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Apruebo ou rechazo ? Approbation ou rejet ? Le 4 septembre, le peuple chilien sera appelé à se prononcer sur le projet de nouvelle Constitution proposé par l’Assemblée constituante, qui a remis sa version finale au président de gauche Gabriel Boric le 4 juillet, après un an de travaux. Le texte est l’aboutissement d’un processus entamé au lendemain de l’«Estallido», un puissant mouvement social né en 2019 et qui portait, parmi ses revendications principales, la volonté de débarrasser le Chili de sa Constitution actuelle, datée de 1980 et héritée du dictateur Augusto Pinochet. Présentée par ses partisans comme démocratique, sociale, écologiste et féministe, la nouvelle loi fondamentale mettrait le pays sur la voie d’un «tournant radical», juge Manuela Royo, députée de l’Assemblée constituante. De passage à Paris, où elle est notamment auditionnée ce mercredi par l’Assemblée nationale, l’avocate et militante pour l’environnement et les peuples autochtones promet de faire des deux mois à venir «un moment d’éducation politique», alors que le rechazo est pour l’heure donné gagnant dans les urnes.
par Samuel Ravier-Regnat
Vous êtes en visite en Europe pour parler du projet de nouvelle Constitution au Chili. Quel est l’objectif de votre démarche ?
Nous voulons raconter au monde le processus constituant qui a vu le jour au Chili pour solliciter un soutien international. Nous pensons aussi que le projet élaboré par l’Assemblée constituante peut être une source d’inspiration pour les pays étrangers, car il répond aux problématiques contemporaines majeures. En matière de droits des femmes, par exemple, nous proposons la première Constitution féministe du monde. Nous voulons établir une démocratie paritaire, qui réserverait au moins 50 % des emplois de son administration à des femmes, et protéger le droit à l’avortement. Ce dernier point est particulièrement important, compte tenu des événements survenus ces dernières semaines aux États-Unis [où la Cour suprême a annulé la jurisprudence garantissant le droit fédéral à l’IVG]. Nous proposons de passer d’un État néolibéral à un État de droit et à un État social. Il s’agirait d’un tournant radical, au regard du poids du néolibéralisme dans l’histoire de notre pays.
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RÉFÉRENDUM SUR LA NOUVELLE CONSTITUTION CHILI 4S 2022 « J'APPROUVE » |
La Convention constituante était constituée en majorité d’indépendants qui n’avaient jamais été élus avant, vous par exemple. Comment avez-vous vécu cette année de travaux, jusqu’à la remise du projet de Constitution la semaine dernière ?
Ça a été très difficile, très exigeant. Nous avons été exposés, dans les médias ou sur les réseaux sociaux notamment. En même temps, ça a été un processus riche, grâce auquel nous avons pu discuter avec des personnes que nous n’avions jamais rencontrées auparavant. La présence d’autant de conventionnels indépendants a permis de générer une force supplémentaire pour pousser les revendications du peuple dans le projet de Constitution.
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En tant qu’avocate et militante, vous vous êtes battue pour les droits des autochtones du Chili, comme les Mapuches. Que pensez-vous de la proposition formulée par l’Assemblée constituante de reconnaître officiellement onze de ces peuples ?
C’est une étape importante dans l’histoire compliquée des relations entre le pouvoir central et les peuples autochtones, dont les terres ont été massivement usurpées, par la violence, notamment au XIXe siècle. Nous voulons reconnaître des droits spécifiques aux peuples autochtones, sur le plan territorial, culturel ou linguistique. Ainsi, le Chili se mettrait à jour de ses obligations juridiques internationales, notamment dans le cadre de l’Organisation internationale du travail (OIT), et remplirait enfin la vieille promesse du premier président post-Pinochet, Patricio Aylwin, qui s’était engagé à accorder une reconnaissance constitutionnelle aux peuples autochtones. Nous proposons un chemin vers le dialogue, en reconnaissant l’importance de l’interculturalité et du lien spécifique qui unit les peuples autochtones et la nature.
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Au sein de l’Assemblée constituante, 17 sièges étaient réservés aux peuples autochtones. La première présidente, Elisa Loncón, était Mapuche. S’agit-il aussi d’un tournant en matière de participation politique des autochtones ?
La présidence d’Elisa Loncon a été un moment symbolique très fort, car les femmes et les peuples autochtones ont longtemps été exclus des structures de pouvoir au Chili. Ici comme dans le reste du monde, les décisions sont le plus souvent prises par des hommes blancs, hétérosexuels, propriétaires. D’ailleurs, Elisa Loncón a subi beaucoup de critiques de certaines franges de la droite, qui l’ont attaquée avec des arguments racistes et coloniaux. Nous pensons que dans une démocratie, la vie politique doit être plus inclusive, que ce soit en matière de genre ou en matière ethnique.
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Sur la protection de l’environnement, trouvez-vous que le projet de nouvelle Constitution aille assez loin ?
Si le texte est adopté, ce sera la première Constitution au monde à consacrer un chapitre entier à la protection de l’environnement. Il propose de nombreuses mesures importantes et définit, dès l’article premier, l’État chilien comme écologique. Il établit l’existence d’une relation d’interdépendance entre les êtres humains et la nature, ce qui rompt avec le paradigme moderne dans lequel la nature est seulement un territoire d’exploitation au service de l’économie humaine. La nature dispose de droits qui doivent être protégés. L’eau, par exemple, est un enjeu crucial. Le Chili est le seul pays au monde où la Constitution consacre la propriété privée de la ressource hydrique. Nous proposons, à rebours de la logique extractiviste, de reconnaître l’eau comme «bien commun inappropriable». Sans eau, sans air, on ne peut pas vivre. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut conférer une protection juridique à ces biens, qui sont aussi importants que la sécurité économique ou l’ordre public. Après, bien sûr, il y a de nombreux aspects qui devront être approfondis avec le temps. Je pense par exemple à la protection des glaciers, qui sont de véritables réservoirs d’eau.
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Les propositions de l’Assemblée constituante sur l’environnement ou les peuples autochtones ont été critiquées par la droite, qui redoute qu’elles affaiblissent l’économie minière du Chili. Qu’en pensez-vous ?
C’est un argument absolument absurde. D’autres pays ont déjà reconnu l’existence et les droits des peuples autochtones, comme le Canada, la Nouvelle-Zélande ou la Bolivie, qui a longtemps joui d’une situation de croissance et de stabilité économique. Pour avoir un rapport plus équilibré avec la nature, nous devons nous débarrasser de la vision traditionnelle de l’économie et des dogmes du XIXe siècle. La croissance n’est pas illimitée. Il faut donc réfléchir à d’autres voies de développement pour notre pays. Les savoirs des peuples autochtones, par exemple en termes de préservation de la biodiversité, peuvent nous y aider.
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Comment comprenez-vous cette opposition très forte de la droite et des secteurs conservateurs au projet de Constitution ?
Le processus constituant est né du mouvement social de 2019, qui mettait profondément en cause la classe politique traditionnelle. C’était un mouvement de contestation d’un système néolibéral responsable de la privatisation du pays, de l’exclusion et de la précarisation de franges entières de la population. Ceux qui disposent de pouvoirs ou de privilèges ont participé à ce système, ils en sont complices et ils veulent le statu quo. L’administration néolibérale aussi. Au-delà de ça, une partie de la droite chilienne est en train de dévier dangereusement vers le fascisme, comme le montre l’accession au second tour du candidat d’extrême droite José Antonio Kast l’année dernière. C’est quelque chose qu’on peut voir dans le monde entier. Nous proposons d’aller dans le sens inverse : contre le fascisme, nous voulons faire gagner du terrain à la gauche, à l’écologie, au féminisme et à la justice sociale.
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Pour le moment, les sondages donnent une victoire du rechazo, le non, au référendum. Comment abordez-vous les deux mois à venir ?
Nous savons que cela va être une période très difficile. Les adversaires de notre projet de Constitution mobilisent des ressources économiques très importantes, qui leur viennent notamment des multinationales, des propriétaires d’eau ou des propriétaires terriens. Ceux-là s’opposent à une redistribution du pouvoir et des richesses. Ils utilisent les médias pour diffuser des fausses nouvelles et manipuler l’information, en disant par exemple que la Constitution permettra des expropriations et autorisera les femmes à avorter jusqu’à neuf mois de grossesse. Ils se servent aussi des enquêtes d’opinion pour propager l’idée selon laquelle le rechazo est sûr de gagner. Nous, nous savons que nos meilleures armes sont le texte constitutionnel que nous proposons et la vérité. Nous pouvons dire que tout ce que nous avions promis pendant la campagne électorale se retrouve dans le projet de Constitution : nous avions promis une Constitution féministe, écologiste, qui garantisse le droit à l’eau et reconnaisse les droits sociaux comme la santé ou l’éducation. Tout est là. Pendant deux mois, nous allons faire du porte-à-porte pour expliquer aux Chiliens quel est le contenu du projet. Et nous allons nous efforcer de démonter les mensonges de la droite. Nous voulons faire de ces deux mois un moment d’éducation politique, pour que le peuple puisse prendre une décision éclairée.
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Si le non l’emporte, la Constitution de Pinochet restera en vigueur, malgré le mouvement social de 2019 et l’élection de Boric. Qu’est-ce que cela signifiera pour le peuple chilien ?
Cela générerait une crise institutionnelle très grave. Pour tous les gens qui sont descendus dans la rue ces dernières semaines, ce serait le signal que la voie politique et institutionnelle ne permet pas de transformer la réalité. Aujourd’hui, nous portons donc une énorme responsabilité. Nous devons empêcher que la Constitution de Pinochet reste en vigueur encore trente années supplémentaires, jusqu’à la prochaine crise sociale.
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