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LE PRÉSIDENT GABRIEL BORIC LUNDI À SANTIAGO, LORS DU
CINQUANTIÈME ANNIVERSAIRE DU COUP D’ÉTAT AU CHILI.
PHOTO JAVIER TORRES/AFP
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COURRIER
INTERNATIONALPOLITIQUE CHILI RÉVEIL/ Démocratie. “Ses blessures toujours pas refermées”, le Chili se souvient du 11 septembre 1973/ La droite n’a pas pris part aux commémorations du coup d’État, alors qu’un tiers du pays garde un souvenir positif de la dictature d’Augusto Pinochet.
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PHOTO LA TERCERA |
Le gigantesque drapeau chilien qui flotte normalement devant la Moneda est en berne. Sur l’esplanade du palais présidentiel, lundi matin, les invités commémorent les 50 ans du coup d’État d’Augusto Pinochet. Si “la météo n’était pas d’accord avec les plans du gouvernement”, fait remarquer La Tercera en évoquant la pluie, “l’événement se déroule dans le calme après un week-end de violences dans les rues de Santiago”, constate El Mundo. Car cette commémoration “génère une grande polarisation et une forte tension” dans un pays déjà très divisé, souligne Clarín, le quotidien de référence du voisin argentin.
FLEURS AUX PIEDS DE LA STATUE DE SALVADOR ALLENDE, DEVANT LA MONEDA, À SANTIAGO, CHILI. PHOTO: PABLO VERA / AFP |
COMMÉMORATION DU 50ÈME ANNIVERSAIRE DU COUP D'ÉTAT AU CHILI. PHOTO EFE |
“Des décennies plus tard, la gauche et la droite continuent de se reprocher l’une l’autre la fin de la démocratie”, explique The New York Times. “Certains à droite justifient le coup d’État et minimisent les violations des droits de l’homme qui l’ont suivi”, poursuit le quotidien américain. L’Union démocratique indépendante (UDI), favorable à M. Pinochet, affirme par exemple dans un communiqué que, “entre 1970 et 1973, il s’est produit une rupture sociale, politique et institutionnelle à l’égard de laquelle le 11 septembre est devenu quelque chose d’inévitable”, sans mentionner le mot “dictature”, une habitude pour ce parti, glisse The Guardian.
LES TROUPES DE L'ARMÉE CHILIENNE TIRENT SUR LE PALAIS DE LA MONEDA À SANTIAGO LE 11 SEPTEMBRE 1973, LORS D'UN COUP D'ÉTAT MENÉ PAR LE GÉNÉRAL AUGUSTO PINOCHET CONTRE LE PRÉSIDENT SALVADOR ALLENDE.CRÉDIT.. PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE — GETTY IMAGES |
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Le journal britannique salue le discours de l’actuel président, Gabriel Boric, et son “ardente défense de la démocratie” en réponse à ce point de vue sur le putsch. “Bien sûr qu’il y avait une alternative ! Et demain, quand nous connaîtrons une autre crise, il y aura toujours une alternative qui impliquera plus de démocratie, et non moins […] Nous devons nous souvenir de la vérité inconfortable selon laquelle la démocratie n’est pas garantie”, a déclaré le leader élu en 2021. Le Guardian précise que les avions qui ont bombardé le palais présidentiel en 1973 étaient des Hawker Hunter de fabrication britannique.
ILLUSTRATION KATIA ODARTCHENKO |
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“Le message sous-jacent, tant de la sénatrice Isabel Allende – fille de l’ancien président Salvador Allende – que du président Gabriel Boric, portait sur la critique des divisions, la recherche de la vérité et de la justice, la défense et la nécessité d’accords pour aller vers la démocratie et la réparation”, analyse El Mercurio.
UNE IMAGE DE SALVADOR ALLENDE, DESTITUÉ LORS DU COUP D’ÉTAT DE 1973. LA DICTATURE A DURÉ 17 ANS JUSQU'AU RETOUR DE LA DÉMOCRATIE EN 1990. PHOTO MATÍAS BASUALDO |
Justement, l’opposition “n’a pas assisté à l’événement parce qu’il était considéré comme politiquement biaisé”, indique El Mundo. Contrairement à ses prédécesseurs Eduardo Frei, Ricardo Lagos et Michelle Bachelet, l’ex-président Sebastián Piñera a fait l’impasse sur le rendez-vous. Présents, en revanche, le président du Mexique, Andrés Manuel López Obrador, ses homologues bolivien, colombien et uruguayen, le Premier ministre portugais, António Costa, ou encore Tom Morello, le guitariste de Rage Against the Machine, qui a salué l’influence de Victor Jara, un chanteur folk engagé tué par le régime quelques jours après le coup d’État.
Recherche des disparus
“Les participants, en général, n’ont pas lésiné sur les critiques à l’égard de la droite”, note La Tercera, citant Ernesto Samper, l’ex-président colombien, qui estime que “l’esprit du général dictateur perdure au Chili”. Pour la Frankfurter Allgemeine Zeitung, en effet, “l’ombre de Pinochet plane toujours sur le pays”.
En cette journée du 11 septembre, NPR met d’ailleurs en avant le film chilien El Conde, tout juste sorti en salle aux États-Unis. Dans cette comédie fantastique réalisée par Pablo Larraín et “contée” par Margaret Thatcher, amie de M. Pinochet, le général, mort en 2006, survit en fait grâce à du sang humain bu dans des smoothies. “En faisant de Pinochet un vampire qui continue de s’abreuver du sang des gens, Larraín suggère que, un demi-siècle plus tard, son pays ne s’est pas libéré de son héritage brutal”, commente la radio publique américaine.
Au Pérou, El Comercio se demande donc “pourquoi les blessures n’ont-elles pas été refermées et ce qui peut expliquer les 36 % de soutien au coup d’État ?”. L’insécurité et la pauvreté qui sévissent dans le pays sont une explication, quand “beaucoup au Chili considèrent que les politiques de privatisations rigides de Pinochet ont renforcé l’économie du pays pour en faire l’une des nations les plus riches d’Amérique du Sud”, rappelle Al-Jazeera.
GLORIA MIQUELES REGARDE UNE VITRINE DU MUSÉE POSTAL DE LONDRES, AU ROYAUME-UNI, DÉTAILLANT LE COUP D'ÉTAT DE 1973 AU CHILI. PHOTO CHARIS MCGOWAN / AL JAZEERA |
Mais le média du Qatar interroge aussi Consuelo Contreras Largo, la directrice de l’Institut national des droits de l’homme. “Vous entendez encore aujourd’hui des gens condamner les violences mais saluer le progrès économique. À mes yeux, dire une chose pareille est non seulement brutal mais faux. Après la dictature, 40 % des Chiliens vivaient sous le seuil de pauvreté. On ne peut pas parler de succès”, insiste-t-elle.
“Un demi-siècle plus tard, le pays fait toujours face au révisionnisme et au déni alors que les survivants poursuivent leur quête de justice”, raconte Al-Jazeera. D’où la volonté du gouvernement de Gabriel Boric de retrouver toutes les personnes disparues durant les dix-sept ans de dictature avec un plan lancé le mois dernier. “La recherche de justice ne peut dépendre exclusivement des efforts des familles et de leurs proches. C’est un devoir incontournable de l’État : l’État les a fait disparaître et l’État doit se charger de savoir où elles se trouvent”, a confirmé le président lundi.
C’était aussi le sens du discours d’Isabel Allende, qui était avec son père dans le palais bombardé il y a cinquante ans. Voilà ce qu’elle confie dans ce discours jugé “émouvant” par El Mundo : “La mémoire est le premier pas pour parvenir à la vérité, mais nous avons besoin de beaucoup plus pour obtenir justice et garantir que cette journée ne se reproduise pas. Je veux serrer dans mes bras les proches de ceux qui ont été arrêtés, torturés, brutalement assassinés et portés disparus.”
Loïc Pialat
DESSIN PATRICIO PALOMO |
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