29 septembre, 2021

ELECTION PRÉSIDENTIELLE AU CHILI : UNE CAMPAGNE OUVERTE AVEC DE NOMBREUX ÉLECTEURS INDÉCIS

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PHOTO RODRIGO GARRIDO / REUTERS
Un montage photo (avec de gauche à droite) Sebastian Sichel, candidat de la coalition de droite, le 16 octobre 2018, le député de gauche Gabriel Boric, le 10 décembre 2019, et Yasna Provoste, l’ex-présidente du Sénat, le 22 juillet 2021. 
Les Chiliens doivent également choisir leurs députés et une partie des sénateurs, le 21 novembre. Alors qu’une Assemblée constituante, élue au mois de mai, travaille à l’élaboration d’une nouvelle loi fondamentale, les Chiliens se trouvent de nouveau face au choix de modèle.

Par Flora Genoux(Buenos Aires, correspondante)

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la campagne présidentielle chilienne a officiellement démarré le 22 septembre, avec le premier débat entre les candidats, dans un contexte marqué à la fois par une demande de renouveau politique et une forte indécision. Les électeurs doivent désigner le 21 novembre la ou le successeur du chahuté Sebastian Piñera (droite), qui ne peut pas se présenter de nouveau, en tant que chef d’État sortant.

En tête des sondages, avec près de 20 % des intentions de votes selon l’institut Activa : Gabriel Boric, 35 ans, député de gauche et ancien leader des mouvements étudiants de 2011 réclamant une « éducation publique de qualité ». Le plus jeune prétendant à l’élection présidentielle de l’histoire chilienne a créé la surprise lors des primaires du mois de juillet en devançant le candidat attendu, un maire communiste du nord de la capitale.

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PROPAGANDE ÉLECTORALE
« JOIGNEZ-VOUS POUR CHANGER LE CHILI. »


Parmi les sept candidats en lice, c’est notamment Gabriel Boric qui se fait davantage l’écho des demandes portées par l’Assemblée constituante. Elue au mois de mai, cette assemblée a, elle aussi, suscité la surprise, avec une majorité de constituants indépendants et marqués à gauche, véhiculant les grandes exigences de l’historique mouvement social d’octobre 2019, en faveur des droits sociaux. Le regard que portera le futur président sur cette assemblée est ainsi une pièce maîtresse des discussions.

En deuxième place dans les sondages, la coalition de droite emmenée par Sebastián Sichel, avocat de 44 ans, crédité de près de 12 % d’intentions de vote. Candidat de la continuité, il s’efforce de mettre à distance la figure de Sebastián Piñera – il a été son ministre du développement social de 2019 à 2020 – dont l’image est profondément écorchée par la pandémie et la gestion du soulèvement social de 2019.

Une croissance forte

Le Chili est cependant parvenu à endiguer le taux de mortalité, comparé à d’autres pays de la région, comme le Pérou, le Brésil ou l’Argentine, avec plus de 37 000 morts liés au coronavirus pour près de 19 millions d’habitants. Cette année, avec une croissance de 11 % environ, le pays va largement absorber la chute du produit intérieur brut de 2020 (– 5,8 %).

« Le discours central de Sebastián Sichel est celui du soutien aux petites et moyennes entreprises, et contre la présence de l’État », souligne Isabel Castillo, politiste et chercheuse au Centre du conflit et de la cohésion sociale, qui note la volonté du candidat de se positionner davantage au centre. Il s’est notamment prononcé en faveur du mariage pour les personnes de même sexe, actuellement en débat au Parlement.

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La troisième figure : l’ex-présidente du Sénat Yasna Provoste, 51 ans – près de 10 % d’intentions de vote selon Activa – unique femme dans la course à la présidentielle. À la tête d’une coalition de centre gauche, « elle aussi se positionne sur un axe plus progressiste au sein de sa famille politique », la démocratie chrétienne, relève Isabel Castillo, tandis que la candidate a déclaré qu’elle entendait avancer vers le droit à l’avortement (actuellement autorisé seulement en cas de viol, de danger pour la vie de la personne enceinte ou d’inviabilité du fœtus).

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« Yasna Provoste insiste sur son aspect identitaire, en disant qu’elle est une femme d’origine indigène du nord du pays, mais elle porte le fardeau de sa coalition à qui on reproche de ne pas avoir changé le système libéral [mis en place sous la dictature, entre 1973 et 1990], quand elle était au pouvoir », poursuit Isabel Castillo. Yasna Provoste a notamment été ministre de l’éducation sous le premier mandat de Michelle Bachelet (2006-2010, centre gauche). L’ex-ministre est talonnée par le candidat d’extrême droite José Antonio Kast.

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Lors du premier débat télévisé, mercredi 22 septembre, les journalistes ont d’emblée interpellé les candidats sur une nouvelle ponction des pensions, à capitalisation individuelle privée, système accusé de reproduire les inégalités de la vie active. La question n’a rien de technique : elle soulève celle du choix de modèle, universel avec l’instauration d’un État-providence d’une part, ou toujours en grande partie adossé au secteur privé, d’autre part. Gabriel Boric et Yasna Provoste se sont prononcés en faveur d’un système de sécurité sociale public, tandis que Sebastián Sichel a plaidé en faveur d’un système mixte où cohabiteraient le privé et le public.

« Dépolitisation » importante de la société

Le trio retraites, santé et éducation s’impose d’ailleurs parmi les grands problèmes auxquels le gouvernement devrait s’atteler, selon les Chiliens interrogés par le Centre d’études publiques (CEP), des thématiques désormais devancées par celles de la délinquance et de l’insécurité. Elément le plus frappant, et inédit : la moitié des votants ne savent pas encore quel nom ils glisseront dans l’urne au mois de novembre, selon l’enquête du CEP.

« Cela s’explique par une société où la dépolitisation est très importante. Le taux de participation de 41 % à l’élection de l’assemblée constituante fait état d’une faible mobilisation », analyse Antoine Maillet, politiste à l’Université du Chili. Ce climat laisse la voie « à une course très ouverte, caractérisée par un discours corseté et une grande prudence des candidats », poursuit le spécialiste, qui estime que le processus d’écriture de la Constituante « éclipse en partie » l’élection présidentielle. Les candidats doivent parvenir à capter l’intérêt d’électeurs défiants, alors que la révolte sociale de 2019 a mis en exergue la profonde crise des partis traditionnels qui n’ont pas su capitaliser sur le mécontentement de la population.

Le 21 novembre, les Chiliens appelés aux urnes devront également élire la totalité des députés et une partie des sénateurs, ainsi que les conseils des seize régions. Si aucun candidat ne bénéficie de majorité absolue au premier tour, un deuxième scrutin se tiendra le 19 décembre. Flora Genoux (Buenos Aires, correspondante)

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ILLUSTRATION AGENCIA UNO

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