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SALVADOR ALLENDE (1908-1973) EN MARS 1964.
PICTORAL PRESSE/ ALAMY STOCK PHOTOChili : Salvador Allende, le président des luttes du peuple/ Médecin de carrière, député, sénateur puis chef de l’État, Salvador Allende a incarné les espoirs des Chiliens qui l’ont porté au pouvoir en 1970. Homme de conviction et intègre, il va profondément transformer son pays trois années durant, avant que des généraux félons ne brisent l’élan de la révolution populaire.
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Il est à peine 8 heures du matin, ce 11 septembre 1973, lorsque Salvador Allende s’adresse une dernière fois aux Chiliens. « J’appelle tous les travailleurs. Qu’ils occupent leurs postes de travail, (…) qu’ils maintiennent le calme et la sérénité. (…) Je suis ici et je resterai ici pour défendre le gouvernement que je représente par la volonté du peuple. » Seuls ses proches collaborateurs sentent l’inquiétude l’envahir. Il n’est pas encore 9 heures lorsqu’il reparle « aux compagnons qui l’écoutent ». « La situation est critique, nous faisons face à un coup d’État, informe-t-il. Je laisserai la Moneda lorsque j’aurai accompli le mandat que le peuple m’a confié. Je resterai ici au prix de ma propre vie. »
ILLUSTRATION KATIA ODARTCHENKO |
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Le plan des généraux félons est déjà en train d’être exécuté. À leurs yeux, Allende doit mourir et, avec lui, l’Unité populaire (UP). Le chef de l’État enregistre un ultime message. Il ne cède rien sur le fond. Il ne l’a jamais fait depuis qu’il a participé à la création du Parti socialiste, en 1933. Aux traîtres fascistes il déclare que « l’histoire les jugera ». Mais ses derniers mots vont « à la modeste femme, à l’ouvrière, à la mère, à la jeunesse, à l’ouvrier, l’agriculteur, l’intellectuel ». Ce peuple, dont Allende connaissait les blessures, et les espoirs, ne l’a pas oublié.
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Il se frotte au syndicalisme durant ses études
Bien qu’il soit issu d’un milieu bourgeois, sa vie et sa trajectoire politique ont épousé les combats et les idéaux de justice sociale et de progrès qui ont irrigué l’histoire du XXe siècle du Chili, qui l’a vu naître le 26 juin 1908. Chicho, son surnom, grandit en découvrant le pays, au gré des mutations de son père notaire et fonctionnaire. En 1921, à Valparaiso, le lycéen Allende se lie d’amitié avec un cordonnier anarchiste, Juan Demarchi, à l’origine de son éveil politique. Puis, il se prépare à une carrière de médecin. Durant ses études, il se frotte au syndicalisme et devient, en 1930, le vice-président de la puissante Fédération des étudiants de l’université du Chili (Fech).
Ce militantisme lui vaudra arrestations et séjours en prison. C’est à l’aube des années 1930, dans une nation défigurée par les inégalités sociales, l’indécente concentration des terres, et trustée économiquement par de grands monopoles, qu’Allende s’engage. Influencé par son grand-père et son père, il rejoint en 1935 la franc-maçonnerie, qu’il ne quittera plus jamais. Deux ans plus tôt, il a cofondé le Parti socialiste, dont une frange se revendique du marxisme.
La crise de 1929 se répercute en 1931 : c’est la banqueroute. Les classes populaires descendent alors dans les rues et font chuter la dictature d’Ibañez. Un an plus tard, Marmaduque Grove instaure une « République socialiste » qui ne durera que douze jours. Le climat est à la révolution. L’élan des Fronts populaires français et espagnol façonne la création, en 1936, d’une alliance composée des Partis communiste, socialiste, démocrate, entre autres, qui verra la victoire du Front populaire de Pedro Aguirre Cerda lors de la présidentielle de 1938.
Il entre en 1939 au gouvernement
Entre-temps, Allende est élu député et défend la médecine sociale face à un système sanitaire qui prive d’accès aux soins les plus pauvres. Il entre en 1939 au gouvernement. Il a 31 ans. Ministre de la Santé, il promeut la création des restaurants universitaires ou encore le financement de centres d’hygiène. Les réformes progressistes vont profondément marquer le socialiste, malgré son départ de l’exécutif.
Peu à peu, il gagne en notoriété au sein du Parti socialiste, dont il est nommé secrétaire général en 1943. Deux ans plus tard, il est élu sénateur. Dans les rangs du PS, certains s’agacent de sa popularité. Des socialistes s’opposent d’ailleurs à sa candidature à la présidentielle de 1970. N’a-t-il pas trébuché par trois fois en 1952, en 1958 et en 1964 ? Sa « voie chilienne au socialisme » ne fait pas non plus l’unanimité. La stratégie de rassemblement de l’UP est pourtant lancée en 1969. Le communiste et Prix Nobel de littérature Pablo Neruda se désiste en sa faveur. Une profonde reconnaissance les lie. Ce sont des compagnons qui se respectent, conscients de l’opportunité historique. Le 4 septembre 1970, fort de ses 36,6 % de votes, Allende s’adresse, depuis le balcon de l’emblématique Fech, à une foule en liesse. « Je veux signaler face à l’histoire le fait transcendantal que vous avez réalisé, en battant l’argent arrogant, la pression et la menace, l’information déformée, la campagne de terreur, les embûches et la méchanceté », la harangue-t-il.
Du centre chrétien jusqu’à l’extrême droite de Patrie et Liberté, les ennemis sont légion
Nationalisation des mines de cuivre et des banques, réforme agraire… La deuxième indépendance du Chili est en marche. Un an plus tard, les transformations sont tangibles : 90 % des banques privées sont contrôlées par l’État, 2,4 millions d’hectares ont été expropriés, la construction de logements sociaux et la scolarisation sont en forte croissance, etc. « Allende était un président collectif ; un homme qui (…) était un produit des luttes du peuple contre la stagnation et la corruption des exploiteurs. C’est pourquoi l’œuvre réalisée par Allende (…) est la plus importante dans l’histoire du Chili », écrira Pablo Neruda. Pourtant, l’adversité est terrible. Du centre chrétien jusqu’à l’extrême droite de Patrie et Liberté, les ennemis sont légion.
L’audace des réformes structurelles se paie terriblement cher : assassinats, attentats, grèves, blocages financiers. Salvador Allende a conscience des obstacles qu’affronte son « gouvernement révolutionnaire qui a fortement porté atteinte aux intérêts de l’impérialisme nord-américain et à l’oligarchie industrielle, bancaire et féodale », confie-t-il à André Carrel, rédacteur en chef de « l’Humanité Dimanche » et envoyé spécial au Chili en mai 1973. « Ces difficultés sont celles d’un mouvement révolutionnaire (…) dont la tactique pour réaliser les changements doit évoluer dans le cadre de la démocratie bourgeoise. » L’exécutif est minoritaire au Parlement. Les haut gradés complotent. Le peuple, lui, reste à ses côtés.
Conscient de l’extrême fébrilité du moment, Allende veut organiser un plébiscite sur sa politique à l’automne. Trop tard. Ce 11 septembre 1973, les tanks sont aux portes de la Moneda, l’aviation pilonne le palais. Allende se bat, casque sur la tête et pistolet à la main, avant de mettre fin à ses jours. Il aura résisté jusqu’au bout au nom de ce Chili qu’il affectionnait tant et pour ce peuple dont il a incarné la soif de justice et de dignité.
DESSIN PATRICIO PALOMO |
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