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Jaime Bassa est vice-président de la Convention constitutionnelle chilienne. Son pays, analyse-t-il, est confronté à une double crise : celle d’un modèle économique antisocial et celle d’un système de représentation politique excluant les plus vulnérables. ENTRETIEN.
Envoyée spéciale.
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Comment expliquez-vous le succès du candidat d’extrême droite, José Antonio Kast, arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle, dimanche, deux ans après l’explosion sociale chilienne ?
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JAIME BASSA Nous n’avions plus vu, depuis l’élection présidentielle de 1989, un candidat d’extrême droite en mesure de l’emporter ou, du moins, nous avions eu une expérience similaire en 1999 lors du second tour opposant Ricardo Lagos à Joaquin Lavin. Mais il me semble que l’option Kast représente une droite radicale beaucoup plus extrême que celle de Lavin il y a vingt ans. C’est donc un scénario très particulier, alors que nous sommes en plein processus constitutionnel. Il est possible que ce processus de changement né de la révolte, de la crise sociale, ait ouvert un espace d’incertitude exploité et manipulé par l’extrême droite. Celle-ci a diffusé un discours de la peur : peur de l’inconnu, peur de la différence, peur de la diversité, pour en tirer un bénéfice politique.
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Si ce processus électoral en cours devait se conclure par la victoire des opposants à une nouvelle Constitution, qui n’avaient recueilli que 20 % des voix lors du référendum du 25 octobre 2020, qu’adviendrait-il de la Convention constitutionnelle, de son travail, de sa légitimité politique ?
JAIME BASSA Ce processus constituant chilien a une caractéristique qu’aucun autre processus de cette nature n’a eue ailleurs dans le monde : non seulement il n’avait pas le soutien du gouvernement, mais ce dernier lui a même opposé une franche hostilité. Alors, bien sûr, les quatre mois écoulés depuis l’installation de cette assemblée ont été très difficiles. Ce pouvoir constituant s’est dégagé lui-même un espace entre les pouvoirs existants, contre la volonté du gouvernement. Si un candidat plus à droite que l’actuel gouvernement devait l’emporter, ce processus constituant pourrait donc, c’est certain, être entravé d’une manière ou d’une autre. Tout dépendra du soutien citoyen à la Convention constitutionnelle, qui tire sa légitimité de la révolte sociale et du triomphe écrasant du oui à un nouveau texte fondamental en octobre 2020. Mais j’ai tendance à penser que ce processus constituant est assez solide pour continuer son chemin, quel que soit le visage du prochain exécutif.
Aucune réponse sérieuse aux demandes sociales exprimées en 2019 n’a été esquissée. Pensez-vous que le Chili pourrait connaître, dans un futur proche, une nouvelle révolte populaire ?
JAIME BASSA La Convention constitutionnelle a permis l’expression politique d’une diversité sociale, une représentation de la volonté populaire en rupture avec les formes traditionnelles de la démocratie représentative, qui fait défaut dans d’autres institutions. C’est une forme de participation sociale et citoyenne plus active, qui a pu générer des problèmes, des frictions, des frustrations, mais aussi beaucoup d’espoir car elle a offert la possibilité de réfléchir à un horizon alternatif, de prendre en considération des secteurs de la société structurellement marginalisés. Surmonter cette crise sociale implique d’apporter des réponses à la crise de légitimité et de confiance dans les institutions de représentation populaire. Si nous échouons, nous n’avons pas de plan alternatif facile. La révolte sociale, puis la pandémie de Covid-19 ont mis en lumière la profonde incapacité de l’État à satisfaire les besoins du peuple. Les Chiliens sont à la recherche d’une alternative, d’un nouveau cadre qui permettrait la prise en charge de ces revendications sociales. C’est le défi que nous devons relever.