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KARL MARX S'ADRESSE À UN CONGRÈS. ©GETTY - UNIVERSAL HISTORY ARCHIVE/UNIVERSAL IMAGES GROUP |
RFI - RADIO FRANCE CULTUREE,
SÉRIE « AUX ORIGINES DU SYNDICALISME »
PREMIÈRE INTERNATIONALE OUVRIÈRE, À L’AUBE DU SYNDICALISME
« LE COURS DE L'HISTOIRE » PAR XAVIER MAUDUIT
DIFFUSION VENDREDI 7 AVRIL 2023
1864 - 28 septembre - 2023
Le 28 septembre 1864, réunis au Saint-Martin's Hall à Londres, des travailleurs anglais, français, allemands et italiens fondent ensemble l'Association Internationale des travailleurs. En quoi cette Première Internationale ouvrière est-elle un jalon fondateur de l’histoire des luttes sociales ?
Avec
- Jean-Numa Ducange Historien, professeur à l'Université de Rouen Normandie, spécialiste de l'histoire des gauches, des mouvements ouvriers et socialistes européens
- Emmanuel Jousse Maître de conférences en histoire contemporaine à Sciences Po Lyon, directeur des Cahiers Jaurès
©GETTY - UNIVERSAL HISTORY ARCHIVE/UNIVERSAL IMAGES GROUP |
En septembre 1864, les ouvriers relieurs de Paris se mettent en grève ! Le quotidien La Presse annonce leurs revendications, qui portent essentiellement sur le temps de travail et les salaires… À deux reprises, la police les a dispersés, rapporte le journal, et il sera pris contre les ouvriers récalcitrants toutes les mesures jugées propres à les réduire au silence… Au même moment, à Londres, des travailleurs de tous les pays se réunissent et fondent l'Association Internationale des travailleurs.
1848, vers une union du monde ouvrier ?
Le mouvement ouvrier se structure tout au long du XIXe siècle. La Ligue des communistes, en activité entre 1847 et 1852, édite en 1848 le célèbre Manifeste du parti communiste, rédigé par Karl Marx et Friedrich Engels. C’est dans ce texte qu’apparaît l’idée d’une union des prolétaires par-delà les appartenances nationales ("Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !"), qui préfigure le projet de la Première Internationale. Les mouvements révolutionnaires de 1848, qui touchent toute l’Europe, contribuent également à la diffusion d’idées progressistes, et, après l’échec et la répression du Printemps des peuples, et l’exil de nombre de militants, à des mouvements de populations, qui favorisent la rencontre entre des personnes d’origines différentes. À travers elles, ce sont différents héritages et courants de pensées qui se confrontent et s’enrichissent mutuellement.
Pour l’historien Jean-Numa Ducange, il faut souligner que les révolutions de 1848 sont des événements historiques importants dans cette histoire ouvrière et syndicaliste : "Les révolutions de 1848 ont contribué à rapprocher un certain nombre d’ouvriers et d’ouvrières de différents pays européens. Si d’autres révolutions les ont précédées, notamment celle de 1789, les révolutions de 1848 mêlent des revendications démocratiques, sociales et nationales."
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En France, la politique libérale mise en place par Napoléon III sous le Second Empire contribue à nourrir un climat de tolérance. En 1862, l’empereur autorise ainsi une délégation ouvrière française à participer à l’Exposition universelle de Londres. Les délégués français découvrent alors une classe ouvrière anglaise très organisée, sous la houlette des syndicats britanniques, les trade-unions. En 1864, la loi Ollivier instaure un droit de grève encore strictement réglementé, mais néanmoins réel.
La création de la Première Internationale s’inscrit ainsi dans un contexte social, économique, politique et idéologique spécifique, et synthétise une pluralité d’opinions et de revendications qui circulent en Europe au XIXe siècle. L’Association internationale des travailleurs se propose ainsi de développer le mouvement ouvrier, et de favoriser la coopération internationale entre les travailleurs, afin de renforcer la lutte pour l'affranchissement social.
L'Association internationale des travailleurs
La grande nouveauté de cette association est de concevoir son action à l’échelle internationale, par-delà les frontières des États-nations. Pour ses fondateurs, baignés de culture pacifiste, c’est d’abord un moyen de lutter contre les politiques étrangères bellicistes des gouvernements, en donnant la priorité aux intérêts de la classe ouvrière. C’est également une manière de contourner le marché mondial que la Révolution industrielle contribue à faire advenir, qui met en compétition les travailleurs, pour affirmer la prépondérance de la solidarité ouvrière. Les patrons d’industrie n’hésitent pas en effet à recruter de la main-d’œuvre étrangère pour briser les grèves ou faire baisser le coût du travail, et donc les salaires.
L’historien Emmanuel Jousse revient sur les origines de cette Association : "Certes, la loi Le Chapelier de 1791 interdit les corporations, réduisant d’emblée le nombre et l’importance de regroupements de syndicats dans ce premier XIXe siècle. Néanmoins, il existe un certain nombre de structures autorisées ou tolérées par le Second Empire, comme par exemple les chambres syndicales qui sont des formes d’organisation pratiques pour certaines professions. En 1864, les ouvriers obtiennent même le droit de coalition, ce qui permet largement d’encourager le développement de l’Association internationale des travailleurs."
Tensions et divergences, la difficile union des ouvriers
Les revendications de la Première Internationale tournent autour de l’émancipation des travailleurs et de l'amélioration de leurs conditions de vie. Quelques points de convergence font l’unanimité parmi les militants, mais d’autres, comme le rôle dévolu à l’État, la place de la grève, ou le travail des femmes, sont des éléments de discorde. Dès les débuts du mouvement, les mutuellistes, qui s’inscrivent dans la filiation de Proudhon, croisent le fer avec les collectivistes, plus proches de la pensée de Marx. Le troisième congrès de l’Association internationale des travailleurs, qui se tient à Bruxelles en 1868, voit la victoire des partisans du collectivisme et du syndicalisme. Le principe de la grève générale est ainsi adopté comme le moyen privilégié de la lutte ouvrière.
En 1869, la tension au sein du mouvement internationaliste est à son apogée, alors que s’affrontent les tenants de la pensée de Bakounine et ceux de la pensée de Marx. L’Association internationale des travailleurs est au bord de l’implosion et ne survit pas à ces dissensions. Elle disparaît en effet en 1876, minée par les conflits internes, et la sécession des bakouninistes en 1872, après que le huitième congrès, qui se tient à La Haye, a exclu Bakounine de l’Internationale. Malgré un échec institutionnel patent, la Première Internationale laisse un héritage militant important, auquel le XXe siècle ne cesse de se référer pour construire l’avenir du mouvement ouvrier.
Pour en parler
Emmanuel Jousse est maître de conférences en histoire contemporaine à Sciences Po Lyon, directeur des Cahiers Jaurès.Il a notamment publié :Jean Jaurès. Penser dans la mêlée (1907-1910) (avec Jean-François Chanet, Fayard, 2021)Les Hommes révoltés. Les origines intellectuelles du réformisme en France (Fayard, 2017)Jean-Numa Ducange est professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Rouen Normandie. Il est spécialiste de l'histoire des gauches, des mouvements ouvriers et socialistes européens, notamment français, allemand et autrichien.
Il a notamment publié :
La République ensanglantée. Berlin, Vienne : aux sources du nazisme (Armand Colin, 2022)Que sais-je ? Marx de A à Z (Presses universitaires de France, 2021)Quand la gauche pensait la nation. Nationalités et socialismes à la Belle époque (Fayard, 2021)Histoire globale des socialismes, XIXe-XXIe siècle (avec Razmig Keucheyan et Stéphanie Roza, Presses universitaires de France, 2021)
Pour aller plus loin
Découvrir l'exposition "Marx en France. Histoire, usages et représentations" au Musée de l'histoire vivante de Montreuil du 25 mars au 31 décembre 2023.Références sonoresMicro-trottoir sur le syndicalisme ouvrier, Où va le syndicalisme ouvrier ?, RTF, 30 août 1963Film Le Jeune Karl Marx de Raoul Peck, 2017Archive sur la grève de 1869, Collège des ondes syndicalismes, 10 décembre 1963Film La Commune (Paris, 1871) de Peter Watkins, 2004Archive sur Léo Ferré et l'anarchisme, avec Yves Montand, Journal de 20h, TF1, 6 avril 1984Extrait de la musique L'Internationale dans le film Milou en mai de Louis Malle, 1990Générique de l'émission : Origami de Rone
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