communistes. 

Barbara Figueroa, 44 ans, le remplace au poste de secrétaire générale. Psychologue et philosophe, elle n'avait que 11 ans à la fin du régime militaire en 1990. Elle fait partie de la nouvelle génération de dirigeants qui n'ont pas connu la clandestinité. Elle a été la première femme présidente de la CUT (le plus grand syndicat du Chili) de 2012 à 2021. Le président Boric l'avait nommée ambassadrice du Chili en Argentine en mars 2022.

22 septembre, 2023

AVORTEMENT AU CHILI: LES RÉDACTEURS DE LA CONSTITUTION OPTENT POUR PROTÉGER «CELUI QUI VA NAITRE»

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UNE MANIFESTANTE, DONT LE CORPS EST PEINT AVEC L’INSCRIPTION «
 MON CORPS, MON CHOIX », LORS DE LA JOURNÉE MONDIALE
D’ACTION POUR L’AVORTEMENT LÉGAL ET SÛR EN AMÉRIQUE LATINE
ET DANS LES CARAÏBES, À SANTIAGO (CHILI), LE 28 SEPTEMBRE 2021.
PHOTO PABLO VERA / AFP
INTERNATIONAL/ CHILI / Au Chili, le projet de Constitution remet en cause le droit à l’avortement/ Les représentants de l’extrême droite et de la droite à l’Assemblée constituante ont introduit dans le texte en préparation la protection de la vie avant la naissance. Il sera soumis à référendum le 17 décembre.

Par Flora Genoux(Buenos Aires, correspondante)

Temps de Lecture 1 min. 

«la loi protège la vie de celui qui va naître. » Mercredi 20 septembre, le Conseil constitutionnel, organe participant à la rédaction d’une nouvelle Constitution au Chili, a adopté un article qui remet en cause l’accès à l’avortement par 33 voix contre 17. Dominé par les représentants du Parti républicain (extrême droite) et de la droite, le Conseil a commencé à voter les premiers articles le vendredi 15 septembre. Cette assemblée de 50 membres, élue le 7 mai, a jusqu’au 7 novembre pour remettre un texte définitif au président Gabriel Boric (gauche). Son texte remplacera la Loi fondamentale actuelle de 1980, héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990).

► À lire aussi :     CHILI : L’AVORTEMENT INTERDIT, UN HÉRITAGE DE LA DICTATURE DE PINOCHET

Depuis 2017, l’avortement est autorisé dans trois situations au Chili : en cas de viol, de danger pour la vie de la mère ou de non-viabilité du fœtus. Au total, entre 2018 et juin 2023, 4 272 femmes ont eu recours à une interruption de grossesse dans le cadre de la loi, selon des données du ministère de la santé. Le profil le plus représenté, dans le cas d’avortements pour viol, est celui de fillettes de 13 ans.

« On ne peut pas considérer que tuer un être humain est un droit (…), le camp républicain choisit la vie », a argumenté la conseillère républicaine Maria de los Angeles Lopez, mercredi. « Il est impératif que nous modifiions notre Constitution afin de consacrer sans équivoque et avec fermeté le droit à la vie depuis la conception jusqu’à sa fin naturelle », a renchéri Carolina Navarrete, conseillère de droite. Le soutien de la droite traditionnelle a permis l’adoption de cet article proposé par le Parti républicain.

Premier projet largement rejeté

Le centre gauche, minoritaire, a fait part de sa vive inquiétude. La protection de la vie avant la naissance peut signifier un « retour en arrière pour les droits des femmes », a affirmé la conseillère constitutionnelle Maria Pardo. « Soyons honnêtes intellectuellement car ce qui est en jeu, c’est la vie des femmes et des filles», a-t-elle poursuivi, en référence au risque létal que présente un avortement clandestin. La présidente de la commission d’experts qui a rédigé l’avant-projet servant de base au travail du Conseil, l’avocate Veronica Undurraga (centre gauche), a également exprimé son « inquiétude », mercredi. La disposition controversée, en reconnaissant des droits à l’embryon, va encore « plus loin que la Constitution de 1980 », a-t-elle relevé.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Au Chili, une partie de la population a la nostalgie de Pinochet»

Le contraste est grand entre le texte en cours de rédaction et le précédent projet de Constitution. Rédigé par une assemblée marquée à gauche, celui-ci consacrait au contraire le droit à l’avortement. Mais ce premier projet avait été largement rejeté lors du référendum du 4 septembre 2022. Les électeurs seront appelés à se prononcer sur la Constitution en cours d’élaboration lors d’un nouveau référendum, le 17 décembre.

Flora Genoux


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ILLUSTRATION INGE SNIP

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19 septembre, 2023

PIERRE LAURENT : « NOUS AVONS PORTÉ LA VOIX DU TRAVAIL AU SÉNAT »

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APRÈS LE JOURNALISME PUIS LE SÉNAT, PIERRE LAURENT
NE QUITTE PAS POUR AUTANT LA VIE MILITANTE.
 PHOTO JULIEN JAULIN/HANSLUCAS

Pierre Laurent : « Nous avons porté la voix du travail au Sénat »/ Le mandat de sénateur de Pierre Laurent s’achève en fin de semaine. L’ancien dirigeant du PCF fait le bilan sur son parcours politique et reste plein de projets pour l’avenir.
Politique
8 min
PIERRE LAURENT,
NOVEMBRE 2018, À PARIS   
PHOTO MARTIN COLOMBET 
pierre Laurent quitte le Sénat. Ancien directeur de la rédaction de l’Humanité, secrétaire national du PCF de 2010 à 2018, il ne prend pas sa retraite militante. Son engagement, commencé en 1973, se poursuivra, notamment sur les fronts culturels et de la solidarité internationale.

Quel bilan faites-vous de votre mandat sénatorial ?

Je suis arrivé au Sénat quand la gauche était majoritaire. Nous étions en situation de peser positivement mais la droite a repris le dessus en 2014 : la politique de François Hollande, que nous avons combattue, a concouru à la perte de la majorité de gauche. Celle-ci aurait pu être le point d’appui pour des politiques audacieuses, mais cela n’a pas été le cas. 

Avec Macron, nous avons affronté des politiques violentes pour le monde du travail. J’ai pu mesurer combien il était important d’avoir un groupe cohérent. Même en n’étant qu’une quinzaine de sénateurs communistes, en s’appuyant sur des majorités sociales existant dans le pays, nous avons été capables de peser sur le débat et de porter la voix du travail dans l’Hémicycle.

La majorité de droite rend-elle plus difficile la bataille ?

Cette majorité cherche à se distinguer d’Emmanuel Macron, mais chaque fois que le gouvernement a voulu faire passer une loi antisociale, il a pu compter sur le soutien de la droite. Le travail du groupe communiste est respecté par les autres groupes car nous menons un travail de fond.

Nous jouons un rôle important, celui d’une gauche combative. Nous avons frappé juste dans le choix de nos commissions d’enquête parlementaire, par exemple avec l’affaire des cabinets de conseil révélée par Éliane Assassi. Nous avons mesuré l’emprise des cabinets dans les institutions. Il y a aussi eu une commission sur la pénurie de médicaments, conduite par Laurence Cohen, et qui a abouti à un rapport sur la nécessité de reprendre la main sur les politiques du médicament.

Secrétaire national du PCF de 2010 à 2018, vous avez été l’un des artisans du Front de gauche. Quelle leçon tirez-vous de ce rassemblement ?

En 2005, les deux tiers des électeurs de gauche avaient voté non au référendum contre le traité constitutionnel européen, alors que le PCF était le seul parti de gauche à s’être exprimé en ce sens. L’expérience du Front de gauche est née de l’idée qu’à cette majorité citoyenne, qui voulait ouvrir une voie de justice, il fallait donner une nouvelle gauche politique, apte à gouverner. Au début, le Front de gauche a répondu à cette attente.

Mais les tentations hégémoniques, la volonté d’imposer sa loi aux autres, l’utilisation du présidentialisme pour renforcer cette domination nous ont fait perdre de vue l’objectif qui était de construire une coalition majoritaire. L’attitude de Jean-Luc Mélenchon, que nous avions désigné à deux reprises candidat à l’élection présidentielle et qui a été à l’origine une force propulsive du Front de gauche, est devenue une arme de division. Nous sommes revenus au point de départ. Le problème se pose à nouveau : une majorité sociale veut un autre chemin, mais il n’existe pas la coalition politique à vocation majoritaire qui correspond à cet espoir.

Je tire la leçon qu’il faut que toutes les forces politiques qui composent la gauche et les forces citoyennes agissent d’une autre manière. Il faudra construire un front populaire de toutes ces forces. Je crois qu’il faut admettre le pluralisme de cette coalition comme mode de fonctionnement. Cette alliance doit d’abord s’appuyer sur la construction d’une majorité législative qui sache faire vivre le pluralisme dans le débat parlementaire et dans le débat public avec les citoyens et les mouvements sociaux, qui sache arbitrer ses différences démocratiquement.

Nous sommes obsédés – nous ne sommes pas les seuls – par l’élection présidentielle. C’est évidemment une pièce de cette construction, mais elle ne peut en être le centre. Cette échéance nous empêche de penser le pluralisme de la coalition à construire.

Quel doit être le rôle du PCF dans la société d’aujourd’hui ?

Sa mission est de construire au jour le jour des espaces de résistance et de solidarité avec ceux qui peinent dans cette société capitaliste. Son rôle est de contribuer à aider la société dans son ensemble à imaginer un autre ordre social, à passer à une autre société que le capitalisme.

Au XXIème siècle, nous vivons toutes les impasses du capitalisme. Il n’y aura pas de règlement de la question climatique en laissant les règles du capitalisme multinational s’imposer. Il n’y aura pas de résolution des grands problèmes du développement humain sans dépassement du capitalisme. Les forces sociales existent pour travailler à ce dépassement. Il y a urgence et, si des forces comme le PCF n’y travaillent pas, le chaos que développe le monde capitaliste peut faire surgir les monstres.

Il ne suffit pas de crier au loup. Il ne faut pas demander aux gens de se rallier à nous parce que nous détiendrions un projet de société idéale. Nous devons construire, avec la société, les chemins d’émancipation pour advenir à une autre organisation de celle-ci. Le PCF doit être un collectif de pensée qui pense lui-même et avec la société tous les chemins pour construire autre chose. Évidemment, il faut toujours des gens qui aident les forces positives à s’organiser. Le PCF peut être une force utile à cela.

Au Sénat, vous avez été très actif sur les questions qui touchent l’Afrique de l’Ouest. En quoi cette région est-elle cruciale ?

Au PCF, nous avions compris dès le départ, tout en étant isolés, que la nouvelle intervention au Mali était l’opération militaire de trop pour la France en Afrique. Nous savions qu’elle allait mal se terminer pour le Mali comme pour la France. Cela faisait un moment déjà que dans les pays africains s’exprimait un sentiment d’exaspération face au maintien des tutelles néocoloniales. J’ai en mémoire une séance de la commission des Affaires étrangères au Sénat. Nous recevions les chefs de la diplomatie du G5 Sahel. Le représentant malien a osé critiquer la France. Il y a eu un tollé de tous les sénateurs français, à l’exception de moi-même.

La France a demandé le limogeage de ce ministre. Et le gouvernement malien s’est malheureusement exécuté. Nos politiques néocoloniales ont entravé le développement des forces progressistes. Toute l’Afrique réclame aujourd’hui une sorte de nouvelle indépendance. La solidarité avec ses forces progressistes doit être organisée. C’est un sujet dont j’ai l’intention de continuer de m’occuper avec le collectif Afrique du PCF.

Pourquoi vous engagez-vous sur le front culturel ?

Le combat culturel est constitutif de celui pour l’émancipation. La culture permet aux individus de dépasser leurs propres limites, de se figurer autrement le monde. Toute l’histoire du PCF témoigne de cela. Secrétaire national du PCF, j’avais imaginé qu’il faudrait prendre de grandes initiatives culturelles.

Pour les cent ans du PCF, en 2020, j’avais proposé une grande exposition qui mettrait en dialogue toutes les générations de peintres qui avaient traversé le siècle et qui avaient dialogué avec le Parti. Cette initiative a connu un grand succès. Elle se tenait à l’espace Niemeyer, place du Colonel-Fabien. Je pense que le siège du PCF a vocation à devenir un des hauts lieux culturels de la vie parisienne.

Nous avons donc décidé de créer une association pour poursuivre ce travail : Libre comme l’art. Nous continuerons à monter des événements culturels. L’association s’est donné pour objectif de valoriser les relations entre les artistes et le PCF, mais également de mettre en valeur des artistes d’aujourd’hui qui veulent témoigner et s’engager. Une exposition est prévue en fin d’année avec Fred Kleinberg, qui a suivi la route des migrants. Nous avons déjà en projet quatre grandes initiatives culturelles au siège. Mais j’ai l’ambition de les tenir aussi dans différentes régions françaises. Et j’espère qu’on pourra contribuer au retour de grandes expositions culturelles à la Fête de l’Humanité.
SÉNATORIALES : PIERRE LAURENT RÉÉLU À PARIS
PHOTO THOMAS SAMSON

 

12 septembre, 2023

CINQUANTE ANS APRÈS LE COUP D’ÉTAT AU CHILI, L’ÉMOTION DES EXILÉS POLITIQUES INSTALLÉS EN FRANCE

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LES FAITS Contraints de fuir le pays après le putsch du général Augusto Pinochet le 11 septembre 1973, des milliers d’opposants chiliens ont trouvé refuge en France. Trois d’entre eux témoignent./ C’était il y a cinquante ans et pourtant, il est impossible pour Ricardo Parvex d’oublier ce 11 septembre 1973, le jour où le général Augusto Pinochet a renversé le président Salvador Allende au Chili. « C’est comme si ces événements étaient arrivés hier. Le caractère cyclique des anniversaires nous ramène des années en arrière et on revit certaines choses », raconte ce Chilien de 76 ans forcé, à 29 ans, à quitter son pays dans l’urgence et à s’exiler en France.

Par Johanna Beeckman

Temps de Lecture 4 min.

DESSIN DE PLANTU PUBLIÉ DANS 
LE MONDE DU 11 SEPTEMBRE 2003

Leyla Guzman, elle, avait 3 ans lorsque le palais de la Moneda a été bombardé. Pourtant, avec ses yeux d’enfant de l’époque, elle garde des souvenirs nets des fouilles de sa maison par les militaires : « Ils retournaient tout et ça faisait peur. » Malgré son jeune âge, elle comprenait la gravité de la situation. « À l’école, les années suivantes, on nous obligeait à défiler le 11 septembre, raconte-t-elle. Pour ma dernière année de primaire, à 11 ans, j’ai refusé avec la conscience de pourquoi je ne le faisais pas : je ne voulais pas défiler pour Pinochet. »

ILLUSTRATION KATIA ODARTCHENKO

► À lire aussi :     50ème ANNIVERSAIRE DU COUP D'ÉTAT AU CHILI

Comme Ricardo et Leyla, près de 15 000 réfugiés chiliens, des militants de gauche et leur famille, ont trouvé refuge en France après 1973, notamment grâce à l’action personnelle de l’ambassadeur français de l’époque, Pierre de Menthon, et de son épouse. Sans réelles instructions de l’exécutif alors dirigé par Georges Pompidou, le couple a ouvert les portes de la représentation diplomatique à Santiago et a permis l’obtention par les autorités putschistes chiliennes de près de 800 laissez-passer.

« Torture psychique »

Du coup d’Etat militaire, les réfugiés gardent des séquelles profondes. Leyla Guzman, qui a quitté le Chili en 1982, à l’âge de 12 ans, n’y est retournée qu’en 1991, un an après le retour de la démocratie. « La première fois, je ne pouvais pas sortir seule, se remémore-t-elle. J’avais des nausées et des angoisses. Inconsciemment, j’avais peur. » Alors à l’approche du 11 septembre, l’émotion est perceptible. Les larmes coulent parfois et les souvenirs douloureux resurgissent. « Je me souviens des heures suspendu par les bras, des chocs électriques, des interdictions de boire et de manger et surtout de la torture psychique endurée », confie Ricardo Parvex, ancien militant au Mouvement de la gauche révolutionnaire. En janvier 1976, la police chilienne lui donne trois mois pour partir.

LA RÉFUGIÉE POLITIQUE CHILIENNE LEYLA GUZMAN
À LA MAISON DU CITOYEN ET DE LA VIE ASSOCIATIVE DE
FONTENAY-SOUS-BOIS (VAL-DE-MARNE), LE 31 AOÛT 2023.
PHOTO CELINE VILLEGAS POUR « LE MONDE »

Son frère, socialiste, s’est, lui, fait enlever par la DINA, la police politique chilienne, et a disparu pendant quatre mois, pour ensuite se faire expulser en Angleterre. A l’inverse de Ricardo, qui a préféré rester en France avec ses enfants, il est retourné au Chili et a participé au premier mandat de la socialiste Michelle Bachelet (2006-2010) en tant qu’économiste.

Si l’expérience de l’exil n’a pas été vécue de la même façon par tous, leur prise en charge en France a généralement été rapide grâce aux milieux associatifs (Cimade, France terre d’asile, Secours catholique…) et aux mairies, comme celles de Montreuil (Seine-Saint-Denis), Grenoble (Isère) ou encore Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), qui avaient à leur tête des maires communistes et socialistes. Dans cet élan de solidarité, les milieux de gauche et d’anciens résistants ont été particulièrement actifs.

Aujourd’hui vice-président de l’Association d’ex-prisonniers politiques chiliens, Ricardo Parvex s’implique activement dans les préparatifs du rassemblement pour la commémoration du 11 septembre à Paris. Mais l’amertume se lit sur les visages. « Il y a des criminels qui n’ont pas été jugés et ceux qui l’ont été sont dans une prison de luxe », s’indigne Antonio Valdivia, ancien adhérent aux Jeunesses communistes du Chili. Ce membre du Parti communiste chilien de 69 ans ne décolère pas contre l’impunité dont ont bénéficié la plupart des tortionnaires de la dictature.

Profonde reconnaissance

Leyla Guzman partage ce sentiment amer. Elle rappelle que les assassins du chanteur et compositeur Victor Jara, tué au lendemain du coup d’Etat de 1973, n’ont été condamnés que récemment. Cette chaleureuse femme de 53 ans, éducatrice à la citoyenneté et aux relations internationales, coordonne « l’année Chili » à la Maison du citoyen et de la vie associative de Fontenay-sous-Bois. Tout un symbole : ce lieu a d’abord servi de foyer d’accueil pour les réfugiés politiques latino-américains. C’est là que Leyla a logé, un temps, avec sa mère.

Cours de français, aides au logement, aide médicale gratuite… A l’arrivée en France des réfugiés chiliens, tout un dispositif d’accueil a été mis en place. Mais pour Leyla Guzman, comme pour d’autres, l’intégration n’a pas été facile. Partie seule dans un premier temps auprès de sa tante déjà exilée, rejointe deux ans plus tard par sa mère, elle a été placée dans une classe d’initiation pour non-francophones avec des enfants beaucoup plus jeunes qu’elle. « Je séchais les cours pour aller militer », avoue-t-elle.

LE RÉFUGIÉ POLITIQUE CHILIEN ANTONIO VALDIVIA
À SON DOMICILE DE GOURNAY-SUR-MARNE
(SEINE-SAINT-DENIS) LE 31 AOÛT 2023.
PHOTO CELINE VILLEGAS POUR « LE MONDE »

Malgré les difficultés, Ricardo Parvex, Leyla Guzman et Antonio Valdivia éprouvent une profonde reconnaissance pour leur terre d’exil. « Un accueil comme celui-ci, on n’en verra plus, déplore Ricardo. L’époque était particulière. Aujourd’hui, la situation est devenue plus difficile : l’extrême droite et la xénophobie sont en hausse, en France, en Italie, en Hongrie… Et dans l’opinion publique, la prédisposition à accueillir n’est plus la même. »

« Réparer les blessures »

Pour ces anciens réfugiés, commémorer constitue un devoir. « Ce travail est une lutte permanente et importante pour réparer les blessures » et éviter que les atrocités de la dictature ne se répètent, estime Leyla. Sans cela, pense-t-elle, le Chili n’est pas à l’abri d’un regain de violence et de répression. Depuis la France, elle a assisté au mouvement social de 2019 contre les inégalités et le modèle ultralibéral chilien et se rappelle avoir été choquée d’assister au déploiement « démesuré » des forces de sécurité : près de 200 manifestants avaient été éborgnés. « Pendant le couvre-feu imposé alors, les militaires enlevaient des gens dans la rue. Ces méthodes nous ont fait penser au 11 septembre », regrette-t-elle. La déception a été encore plus grande quand le projet de nouvelle Constitution, pour remplacer celle de Pinochet, a été rejeté à 62 % lors du référendum de septembre 2022.


Devenus parents, Ricardo, Leyla et Antonio ont raconté leur histoire à leurs enfants et petits-enfants, avec lesquels ils parlent en espagnol. « Leur pays, c’est la France », précise Leyla, mais ils « se sentent impliqués émotionnellement », dit-elle. Parmi les amis des trois réfugiés, d’autres exilés chiliens ont choisi, au contraire, de ne pas transmettre et de faire table rase de ce passé trop douloureux.


En visite à Paris le 21 juillet, Gabriel Boric, l’actuel président du Chili, s’était adressé à la communauté chilienne de France lors d’une projection à la Maison de l’Amérique latine d’un documentaire sur les opposants ayant trouvé refuge à l’ambassade de France à Santiago : « Je voudrais dire, avec une grande responsabilité, au nom de l’Etat, pardon. (…) Votre combat n’a pas été vain. »

Johanna Beeckman

Johanna Beeckman

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DESSIN PATRICIO PALOMO

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