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Fin septembre, Solidaire rencontrait le maire communiste chilien Daniel Jadue à Madrid, où il se trouvait en tant qu'invité à la Fiesta del PCE (la fête du Parti communiste espagnol). Nous avons discuté avec lui de l'évolution de la gauche au Chili.
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Le 21 novembre prochain, d'importantes élections présidentielles auront lieu au Chili. Pour la première fois, les partis de gauche ont organisé des primaires entre eux au début du mois de juillet. Le communiste Daniel Jadue, maire de Recoleta (Santiago de Chili) était le candidat pressenti de la gauche. Contre toute attente, il a été battu par le jeune ex-leader étudiant Gabriel Boric, à 40 contre 60%.
Ces primaires ont toutefois constitué une nouvelle étape importante pour le Parti communiste du Chili. Avec près de 700 000 voix, Daniel Jadue a obtenu plus de voix que tout autre candidat aux primaires de la droite, et plus que tout autre communiste de tous les temps (en 1999, Gladys Marín, la meilleure candidate communiste avant Jadue, avait obtenu 250 000 voix).
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La gauche se ressaisit
« La situation de la gauche au Chili est complexe, explique Daniel Jadue. Après la chute de l'Union soviétique et la prétendue démocratisation des années 1990, la gauche chilienne s'est développée très lentement. Un changement s’est opéré au cours des 12 dernières années avec, d'une part, une évolution au niveau électoral et parlementaire via des alliances et, d'autre part, une forte dynamique locale, y compris la participation à des majorités locales. La gauche a commencé à compter davantage sur ses propres forces, ce qui a mis fin à l'éternelle dualité entre un bloc de centre-gauche et un bloc de droite. Le Parti Communiste a fait une percée majeure lors des dernières élections locales, en avril 2021, où nous sommes généralement sortis des urnes comme première ou deuxième force politique. »
Daniel Jadue estime toutefois que la gauche reste très fragmentée, avec une base idéologique faible. Il existe ainsi de nombreux groupes qui se disent de gauche ou qui sont alliés de la gauche dans toutes sortes de grandes alliances mais qui, en même temps, s'opposent à Cuba, au Vénézuéla ou même au Forum de Sao Paulo, un forum annuel de partis de gauche, principalement d'Amérique latine. En tant que communistes, nous devons oser nous regarder dans le miroir. Si vous demandez à un communiste aujourd'hui s'il peut citer trois œuvres de Marx, il ne sera généralement pas en mesure de répondre. Non parce qu'il considérerait cela comme sans importance, mais par pure ignorance, par manque de connaissances. »
Perspective historique
« Une grande partie du monde politique de gauche est très institutionnalisée et fait désormais partie de l'élite, poursuit Jadue. Ces politiciens vivent dans leur bulle, dans leur monde imaginaire, avec des relations virtuelles. Une fois au pouvoir, ils oublient leurs principes et s'attachent aux mêmes privilèges que les autres. Nous voyons ce phénomène à l’œuvre non seulement au Parlement, mais aussi au niveau local, avec les maires. Certes, dans une moindre mesure, parce que, à ce niveau, on n'est pas réellement intégré dans la superstructure, celle de la société capitaliste. Là, vous êtes plus proche de vos électeurs qui peuvent vous demander des comptes. Mais là aussi, vous pouvez tout de même devenir la proie de la corruption et des privilèges. »
En tant que maire, Jadue verse ses revenus à son parti, qui lui paie un salaire. Un salaire qui n'est pas inférieur à celui qu'il gagnait avant sa prise de fonction comme maire. Mais un maire communiste, c’est bien sûr un vrai cauchemar pour la droite. Au cours des deux premières années de son mandat, il a été attaqué pas moins de 78 fois en justice, 8 fois au pénal et 70 fois au civil. « Aucune de ces assignations n'est allée très loin, il n'y avait pas la moindre preuve, mais cela donne une idée des intimidations que j’ai eu à subir. D'ailleurs, nous assistons aujourd'hui de plus en plus à ce type de ‘‘judiciarisation’’ de la politique, où les dirigeants progressistes ne sont plus attaqués avec des arguments politiques mais avec des recours en justice. Pensons à ce qui est arrivé à l'ex-président Lula au Brésil. C'est une évolution inquiétante. »
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Sur place, Jadue a été accueilli par des applaudissements. Par la suite, il s’est rendu chaque jour auprès des manifestants. Il était le seul homme politique, avec un drapeau du parti. Dans un premier temps, les manifestants faisaient une drôle de tête. Beaucoup s'opposaient juste à tous les partis, à toutes les politiques, mais Jadue a discuté avec eux jusqu'à ce que l'ambiance change. « Il s'agissait aussi de replacer le mouvement dans une perspective historique. Les jeunes qui protestent ont tendance à penser que l'histoire commence avec eux. Mais je manifestais déjà sur cette même place contre la dictature de Pinochet en 1983, et dans tous les grands mouvements de contestation depuis. »
Un récit intégral et inclusif
No lo vieron venir (Ils ne l'ont pas vu venir), voilà comment Jadue a appelé son livre de chroniques. « Or, la colère couvait depuis longtemps. Je ne suis donc pas d'accord avec le terme estallido social, « explosion sociale », comme s'il s'agissait d'un événement totalement inorganisé, non dirigé, alors que cela fait 39 ans qu'il existe toutes sortes d'expressions très diverses de résistance et d'alternative. C'est pourquoi je l'appelle une revuelta, une révolte. Avec une certaine exagération, je l'appelle parfois ‘‘l'Octobre chilien’’ (d'après la Révolution d'Octobre russe, ndlr). Un mouvement qui a débuté avec 15 000 manifestants et qui a grandi jusqu'à ce que 2 millions d'entre nous descendent dans les rues de la capitale. »
« La société chilienne s'est gravement dépolitisée au fil des années de dictature et de semi-démocratie. Dans un premier temps, le mouvement social de l'an dernier avait la colère pour seul moteur. Au départ, les grandes organisations sociales, telles que le syndicat CUT, ne sont pas descendues dans la rue. La conscience historique des décennies de plomb de la dictature est très faible. Les organisations de défense des droits humains ont été affaiblies et se limitent encore à la première génération de militants et de victimes de violations des droits humains. Sans mettre en doute leur importance, il faut pouvoir élargir le mouvement, avec un récit intégral et inclusif, pour attirer les couches plus larges de la population dans la lutte pour leurs droits sociaux. »
Un maire communiste
Daniel Jadue (55 ans) est maire de Recoleta, une grande commune (202 000 habitants) de la capitale Santiago. Au fil des ans, les résultats des élections ont montré une progression spectaculaire de la liste communiste de Jadue : passant de 2 % en 2002, à 11, puis 18 %, jusqu’à 41 % en 2012, quand Jadue est devenu maire pour la première fois. Fait remarquable, pendant son mandat de maire, ses résultats électoraux ont grimpé en flèche, pour atteindre 56 % en 2016 et 64 % en 2021.
« Nous devons ce résultat au grand nombre de programmes sociaux que nous développons à Recoleta. Nous avons une liste de 73 mesures très concrètes. Par exemple, nous offrons de l'énergie gratuite aux 60 % des familles les plus pauvres de la commune. Comment faisons-nous ça ? Nous installons des panneaux solaires sur toutes les maisons aux frais de la commune. Ceux-ci fourniront alors de l'énergie gratuite aux familles qui y vivent, et avec les rendements excédentaires, nous couvrirons les besoins en énergie des services et des bâtiments communaux et nous rembourserons l'investissement. Avant de pouvoir réaliser ce projet, nous avons toutefois dû contourner une disposition légale : les services publics ne sont pas autorisés à faire du commerce, à acheter et à vendre, car cela revient à faire du profit, et le profit au Chili est constitutionnellement réservé au secteur privé. Mais nous avons pu démontrer que ce que nous achetons et vendons ne couvre que les coûts et ne génère pas de bénéfices. Grâce à cette subtilité juridique, nous avons pu nous mettre au boulot. »
Au fil des ans, le maire communiste de Recoleta a obtenu des résultats électoraux de plus en plus positifs. (Photo Mediabanco Agencia)
Recoleta est connue pour ses nombreux projets de coopératives pour la population. « En plus de la pharmacie du peuple et de l'opticien du peuple, nous nous lançons maintenant dans ‘‘l'immobilier du peuple’’, car un loyer équitable est le rêve de tous les locataires. Nous pensons également à un ‘‘centre funéraire pour le peuple’’, funeraria popular, car un simple enterrement peut facilement coûter entre 3 000 et 4 500 dollars, ce qui représente une somme énorme pour les gens ordinaires de Recoleta. À travail égal, salaire égal dans toute la commune, c’est ce que nous voulons. Que ce soit du travail à domicile ou non. »
La nouvelle Constitution
En octobre 2021, le peuple chilien a voté à une large majorité (78 %) pour une nouvelle Constitution, qui sera élaborée par une Convention élue de 155 membres. Le projet sera ensuite soumis à une consultation populaire et de nouvelles élections anticipées seront éventuellement organisées en 2023.
« Une nouvelle Constitution, la Convention et la consultation populaire sont des étapes vers plus de démocratie, le début d'un processus de législation démocratique. Mais cela ne sera pas un point final. Cette Constitution ne sera pas gravée dans le marbre pendant 50 ans, il s'agit d'un processus. Si elle est approuvée en novembre 2022, cela signifiera une remise à zéro du système politique, d'un modèle hyperprésidentiel à un modèle semi-parlementaire, d'un système parlementaire bicaméral à un système monocaméral. Il n'est pas sûr que les forces de droite et les militaires accepteront cela sans réagir, il y a une certaine crainte qu’ils tentent même d’intervenir avant. Parce que ce qui est sur la table maintenant est loin de leur plaire. »
Qu'y a-t-il donc sur la table exactement ? Le Chili va devenir :
- Un État plurinational et interculturel (avec 11 minorités nationales reconnues : Mapuche, Aymará, Quechua et autres) ;
- Un État constitutionnel social, au lieu d'un État subsidiaire où, dans la plus pure tradition néo-libérale, l'État intervient le moins possible dans l'économie ;
- Un État féministe et paritaire, à tous les niveaux, avec un salaire égal pour un travail égal ;
- Un État qui garantit tous les droits fondamentaux : travail, logement, éducation, santé, sport, culture, internet ;
- Un État qui protège ses ressources naturelles.
Commerce international
Avec son long littoral, le Chili est une nation commerçante. Le pays a signé pas moins de 27 traités de commerce extérieur. Mais, depuis la dictature de Pinochet, ceux-ci se concentraient de manière très unilatérale sur les États-Unis. Aujourd'hui, le Chili négocie le TTP11, un traité commercial entre 11 pays des deux côtés du Pacifique. « Il prendrait le pas hiérarchiquement sur tous les autres accords commerciaux, ce qui entraînerait une nouvelle perte de souveraineté en matière de commerce, d'investissement, de brevets ». Le Chili pourrait pourtant opter pour une voie différente, en coopérant davantage avec la Chine et en surpassant ainsi le commerce avec les États-Unis. »
« Dans l'accord de transition de 1990, après la dictature, les communistes étaient exclus du pouvoir politique. Mais la Chine elle-même a maintenu un cap très pragmatique et n'a jamais rompu ses relations avec le Chili, même sous Pinochet. Aujourd’hui encore, la Chine peut être un bon allié stratégique pour le Chili, pour de nombreux produits et investissements : vaccins, 5G, traitement du cuivre, haute technologie. Je pense que cela pourrait vraiment être un win-win pour les deux pays. Et la Chine, dans sa politique étrangère, n'a jamais envahi un autre pays, n'a jamais renversé un gouvernement, n'a jamais organisé de coup d'État. Au Chili, nous savons mieux que quiconque que l'on ne peut pas en dire autant des États-Unis. »
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