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LE PRÉSIDENT DU GOUVERNEMENT, PEDRO SÁNCHEZ ET SON ÉPOUSE, BEGOÑA GÓMEZ. PHOTO PRESSE EUROPA |
Pedro Sanchez menace de démissionner après l’ouverture d’une enquête contre sa femme / Le chef du gouvernement espagnol, à la tête d’une coalition fragile, dénonce le « harcèlement de la droite et de l’ultradroite » dans un climat politique de plus en plus polarisé.
Par Sandrine Morel (Madrid, correspondante) |
BEGOÑA GÓMEZ PHOTO CARLOS LUJÁN |
Le chef du gouvernement espagnol va-t-il faire mentir le titre de sa propre autobiographie, Manuel de resistancia (« manuel de résitance », Ediciones Peninsula, non traduit), parue en 2019 ? Pedro Sanchez s’est, en tout cas, donné cinq jours pour « réfléchir » et « répondre à la question de savoir si cela vaut la peine » de « continuer à la tête du gouvernement ou [s’il lui faut] renoncer à cet honneur ». Lundi 29 avril, le dirigeant socialiste communiquera sa décision, a-t-il précisé dans une « lettre aux citoyens », publiée sur ses réseaux sociaux, mercredi 24 avril au soir, à la surprise générale.
Dans la matinée, la justice avait annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire contre son épouse, Begoña Gomez, pour trafic d’influence et corruption en entreprise, après une plainte déposée par l’association d’extrême droite Manos limpias (« mains propres »). « Je suis conscient qu’ils portent plainte contre Begoña non pas parce qu’elle a fait quelque chose d’illégal – ils savent qu’il n’y a pas d’affaire –, mais parce qu’elle est mon épouse, a réagi M. Sanchez, sur X. La droite et l’ultradroite ont dépassé les limites du respect à la vie de famille d’un président du gouvernement » en essayant de « déshumaniser et [de] délégitimer l’adversaire politique par le biais de plaintes aussi scandaleuses que fausses ».
Experte en levée de fonds, Mme Gomez a poursuivi son activité professionnelle après l’arrivée de son époux au pouvoir, en 2018. Dans la plainte de Manos Limpias [pseudo-syndicat vrai groupe d'extrême droite], qui reprend les informations publiées par le site El Confidencial, il lui est notamment reproché d’avoir signé une lettre de recommandation à un chef d’entreprise qui sollicitait des subventions publiques, ou encore d’avoir rencontré, à l’été 2020, le président du groupe Globalia, Javier Hidalgo, pour discuter de possibles partenariats, alors qu’elle dirigeait une fondation, IE Africa Center. Or, le chef d’entreprise négociait alors un plan de sauvetage avec le gouvernement pour sa compagnie aérienne, Air Europa, mise à mal par la pandémie ; ces tractations se sont soldées par un prêt de 475 millions d’euros.
Les attaques se multiplient
Dans un climat politique de plus en plus crispé et polarisé, marqué par plusieurs affaires de corruption présumée, les deux principaux partis politiques multiplient les attaques depuis plusieurs mois. Depuis février, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) est ainsi confronté à l’affaire Koldo, du nom du bras droit de l’ancien ministre des infrastructures José Luis Abalos. Profitant de ses entrées dans les administrations publiques gouvernées par les socialistes, cet ancien vigile aurait joué les intermédiaires dans la vente de masques, qui plus est défectueux, durant la pandémie, moyennant d’importantes commissions.
Peu après ces révélations, en mars, des fuites ont révélé que le fiancé de la présidente conservatrice de la communauté (région) de Madrid, Isabel Diaz-Ayuso (Parti populaire, PP, droite), avait commis une fraude fiscale de plus de 350 000 euros entre 2020 et 2021. La droite et l’extrême droite répondent alors par des attaques contre l’épouse de M. Sanchez.
Pour le chef de l’exécutif, ce « harcèlement » est intolérable. D’où sa décision, à la veille des élections régionales catalanes du 12 mai et des européennes du 9 juin, de menacer de démissionner. Difficile de savoir s’il s’agit d’un coup de bluff, destiné à resserrer les rangs autour de lui et à remobiliser l’électorat socialiste, en se présentant comme la victime d’une « coalition des intérêts de la droite et de l’ultradroite ». Ou si l’homme politique de 52 ans entend véritablement mettre un terme à son mandat, afin de protéger sa famille.
À la tête d’un gouvernement de coalition des gauches minoritaire, il se sait fragile et incertain de pouvoir faire approuver la loi de budget 2025 à la rentrée. Il dépend en effet des voix de six formations politiques, dont les deux principaux partis indépendantistes catalans et grands rivaux, ERC, à gauche, et Junts, à droite.
Activités publiques annulées
Pour le président du PP, Alberto Nuñez Feijoo, M. Sanchez fait preuve d’« irresponsabilité » et de « narcissisme », et cherche à « jouer les victimes pour polariser » le débat politique. « Pedro Sanchez représente la dignité et le courage face à une droite immorale et prête à tout », a réagi, pour sa part, le porte-parole du PSOE, Patxi Lopez, sur X, terminant son message par le slogan antifasciste « No pasaran ». Les partis indépendantistes catalans et basques ont, eux, mis l’accent sur ce qu’il considère comme un nouveau cas d’instrumentalisation de la justice par la politique.
M. Sanchez a annulé toutes ses activités publiques d’ici à lundi. Y compris sa participation, jeudi, au meeting d’ouverture de campagne du candidat du Parti socialiste catalan (PSC), Salvador Illa, donné favori dans les sondages. Ainsi qu’au comité fédéral de son parti, samedi, qui devait entériner la liste des candidats socialistes aux élections européennes, menée par la ministre de la transition énergétique, Teresa Ribera.
Sa démission ouvrirait un nouveau processus d’investiture au Parlement. Mais la loi interdit de dissoudre les chambres dans l’année suivant la dernière dissolution, dans ce cas avant le 29 mai. Par ailleurs, un départ anticipé pourrait lui permettre de briguer un poste haut placé en Europe. S’il décide de se maintenir, il pourrait présenter une motion de confiance au Congrès des députés. Et chercher ainsi à renforcer sa légitimité.
Sandrine Morel (Madrid, correspondante)