18 septembre, 2021

LE PRÉSIDENT MEXICAIN PROPOSE AUX PAYS LATINO-AMÉRICAINS DE S’ÉMANCIPER DE WASHINGTON

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PHOTO  ALFREDO ESTRELLA / AFP

La volonté d’« AMLO » de remplacer l’Organisation des États américains par un organisme « vraiment autonome » des États-Unis rebattrait les cartes de la géopolitique du continent. 
Les jours de l’Organisation des États américains (OEA) sont-ils comptés ? La question devait être au cœur des débats lors du sommet de la Communauté d’États latino-américains et caraïbes (Celac), prévu samedi 18 septembre à Mexico.

Le président mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador (« AMLO »), propose de remplacer l’OEA par un organisme « vraiment autonome » de Washington. L’initiative émancipatrice rebattrait les cartes de la géopolitique du continent. Mais elle semble hasardeuse et risquée pour le Mexique, très dépendant de son puissant voisin américain.

L’arrivée, vendredi soir à Mexico, du président vénézuelien, Nicolas Maduro, a créé la surprise alors que sa vice-présidente, Delcy Rodriguez, confirmait, quatre heures plus tôt, qu’elle représentait son pays. « AMLO » avait accueilli, la veille, en grandes pompes le président cubain, Miguel Diaz-Canel, invité d’honneur des festivités patriotiques mexicaines du 16 septembre, une première. L’occasion pour « AMLO » d’appeler son homologue américain, Joe Biden, à « lever l’embargo contre Cuba, car aucun État n’a le droit de soumettre un autre pays ». Le président de centre gauche  demande la création d’un nouvel organisme régional qui ne soit « le laquais de personne ». Son offensive diplomatique désavoue l’OEA, dont le siège est à Washington, au nom de « la défense de la souveraineté des nations et de l’équité entre elles » face à l’interventionnisme américain.
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Le président cubain, Miguel Diaz-Canel (au centre), et sa femme, Lis Cuesta, ainsi que le président mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador, lors d’une cérémonie pour le jour de l’indépendance à Mexico, le 16 septembre 2021.

L’OEA est en effet perçue par beaucoup de Latino-Américains comme un instrument d’ingérence de Washington. Elle est l’unique organisme qui réunit l’ensemble des pays du continent, à l’exception de Cuba, exclu depuis 1962, et du Venezuela, qui a renoncé à son siège en 2019. Les deux pays font partie, en revanche, des trente-trois membres de la Celac, organisme qui n’intègre ni les États-Unis ni le Canada. De M. Diaz-Canel au Péruvien, Pedro Castillo, en passant par le Bolivien Luis Arce, seize présidents seront, samedi, au rendez-vous de la Celac, dont Mexico assure la présidence tournante.

« Semblable à l’Union européenne »

À ses débuts, en 1948, l’OEA était vouée à contrer l’expansion du communisme. Les temps ont changé selon le ministre mexicain des affaires étrangères, Marcelo Ebrard : « Nous proposons une nouvelle organisation, construite en accord avec les États-Unis, pour le XXIème siècle et non plus l’époque de la guerre froide. »

Samedi, M. Ebrard avait prévu d’« écouter d’abord les positions des États membres de la Celac (…) avant de soumettre un projet au Canada et aux États-Unis d’ici au premier semestre 2022 ». Et « AMLO » d’aller plus loin en proposant « quelque chose de semblable à l’Union européenne, qui tiendrait compte de notre histoire », prônant une meilleure intégration économique et politique régionale.
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Le président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador, à Mexico, le 13 août 2021.

Depuis son entrée en fonctions, fin 2018, le président mexicain remet au goût du jour la doctrine Estrada. Le texte élaboré par Genaro Estrada, ancien ministre des affaires étrangères (1930-1932), fixe les principes constitutionnels de « non-intervention », d’« autodétermination des peuples » et de « solution pacifique des conflits ». Une doctrine délaissée par les prédécesseurs d’« AMLO », dont Enrique Peña Nieto (2012-2018), qui s’était montré très critique envers le président vénézuélien, Nicolas Maduro.

Le cas du Venezuela a été le premier différend flagrant entre « AMLO » et le secrétaire général de l’OEA depuis 2015, Luis Almagro, partisan d’une ligne dure contre M. Maduro. A contre-courant de la plupart des membres de l’OEA, Mexico a choisi une posture de neutralité. « AMLO » n’avait pas désavoué, début 2019, le nouveau mandat de M. Maduro, refusant de reconnaître Juan Guaido, dirigeant de l’opposition qui s’était proclamé chef de l’État vénézuélien. Des négociations entre les deux camps se sont ouvertes, en août à Mexico, en vue des élections générales du 21 novembre au Venezuela.

Mais c’est la crise bolivienne qui a cristallisé la rupture entre « AMLO » et M. Almagro, dont le rôle a été déterminant dans le départ, le 10 novembre 2019, du président de gauche, Evo Morales. L’OEA avait soutenu dans un rapport très controversé la thèse d’une fraude électorale, qui a été infirmée depuis par de nombreuses contre-expertises. M. Morales s’était réfugié au Mexique.

« Il a été victime d’un coup d’État », assure « AMLO ». Mexico s’était opposé sans succès, en mars 2020, à la réélection de M. Almagro, dont le mandat court jusqu’en 2025. « La pire gestion de l’histoire de l’OEA », a fustigé, en juin, M. Ebrard.

« Le Mexique pourrait perdre gros »

De quoi prédire la fin de l’organisme ? « Pas si sûr », répond Nazar Lopez, spécialiste des relations internationales à l’Université nationale autonome du Mexique. Selon M. Lopez, « la Bolivie et le Venezuela l’appellent de leurs vœux. Le Nicaragua, l’Argentine, quelques îles caribéennes et peut-être le Pérou pourraient vite leur emboîter le pas. Mais pas les autres membres de l’OEA, assujettis aux États-Unis ». L’expert ne s’attendait à « aucune déclaration historique », alors que le sommet devrait déboucher sur la désignation de l’Argentine à la tête de la Celac.

Même avis du côté d’Iliana Rodriguez, spécialiste des relations internationales à l’université du Tec de Monterrey, qui assure que « la fin de l’OEA est vouée à l’échec ». « Cela nécessiterait la convocation d’une Assemblée extraordinaire, précise-t-elle. Or, le Mexique ne parviendrait pas à mobiliser le vote de vingt-six des trente-quatre membres de l’OEA, nécessaire pour prendre une telle décision. En revanche, Mexico vise peut-être à fragiliser Almagro pour l’obliger à démissionner. La démarche pourrait aussi aboutir à une réforme de l’OEA. Difficile d’imaginer pour autant que Washington accepte de perdre la main sur le sous-continent. »

C’est la première fois qu’« AMLO » ose défier son puissant voisin du Nord. Jusque-là, il s’était montré plutôt conciliant envers les exigences économiques et migratoires de Donald Trump, puis de Joe Biden. Pour Mme Rodriguez, « la proposition d’“AMLO” renforce son leadership en Amérique latine. Mais le Mexique pourrait perdre gros en s’opposant à son principal partenaire économique », alors que 80 % des exportations mexicaines sont destinées au marché des États-Unis.

Le locataire de la Maison Blanche n’a pas réagi à l’initiative mexicaine. Il a néanmoins adressé, jeudi, un message de félicitations à son homologue pour la fête nationale célébrant le début de la guerre d’indépendance, déclarant que Mexico est « un des partenaires les plus appréciés » par Washington. En revanche, M. Biden a décliné l’invitation d’« AMLO » à assister, le 27 septembre, à la cérémonie des 200 ans de la fin de la guerre d’indépendance du Mexique, prévoyant d’envoyer à sa place son secrétaire d’État, Antony Blinken. Tout un symbole.  Frédéric Saliba