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Dix années ont passé depuis que le Chili a connu de fortes mobilisations étudiantes contre le premier gouvernement de Sebastian Piñera afin d’exiger une éducation gratuite et de qualité. Ce mouvement a construit de nouvelles aspirations et avec elles de nouveaux leaders politiques. Une décennie plus tard, une des figures de ce mouvement étudiant arrive deuxième lors du scrutin de ce premier tour de l’élection présidentielle avec 25 % des suffrages, il s’agit de Gabriel Boric, 35 ans et originaire de la région de Magallanes, la Patagonie chilienne. Face à lui, encore improbable il y a peu, le candidat d’extrême droite José Antonio Kast se classifie en tête du second tour avec 28 % des voix.
par Pierre Lebret, Christophe Bieber, Florian Lafarge
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Dans un pays où le peuple a voté très largement en faveur de la création d’une Assemblée constituante en 2020 afin d’effacer l’héritage institutionnel de Pinochet, la qualification au second tour de José Antonio Kast est un véritable grain de sable dans la machine transformatrice du pays. La surprise est de taille, comment un pays a-t-il pu voter si massivement en faveur d’un changement profond de ses institutions et donner autant d’importance à un candidat qui rejette l’Assemblée qui formule ces évolutions ? Le résultat élevé de l’extrême droite s’explique d’abord et surtout par l’érosion au fil des semaines de la candidature de Sebastian Sichel. Ce dernier, soutenu par les partis du gouvernement actuel, s’est effondré dans les sondages ces dernières semaines. Les électeurs de droite voient dans le candidat Kast une valeur sûre pour défendre leurs intérêts économiques et leur vision conservatrice de la société.
Ces résultats électoraux montrent avant tout un rejet des forces politiques traditionnelles qui ont gouverné ces 35 dernières années. Les deux candidats qualifiés au second tour incarnent deux visions opposées du Chili. L’un est issu des mouvements sociaux avec un programme ancré à gauche, l’autre est un fervent défenseur de la dictature Pinochet qui construit son discours sur le retour de l’ordre et le rejet de l’immigration.
L’échiquier politique se retrouve plus polarisé que jamais. La gauche a retrouvé une flamme dans la rue au détriment des sociaux-démocrates et revendique des changements politiques, sociaux et économiques plus radicaux. La droite conservatrice, nostalgique du pinochétisme, trouve dans José Antonio Kast l’opportunité d’une revanche contre la constituante et une alternative contre une droite qui a concédé ce péché originel. Inspiré par une victoire à la Bolsonaro, envers et contre tous, l’héritier autoproclamé de Pinochet se veut le sauveur et le restaurateur d’un système autoritaire.
Pourtant la crise sanitaire ne fait qu’accentuer le malaise social qui a poussé la population dans les rues et qui parvint à obtenir cette lourde concession de la droite : une nouvelle constitution en 2022. Depuis, la pauvreté et les inégalités n’ont cessé d’augmenter partout dans le pays. Seul un déblocage politique et institutionnel pourra résolument transformer la société chilienne. De ces bouleversements politiques émergeront des réformes économiques ambitieuses à même de répondre aux revendications de 2019.
C’est pourquoi le candidat de gauche apparaît comme étant celui le mieux à même de créer les conditions nécessaires d’un processus de changement dans le pays andin. Le prochain président devra faire face à de nombreux défis et notamment reconstruire la confiance brisée pendant 4 ans de gouvernement du milliardaire Piñera, où les droits humains ont été terriblement bafoués. Pour y parvenir, Gabriel Boric va devoir élargir et négocier des accords d’appareil avec les autres forces de gauche. Mais il devra aussi et surtout aller capter les voix du candidat surprise Franco Parisi, sans décevoir son propre électorat. Parisi catalogué de centriste et libéral est arrivé en troisième place de ce premier tour avec près de 13 %. Tout doit être fait pour freiner l’extrême droite et donner une stabilité politique au pays.
Cette fois-ci, il ne s’agit pas seulement de changer de président, il s’agit d’un tournant historique, il s’agit d’embrasser un autre destin, il s’agit d’éviter l’innommable.
Pierre Lebret, politologue, expert du Chili et de l’Amérique latine
Christophe Bieber, historien, expert de l’Amérique latine
Florian Lafarge, ancien conseiller du porte-parole du gouvernement français (2012-2017)
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