21 novembre, 2021

ELECTION PRÉSIDENTIELLE AU CHILI : LE PAYS CHOISIT SON MODÈLE LORS D’UN SCRUTIN INÉDIT

  [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]  

Des soutiens du candidat d’extrême droite à la présidentielle chilienne,
José Antonio Kast, lors du rassemblement de clôture de
la campagne à Santiago, le 18 novembre 2021.
PHOTO ERNESTO BENAVIDES / AFP

Le premier tour de l’élection présidentielle a lieu ce dimanche, dans un contexte incertain et polarisé, marqué par la percée du candidat d’extrême droite José Antonio Kast. 
dans la lumière dorée du coucher de soleil en périphérie de Santiago, les partisans de José Antonio Kast agitent le drapeau étoilé chilien – très présent au meeting de fin de campagne du candidat d’extrême droite, jeudi 18 novembre –, et exultent au chant de «On le sent venir, Kast président ! »

« C’est la seule personne qui peut mettre de l’ordre dans le pays et régler les problèmes d’insécurité », s’enthousiasme Laura Rodriguez, une ingénieure de 35 ans de la commune chic Las Condes, où se tient le rassemblement, arborant un masque en tissu estampillé d’un « Kast, lance-toi ». Tandis que la foule tressaille au rythme de l’injonction « Qui ne saute pas est communiste », Fernanda Lagos, une cadre en ressources humaines de 37 ans, explique les raisons de son vote lors du premier tour de l’élection présidentielle du dimanche 21 novembre : « Kast est une personne qui a de l’autorité, du caractère, qui va donner du poids aux forces armées. Il est père de neuf enfants, c’est un entrepreneur, il sait comment diriger un pays. »

L’avocat et homme d’affaire de 55 ans José Antonio Kast, admirateur du dictateur Augusto Pinochet mais refusant l’étiquette d’extrême droite, a opéré une percée fulgurante dans les sondages ces dernières semaines. De quatrième homme – et talonnant Yasna Provoste (centre gauche), l’unique femme candidate de cette présidentielle aux sept prétendants –, il est devenu l’un des deux favoris du premier tour, aux côtés du candidat de gauche, Gabriel Boric. C’est un panorama aussi volatil que polarisé qui précède ce scrutin, à de nombreux égards totalement inédit depuis le retour à la démocratie en 1990.

Relation avec l’Assemblée constituante

Pour la première fois, le paysage politique n’est pas structuré par le pendule centre gauche-centre droit – représenté, pour cette élection, par le candidat Sebastian Sichel –, qui a rythmé les mandats présidentiels depuis plus de trente ans. Il s’agit, par ailleurs, de la première élection présidentielle depuis le mouvement contre les inégalités de 2019, qui a profondément reformulé la trajectoire du pays, notamment avec l’élection d’une Assemblée constituante planchant actuellement sur une nouvelle loi fondamentale. A la lumière du programme des constituants élus, la Magna Carta visant à remplacer le texte hérité de la dictature (1973-1990), devrait entériner les droits sociaux exigés par la rue.

« Ce sont des élections extrêmement importantes dans le sens où le prochain président va définir la relation avec cette assemblée : va-t-il aller dans le sens de son travail, comme le ferait Gabriel Boric ? Ou va-t-il se placer dans une logique de confrontation, comme le ferait José Antonio Kast ? », s’interroge Julieta Suarez Cao, politiste à l’Université catholique du Chili. A l’instar de nombreux experts, elle invite à appréhender les sondages avec prudence. Ceux-ci ont régulièrement échoué dans leurs prévisions, lors des derniers scrutins.

Surtout, plus que jamais, le pays se trouve face à un choix de modèle. Aux antipodes du mouvement social de 2019, José Antonio Kast se fait l’écho des Chiliens rejetant la rédaction d’une nouvelle loi fondamentale et ses idées progressistes. « Il a tout rassemblé sous l’idée de l’ordre, du conflit mapuche au sud à la question migratoire au nord. C’est la première fois que ces sujets sont aussi importants lors d’une élection », remarque Cristobal Bellolio, politiste à l’université Adolfo Ibañez.

PHOTO ESTEBAN FELIX / AP

Relents xénophobes

Le très ancien conflit mapuche, autour de la demande de restitution des terres de ces populations indigènes, a ressurgi dans la violence ces dernières semaines. L’état d’exception, avec une militarisation de la région, est en vigueur depuis plus d’un mois. Fin septembre, ce sont les images d’habitants mettant le feu aux affaires de migrants vénézuéliens, fuyant la crise humanitaire de leur pays et campant dans une ville du nord du Chili, qui ont révélé les relents xénophobes d’une partie de la société. « Il faut installer un fossé », a déclaré José Antonio Kast, au sujet des migrants traversant la frontière chilienne à pied.

Lorsqu’il était prétendant à l’élection présidentielle de 2017 – qui l’avait crédité de près de 8 % des voix –, il avait assuré que si le dictateur Augusto Pinochet «avait été en vie, il aurait voté pour [lui] ». « Cette archive le condamne, estime Julieta Suarez Cao. Outre ses déclarations, José Antonio Kast incarne l’alliance entre le néolibéralisme et le catholicisme qu’a réalisée la dictature. » Résolument opposé au mariage entre personnes de même sexe et à la dépénalisation de l’avortement – les textes sont en discussion au Parlement –, il prône un Etat réduit à son strict minimum, avec, entre autres, des baisses d’impôts.

Une femme tient un tract du candidat présidentiel chilien dela coalition
de centre-droit, Sebastian Sichel, à Santiago, le 16 novembre 2021.
PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP

Le candidat d’extrême droite a par ailleurs capitalisé sur la chute libre de Sebastian Sichel (centre droit), dont la campagne a été teintée d’erreurs. Cet ancien ministre de l’actuel président Sebastian Piñera (droite) pâtit de l’image profondément abîmée de ce dernier. A bout de souffle – malgré une campagne de vaccination efficace contre le Covid-19 –, le chef de l’Etat est, depuis le mois d’octobre, visé par une enquête dans le cadre du scandale des « Pandora Papers », révélant la vente d’une société minière, en partie via un paradis fiscal et entourée de soupçons de corruption. Il vient d’échapper à un processus de destitution lancé par l’opposition, après un vote négatif au Sénat.

Participation incertaine

À mille lieux de l’extrême droite, arrimé en tête – ou en deuxième place – des intentions de vote depuis le début de la campagne, Gabriel Boric rassemble une coalition englobant le Parti communiste jusqu’au centre gauche. Député depuis 2014, ancien leader des mouvements étudiants de 2011 en faveur d’une « éducation publique de qualité », il personnifie une mobilisation dont l’exigence préfigurait, en partie, la révolte de 2019. Son âge détonne : à 35 ans, il est le plus jeune prétendant à une élection présidentielle de l’histoire chilienne. Les bras tatoués, la barbe fournie, le col de la chemise ouvert et libre de toute cravate, «il représente le saut générationnel de la politique chilienne. Sa jeunesse séduit les moins de 35 ans, ceux dont la conscience politique s’est formée dans l’ère post-Pinochet », note Cristobal Bellolio.

Il a suscité la surprise lors de la primaire du mois de juillet, en l’emportant sur le candidat attendu, un maire communiste du nord de Santiago, et a assuré souhaiter accompagner le travail de l’Assemblée constituante. En pleine instabilité générée par la révolte sociale, en novembre 2019, il a d’ailleurs joué un rôle important dans l’élaboration d’un accord politique en vue d’organiser un référendum pour un changement de Constitution.

Lors du dernier débat présidentiel, lundi, Gabriel Boric a de nouveau affirmé sa volonté d’instaurer « un État providence », avec la garantie de droits sociaux, en matière de soins, de retraites et d’éducation. Il défend un modèle économique intégrant la protection de l’environnement et se fait l’écho des demandes féministes et des minorités concernant le droit à l’avortement ou encore le mariage pour tous.


Dimanche, le Chili doit également choisir ses conseillers régionaux, la totalité de ses députés et les sénateurs d’une partie du pays. Des élections qui ont toutes les chances de mener à un Parlement très fragmenté, selon les observateurs qui pointent l’incertitude du scrutin : la participation. Celle des plus jeunes, retournés aux urnes à la faveur du référendum de 2020 pour une nouvelle Constitution, et dont le cœur politique se situe plus à gauche que celui de leurs aînés, pourrait faire bouger le curseur de l’élection. Si aucun candidat n’obtient la majorité absolue dimanche, un deuxième scrutin est prévu le 19 décembre. Flora Genoux (Santiago, envoyée spéciale)