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APRÈS LE JOURNALISME PUIS LE SÉNAT, PIERRE LAURENT
NE QUITTE PAS POUR AUTANT LA VIE MILITANTE.
PHOTO JULIEN JAULIN/HANSLUCASPierre Laurent : « Nous avons porté la voix du travail au Sénat »/ Le mandat de sénateur de Pierre Laurent s’achève en fin de semaine. L’ancien dirigeant du PCF fait le bilan sur son parcours politique et reste plein de projets pour l’avenir.
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L'HUMANITÉ
Politique
8 min
PIERRE LAURENT, NOVEMBRE 2018, À PARIS PHOTO MARTIN COLOMBET |
pierre Laurent quitte le Sénat. Ancien directeur de la rédaction de l’Humanité, secrétaire national du PCF de 2010 à 2018, il ne prend pas sa retraite militante. Son engagement, commencé en 1973, se poursuivra, notamment sur les fronts culturels et de la solidarité internationale.
Quel bilan faites-vous de votre mandat sénatorial ?
Je suis arrivé au Sénat quand la gauche était majoritaire. Nous étions en situation de peser positivement mais la droite a repris le dessus en 2014 : la politique de François Hollande, que nous avons combattue, a concouru à la perte de la majorité de gauche. Celle-ci aurait pu être le point d’appui pour des politiques audacieuses, mais cela n’a pas été le cas.
Avec Macron, nous avons affronté des politiques violentes pour le monde du travail. J’ai pu mesurer combien il était important d’avoir un groupe cohérent. Même en n’étant qu’une quinzaine de sénateurs communistes, en s’appuyant sur des majorités sociales existant dans le pays, nous avons été capables de peser sur le débat et de porter la voix du travail dans l’Hémicycle.
La majorité de droite rend-elle plus difficile la bataille ?
Cette majorité cherche à se distinguer d’Emmanuel Macron, mais chaque fois que le gouvernement a voulu faire passer une loi antisociale, il a pu compter sur le soutien de la droite. Le travail du groupe communiste est respecté par les autres groupes car nous menons un travail de fond.
Nous jouons un rôle important, celui d’une gauche combative. Nous avons frappé juste dans le choix de nos commissions d’enquête parlementaire, par exemple avec l’affaire des cabinets de conseil révélée par Éliane Assassi. Nous avons mesuré l’emprise des cabinets dans les institutions. Il y a aussi eu une commission sur la pénurie de médicaments, conduite par Laurence Cohen, et qui a abouti à un rapport sur la nécessité de reprendre la main sur les politiques du médicament.
Secrétaire national du PCF de 2010 à 2018, vous avez été l’un des artisans du Front de gauche. Quelle leçon tirez-vous de ce rassemblement ?
En 2005, les deux tiers des électeurs de gauche avaient voté non au référendum contre le traité constitutionnel européen, alors que le PCF était le seul parti de gauche à s’être exprimé en ce sens. L’expérience du Front de gauche est née de l’idée qu’à cette majorité citoyenne, qui voulait ouvrir une voie de justice, il fallait donner une nouvelle gauche politique, apte à gouverner. Au début, le Front de gauche a répondu à cette attente.
Mais les tentations hégémoniques, la volonté d’imposer sa loi aux autres, l’utilisation du présidentialisme pour renforcer cette domination nous ont fait perdre de vue l’objectif qui était de construire une coalition majoritaire. L’attitude de Jean-Luc Mélenchon, que nous avions désigné à deux reprises candidat à l’élection présidentielle et qui a été à l’origine une force propulsive du Front de gauche, est devenue une arme de division. Nous sommes revenus au point de départ. Le problème se pose à nouveau : une majorité sociale veut un autre chemin, mais il n’existe pas la coalition politique à vocation majoritaire qui correspond à cet espoir.
Je tire la leçon qu’il faut que toutes les forces politiques qui composent la gauche et les forces citoyennes agissent d’une autre manière. Il faudra construire un front populaire de toutes ces forces. Je crois qu’il faut admettre le pluralisme de cette coalition comme mode de fonctionnement. Cette alliance doit d’abord s’appuyer sur la construction d’une majorité législative qui sache faire vivre le pluralisme dans le débat parlementaire et dans le débat public avec les citoyens et les mouvements sociaux, qui sache arbitrer ses différences démocratiquement.
Nous sommes obsédés – nous ne sommes pas les seuls – par l’élection présidentielle. C’est évidemment une pièce de cette construction, mais elle ne peut en être le centre. Cette échéance nous empêche de penser le pluralisme de la coalition à construire.
Quel doit être le rôle du PCF dans la société d’aujourd’hui ?
Sa mission est de construire au jour le jour des espaces de résistance et de solidarité avec ceux qui peinent dans cette société capitaliste. Son rôle est de contribuer à aider la société dans son ensemble à imaginer un autre ordre social, à passer à une autre société que le capitalisme.
Au XXIème siècle, nous vivons toutes les impasses du capitalisme. Il n’y aura pas de règlement de la question climatique en laissant les règles du capitalisme multinational s’imposer. Il n’y aura pas de résolution des grands problèmes du développement humain sans dépassement du capitalisme. Les forces sociales existent pour travailler à ce dépassement. Il y a urgence et, si des forces comme le PCF n’y travaillent pas, le chaos que développe le monde capitaliste peut faire surgir les monstres.
Il ne suffit pas de crier au loup. Il ne faut pas demander aux gens de se rallier à nous parce que nous détiendrions un projet de société idéale. Nous devons construire, avec la société, les chemins d’émancipation pour advenir à une autre organisation de celle-ci. Le PCF doit être un collectif de pensée qui pense lui-même et avec la société tous les chemins pour construire autre chose. Évidemment, il faut toujours des gens qui aident les forces positives à s’organiser. Le PCF peut être une force utile à cela.
Au Sénat, vous avez été très actif sur les questions qui touchent l’Afrique de l’Ouest. En quoi cette région est-elle cruciale ?
Au PCF, nous avions compris dès le départ, tout en étant isolés, que la nouvelle intervention au Mali était l’opération militaire de trop pour la France en Afrique. Nous savions qu’elle allait mal se terminer pour le Mali comme pour la France. Cela faisait un moment déjà que dans les pays africains s’exprimait un sentiment d’exaspération face au maintien des tutelles néocoloniales. J’ai en mémoire une séance de la commission des Affaires étrangères au Sénat. Nous recevions les chefs de la diplomatie du G5 Sahel. Le représentant malien a osé critiquer la France. Il y a eu un tollé de tous les sénateurs français, à l’exception de moi-même.
La France a demandé le limogeage de ce ministre. Et le gouvernement malien s’est malheureusement exécuté. Nos politiques néocoloniales ont entravé le développement des forces progressistes. Toute l’Afrique réclame aujourd’hui une sorte de nouvelle indépendance. La solidarité avec ses forces progressistes doit être organisée. C’est un sujet dont j’ai l’intention de continuer de m’occuper avec le collectif Afrique du PCF.
Pourquoi vous engagez-vous sur le front culturel ?
Le combat culturel est constitutif de celui pour l’émancipation. La culture permet aux individus de dépasser leurs propres limites, de se figurer autrement le monde. Toute l’histoire du PCF témoigne de cela. Secrétaire national du PCF, j’avais imaginé qu’il faudrait prendre de grandes initiatives culturelles.
Pour les cent ans du PCF, en 2020, j’avais proposé une grande exposition qui mettrait en dialogue toutes les générations de peintres qui avaient traversé le siècle et qui avaient dialogué avec le Parti. Cette initiative a connu un grand succès. Elle se tenait à l’espace Niemeyer, place du Colonel-Fabien. Je pense que le siège du PCF a vocation à devenir un des hauts lieux culturels de la vie parisienne.
Nous avons donc décidé de créer une association pour poursuivre ce travail : Libre comme l’art. Nous continuerons à monter des événements culturels. L’association s’est donné pour objectif de valoriser les relations entre les artistes et le PCF, mais également de mettre en valeur des artistes d’aujourd’hui qui veulent témoigner et s’engager. Une exposition est prévue en fin d’année avec Fred Kleinberg, qui a suivi la route des migrants. Nous avons déjà en projet quatre grandes initiatives culturelles au siège. Mais j’ai l’ambition de les tenir aussi dans différentes régions françaises. Et j’espère qu’on pourra contribuer au retour de grandes expositions culturelles à la Fête de l’Humanité.
SÉNATORIALES : PIERRE LAURENT RÉÉLU À PARIS PHOTO THOMAS SAMSON |
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