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LES BASSINS DE SAUMURE ET DES ZONES DE TRAITEMENT DE LA MINE DE LITHIUM DE LA SOCIÉTÉ CHILIENNE SQM (SOCIEDAD QUIMICA MINERA) DANS LE DÉSERT D’ATACAMA, CALAMA, CHILI, LE 12 SEPTEMBRE 2022. PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP |
ÉCONOMIE / CHILI / Comment le Chili veut devenir le premier producteur mondial de lithium, métal essentiel à la transition énergétique / Le président chilien, Gabriel Boric, a annoncé fin avril sa stratégie pour l’exploitation du minerai, dont le pays possède 36 % des réserves mondiales, avec notamment un projet de création d’une entreprise nationale.
Par Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)
Temps de Lecture 4 min.
L’annonce était très attendue. Dans un discours télévisé, jeudi 20 avril, le président chilien, Gabriel Boric (gauche), a déroulé les grands axes de sa « stratégie nationale du lithium », une promesse de campagne. Le plan s’inscrit dans une volonté de redistribution des bénéfices du secteur minier, un des piliers de l’économie chilienne. « C’en est fini d’un secteur minier pour quelques-uns », a affirmé le président, au pouvoir depuis mars 2022.
La stratégie du lithium, « c’est plus de richesse pour que le Chili puisse financer de nouvelles écoles, hôpitaux, commissariats, en résumé, une vie plus digne pour tous et toutes », a poursuivi Gabriel Boric. La pierre angulaire de ce projet : la création d’une « entreprise nationale du lithium », dont les contours précis restent à déterminer, qui sera amenée à « participer à tout le cycle productif du minerai », a annoncé le président. Il ne s’agit pas d’une nationalisation des sociétés privées existantes, mais de la mise en place d’un partenariat public-privé avec ces acteurs miniers.
L’émergence de cette nouvelle structure reste cependant soumise à l’approbation du Congrès (où le gouvernement ne dispose pas de la majorité), via un projet de loi appelé à être présenté à la fin 2023. En attendant, l’entreprise publique du cuivre Codelco est d’ores et déjà chargée de lancer la participation de l’Etat dans l’extraction du lithium, en tissant des partenariats avec les entreprises privées.
Fiscalité et souveraineté énergétique
Des contrats d’exploration et d’exploitation seront par ailleurs attribués à Enami (entreprise nationale des mines) et Codelco. Actuellement, deux entreprises privées exploitent le salar de lithium d’Atacama (1 500 km au nord de Santiago), la région d’où est actuellement extrait le métal au Chili : l’américaine Albemarle et la chilienne SQM. Leurs concessions arrivent à échéance respectivement en 2043 et 2030.
Avec cette politique, Gabriel Boric entend marcher dans les pas du président socialiste Salvador Allende (1970-1973), qui, en 1971, avait nationalisé les mines de cuivre, baptisant la ressource naturelle « le salaire du Chili ». Le pays possède, selon les autorités, 36 % des réserves mondiales de lithium, en plein cœur du « triangle d’or » complété par l’Argentine et la Bolivie (lequel comptabiliserait deux tiers des réserves, selon le Centre national de la recherche scientifique français).
Le pays se rêve donc en premier producteur de la planète. Actuellement, le Chili pèse pour 34 % de la production mondiale, devancé par l’Australie. En 2022, la production de lithium représentait 3 % du produit intérieur brut (PIB) chilien.
Plus que jamais convoité, le lithium se trouve à un tournant. Métal essentiel dans la composition de batteries des appareils portables, il l’est également pour la fabrication des véhicules électriques, dont la production est encouragée avec la transition énergétique. La demande de lithium devrait ainsi être multipliée de cinq à sept d’ici à 2035, selon les projections détaillées, mardi 30 mai, par la Commission chilienne du cuivre (organisme dépendant du ministère des mines).
Sa valeur a explosé. Entre les mois de décembre 2020 et 2022, le prix du carbonate de lithium a augmenté de 680 %, relève le gouvernement chilien, faisant de sa taxe et de son exploitation un enjeu majeur pour les recettes fiscales et la souveraineté sur les ressources naturelles.
La création d’une entreprise nationale du lithium « est une politique qui semble assez légitime », évalue Quentin Deforge, politiste et chercheur à l’Université libre de Bruxelles, spécialiste des minerais stratégiques. « La transition énergétique redistribue les cartes et permet aux pays du sud d’avoir un rapport de force plus favorable, poursuit le chercheur. Si la stratégie chilienne fonctionne, cela pourrait devenir un modèle. »
Nouvelles méthodes d’extraction
Si, dans la foulée de l’annonce présidentielle, les actions en Bourse des entreprises SQM et Albemarle ont chuté, elles ont ensuite récupéré leur valeur. Surtout, les firmes ont fait part de leur volonté de dialogue. Lundi 5 juin, le groupe minier français Eramet a annoncé l’ouverture d’un bureau à Santiago, « afin de soutenir [ses] futures opérations techniques et commerciales au Chili ». Une preuve que « les entreprises ont besoin du lithium à tout prix et sont absolument disposées à accepter les nouvelles conditions » chiliennes, analyse Quentin Deforge.
Toutefois, les contours de cette entreprise nationale du lithium restent à dessiner. « Il y a maintenant une marge de négociation au Congrès, souligne Emilio Castillo, économiste de l’université du Chili. Cette entreprise publique va-t-elle distribuer les contrats ? Définir la progressivité des impôts ? Le gouvernement la présente comme une entreprise gestionnaire. Mais on peut supposer que l’opposition va chercher à en limiter l’action. » Au préalable, un volet participatif, notamment avec les communautés vivant dans les zones voisines des exploitations, doit débuter à la fin du mois de juin.
Par ailleurs, la stratégie annoncée comprend « l’usage de nouvelles technologies d’extraction du lithium qui minimise l’impact sur les écosystèmes des salars », couplé à des recherches sur ces terrains spécifiques afin d’en connaître davantage le fonctionnement. Ces recherches sur les salars, zones fragiles, « vont prendre du temps et dépasser le mandat présidentiel actuel [jusqu’en 2026] », avertit Telye Yurisch, chercheur au sein de la fondation de défense de l’environnement Terram.
La forte demande en eau induite par l’extraction de lithium, en raison du procédé d’évaporation mais aussi de dilution avec de l’eau douce, et ce dans une zone désertique et un pays en stress hydrique, demeure le point le plus critique. « Aujourd’hui, il n’existe aucune production commerciale, au niveau mondial, qui utilise la méthode d’extraction directe », moins consommatrice d’eau, insiste Telye Yurisch.
Moins d’un mois après l’annonce de la stratégie du lithium, le Congrès a adopté, mercredi 17 mai, une modification des impôts dans le sens d’une hausse pour les grandes exploitations minières de cuivre, dont le Chili est le premier producteur mondial. La proposition de loi, datant de 2018, a été relancée par le gouvernement, dans l’objectif de financer ses politiques sociales. Ce nouveau système fiscal commencera à fonctionner à partir de 2024.
Le gouvernement prétend engranger 1,3 milliard de dollars (1,16 milliard d’euros, soit 0,45 % du PIB) de recettes fiscales, dont un tiers sera redistribué aux régions. L’approbation de cette loi est une victoire majeure pour le gouvernement, qui entend néanmoins insister sur son projet de réforme fiscale – censé à l’origine financer la moitié de son programme – rejeté au mois de mars.
Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)
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