14 mars, 2005

PAUL SCHAEFER, NAZI, PASTEUR ET CHEF DE SECTE, RÉPONDRA DE SES CRIMES DEVANT LA JUSTICE CHILIENNE

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L'Argentine a expulsé vers Santiago le fondateur de la Colonia Dignidad, accusé notamment de pédophilie et de soutien à la dictature d'Augusto Pinochet
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par Christine Legrand

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L'ex-caporal nazi Paul Schaefer, condamné par contumace pour pédophilie au Chili et accusé de tortures pendant la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990), fondateur de la mystérieuse Colonia Dignidad, est arrivé, dimanche 13 mars, à Santiago, après avoir été expulsé d'Argentine.

En fuite depuis 1996, l'ancien sous-officier du IIIème Reich, âgé de 83 ans, faisait l'objet d'un mandat d'arrêt international. Il avait été arrêté le 10 mars dans une maison de Tortuguitas, à une quarantaine de kilomètres au nord de Buenos Aires.

M. Schaefer, qui était accompagné d'une fille adoptive et de deux gardes du corps d'origine allemande, n'a opposé aucune résistance. Dans une chaise roulante, menottes aux poignets et élégamment vêtu, il est apparu à la télévision argentine avec sur les lèvres un sourire énigmatique.

Après avoir fui l'Allemagne, où il était recherché pour pédophilie, Paul Schaefer s'était réfugié au Chili où il avait fondé, en 1961, en compagnie de quelques adeptes, la mystérieuse Colonia Dignidad, à 350 km au sud de Santiago.

SÉVICES SEXUELS

Les activités suspectes de cette "colonie" - mi-secte, mi-camp de travail - ont défrayé la chronique à plusieurs reprises depuis quarante ans. Son fondateur est accusé de sévices sexuels sur des mineurs et soupçonné de fraude fiscale, trafic d'armes, manipulations génétiques et esclavage.

Selon la justice chilienne, Paul Schaefer, qui avait été pasteur luthérien en Allemagne, utilisait "la religion comme moyen de soumission". "Le viol était un instrument pour garantir la loyauté entre dominants et dominés au sein de la colonie." L'ex-nazi est également soupçonné d'être impliqué dans la disparition, en 1985, du professeur de mathématiques américain Boris Weisfeiler, juif d'origine russe.

Des organisations de défense des droits de l'homme et des députés socialistes avaient affirmé, en 1997, que les cadavres de 112 opposants à la dictature militaire, enlevés par la DINA, la redoutable police secrète d'Augusto Pinochet, auraient été enterrés à l'intérieur de la vaste enclave néonazie, qui s'étend sur quelque 15 000 hectares. Paul Schaefer avait appuyé le coup d'Etat militaire de 1973. Et le général Pinochet aimait passer des week-ends dans la Colonia Dignidad. L'épouse du dictateur, Lucia Pinochet, la décrivait comme "un paradis d'ordre et de propreté".

En 1991, après la fin du régime Pinochet, la colonie avait perdu son statut de société de bienfaisance. Rebaptisée Villa Bavaria, elle a continué à fonctionner en autarcie avec quelque 300 habitants cultivant leurs terres et ayant leur propre hôpital, leur école et leur barrage pour produire l'électricité. "C'est un immense empire économique, présent dans plus d'une centaine d'entreprises actives dans la construction, les supermarchés, des mines d'uranium et de titane, des flottes de transport et des biens immobiliers", pointe le sénateur socialiste chilien Jaime Naranjo, qui travaille sur le dossier depuis les années 1960. Baptisé par ses adeptes "l'oncle permanent" et bénéficiant de contacts, Paul Schaefer paraissait invulnérable.

NOUVELLE LOI

La justice chilienne avait procédé à plusieurs reprises à des perquisitions infructueuses dans la colonie. Puis la police y avait découvert un arsenal digne d'un roman d'espionnage, avec des bunkers, des détecteurs de mouvement et des caméras cachés dans les arbres.

Une équipe de télévision allemande, qui avait réussi à franchir les barbelés électrifiés et les miradors, avait été rouée de coups.

En 1999, le juge Juan Guzman, chargé du dossier Pinochet, avait inspecté la propriété. Des anciennes victimes de la DINA avaient reconnu les lieux de leur détention : de lugubres souterrains. Les corps d'éventuelles victimes de la dictature n'avaient pas été retrouvés, mais le juge Guzman n'avait pu examiner qu'une zone réduite du domaine.

Après qu'Interpol eut lancé un mandat d'arrêt international à son encontre, Paul Schaefer avait disparu de la Colonia Dignidad en faisant courir le bruit qu'il était mort. En novembre 2004, 22 responsables de la colonie avaient été condamnés pour 27 cas d'abus sexuels sur des enfants de paysans pauvres des environs.

L'expulsion rapide de Paul Schaefer a été rendue possible par la nouvelle loi argentine sur l'immigration, adoptée en janvier, qui prescrit que tout étranger peut être transféré s'il est accusé par un autre pays de "crimes contre l'humanité".

Et elle intervient à la veille d'une visite officielle du président argentin, Nestor Kirchner, au Chili, destinée à normaliser les relations entre les deux pays.

Christine Legrand

Le Monde