30 mars, 2022

DISPARITION D’UNE ÉTUDIANTE JAPONAISE À BESANÇON : ACCUSÉ DE MEURTRE, SON EX-PETIT AMI NIE LES FAITS

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PHOTO PATRICK HERTZOG / AFP

Le Chilien Nicolas Zepeda est accusé d’avoir tué, en décembre 2016, Narumi Kurosaki, une jeune Japonaise étudiant à Besançon, et fait disparaître son corps.

D’abord, il y a ce jeune homme cravaté, qui plie soigneusement sa veste de costume marine avant de la poser sur le banc, décline son identité, ses diplômes de management et sa profession de « fondateur et administrateur d’une petite entreprise » d’un ton affable avant de remercier « Señor Presidente » de l’attention qu’il veut bien lui accorder. Ensuite, il y a ces rangées d’interprètes qui se relaient au micro pour traduire simultanément l’espagnol en français ou en japonais, tandis qu’à l’extérieur s’affairent les envoyés spéciaux des chaînes de télévision nippones et chiliennes.

Par Pascale Robert-Diard

Temps de Lecture 6 min.

Et sous ces allures de congrès international, mardi 29 mars, il y a la cour et les jurés du Doubs, réunis au palais de justice de Besançon, pour juger Nicolas Zepeda, accusé d’avoir assassiné Narumi Kurosaki, la nuit du 4 au 5 décembre 2016, chambre 106, résidence universitaire Colette, bâtiment Rousseau. Elle était arrivée en France quatre mois plus tôt dans le cadre d’un échange entre son université japonaise de Tsukuba et celle de Besançon, pour suivre un cursus de licence en économie. Narumi Kurosaki était née à Tokyo, elle avait 21 ans, son corps n’a jamais été retrouvé.

Croquis d'audience montrant la mère (D) et la soeur de Narumi Kurosaki
le 29 mars 2022 devant la cour d'assises du Doubs, à Besançon -
Dessin  Benoit Peyrucq [AFP]

L’accusé plaide l’acquittement

Il a fallu plus de trois ans aux autorités françaises pour obtenir l’extradition de ce ressortissant chilien qui se rendait en Porsche Cayenne au tribunal de Santiago et qui faisait valoir son droit au silence devant le juge d’instruction et le procureur français venus l’interroger. Mais enfin il est là, dans le box, face à la mère et à la sœur de Narumi Kurosaki, assises au banc des parties civiles et face à une cour d’assises qui, pendant deux semaines, va devoir jongler avec les décalages horaires pour entendre les témoins « aux deux antipodes du continent », comme l’a relevé le président, Matthieu Husson.

Croquis d'audience montrant le Chilien Nicolas Zepeda devant
la cour d'assises du Doubs, le 29 mars 2022 à Besançon -
Dessin Benoit Peyrucq [AFP]

Il est là et il a chargé ses deux avocates, Mes Jacqueline Laffont et Julie Benedetti, de plaider son acquittement. Ses parents sont venus eux aussi soutenir farouchement l’innocence de leur fils, si gentil, si attentionné, si brillant, « élevé dans les valeurs chrétiennes ». Ils prient, disent-ils, pour que revienne celle qu’ils continuent d’appeler « la portée disparue ». Ses deux sœurs cadettes, restées au Chili, ont chacune écrit une longue lettre à la cour, dans lesquelles elles expriment le vœu de pouvoir bientôt de nouveau serrer leur frère dans leurs bras. Même la femme de ménage de la famille a rédigé une attestation pour dire combien ce jeune homme est attachant et respectueux.

Nicolas Zepeda est le dernier à avoir vu Narumi Kurosaki vivante. Le 4 décembre 2016, il l’a emmenée au restaurant avant de passer la nuit avec elle dans la chambre 106. Puis il est reparti. Dès le lendemain matin, avait-il indiqué dans un premier temps. Le surlendemain, a-t-il fini par admettre. Pour lui, l’histoire s’arrête là. « Merci de me laisser répondre à cette accusation monstrueuse. Je tiens à dire clairement que je n’ai pas tué Narumi. Cela fait cinq ans qu’elle a disparu. Et depuis, c’est un cauchemar », a-t-il déclaré à l’ouverture de son procès. Mais il y a le dossier. Et il pèse lourd, très lourd, sur l’accusé poli et cravaté.

Nicolas Zepeda était alors âgé de 27 ans. Il avait connu Narumi au Japon où il étudiait comme elle l’économie, ils avaient vécu ensemble quelques mois, elle l’avait quitté, il était rentré au Chili. Il savait que, depuis leur séparation, la jeune femme était tombée amoureuse d’un étudiant qui vivait dans la même résidence qu’elle.

Cris de douleur « affreux » et « terribles »

Le 28 novembre 2016, Nicolas Zepeda a pris, sans prévenir son ex-compagne, un vol Santiago-Madrid, puis Madrid-Genève, a rejoint Dijon en train, où il a récupéré une voiture de location qu’il avait préalablement réservée, et il a roulé jusqu’à Besançon. « Je suis venu dans le but d’avoir les idées claires sur la poursuite de mes études », explique-t-il. Le président relève aussitôt qu’il n’a fait aucune démarche en ce sens.

Pendant quelques jours, il a en revanche beaucoup erré entre les deux villes et surtout beaucoup tourné autour du bâtiment Rousseau. Il n’était « pas au courant », assure-t-il, que Narumi logeait là. Il a aussi procédé à des achats surprenants dans un hypermarché de Dijon le 1er décembre : un bidon de cinq litres de produit inflammable, du détergent, et une boîte d’allumettes. Deux jours plus tard, dans une boutique de Besançon, il a fait l’acquisition d’une chemise et d’un blazer.

Le 4 décembre, il a « rencontré par hasard » Narumi devant sa résidence, qui revenait de son cours de danse. Ils sont partis en voiture jusqu’à Ornans, à 25 kilomètres de Besançon, ont dîné au restaurant et sont rentrés ensemble à la résidence. Ils ont fait l’amour toute la nuit, a-t-il indiqué, en donnant des précisions sur les « gémissements expressifs » de sa partenaire. Au milieu de la nuit, les voisins, eux, ont entendu les cris de douleur « affreux » et « terribles » d’une femme et un « bruit de choc ».

Au petit matin du 6 décembre, Nicolas Zepeda a repris sa voiture garée devant la résidence, emprunté un parcours de routes secondaires au milieu de vastes forêts et de cours d’eau – il a été reconstitué par le tracker du véhicule et par les bornes activées par son téléphone – avant de ramener le véhicule à l’agence de location de Dijon. Il était très sale, couvert de terre côté conducteur, sa roue arrière était endommagée. Le GPS indiquait qu’il avait parcouru 776 kilomètres en une semaine.

Le 7 décembre, Nicolas Zepeda s’est envolé de Genève vers Barcelone, où il est resté quelques jours chez l’un de ses cousins. Avant d’embarquer, le 12 décembre, vers le Chili, il lui a demandé de rester discret sur son séjour, au prétexte de ne pas alerter son père, qui n’était pas au courant de ce voyage en Europe.

Connexions suspectes et messages effacés

Pendant ce temps, à Besançon, l’amoureux français de Narumi, Arthur del Piccolo, s’inquiétait. Elle ne répondait plus au téléphone alors qu’ils se parlaient ou s’envoyaient des textos quarante fois par jour ; elle n’avait pas réapparu au centre où elle suivait des cours intensifs de français, sa porte restait close.

Mais par le biais des réseaux sociaux, il a soudain reçu d’elle une série de réponses brutales lui annonçant qu’elle avait « rencontré un garçon » et qu’il devait « la laisser tranquille ». Les amis de Narumi, qui demandaient aussi de ses nouvelles, se sont étonnés de la formulation peu habituelle de ses messages Facebook, Messenger ou Line, dans lesquels elle leur indiquait qu’elle était allée refaire son visa au consulat à Lyon, alors qu’elle dépendait de celui de Strasbourg, ou qu’elle avait décidé de partir en voyage au Luxembourg. A Tokyo, sa sœur et sa mère étaient également destinataires de messages écrits aux fautes de syntaxe étranges, dans lesquels Narumi se disait très occupée et s’excusait de ne pas pouvoir les appeler.

L’enquête a montré que Nicolas Zepeda, geek confirmé, avait acheté, lors de son séjour en France, un VPN permettant de masquer les adresses IP, et que des connexions suspectes avaient été établies sur le compte Facebook de la jeune femme depuis Madrid ou le Chili, après sa disparition. Il avait aussi sollicité une amie pour qu’elle lui traduise en japonais plusieurs phrases – comme celle-ci : « Je pars seule » – et lui avait demandé ensuite d’effacer leurs échanges. A partir du 12 décembre, Narumi n’a plus donné aucun signe de vie sur les réseaux sociaux.

Lorsqu’ils ont pénétré, le 15 décembre 2016 à 18 heures, dans la chambre 106, les enquêteurs ont trouvé le lieu parfaitement rangé et nettoyé. Toutes les affaires de l’étudiante étaient là : son seul manteau d’hiver, son portefeuille avec de l’argent dedans et ses deux cartes bancaires, ses chaussures, sa trousse de maquillage, son ordinateur portable, son agenda, sa carte SNCF et un dossier d’inscription en vue d’un séjour au ski avec son amoureux, Arthur. Le passage au Bluestar n’a révélé aucune trace de sang. Ne manquaient que sa valise et la couverture de son lit. Pascale Robert-Diard


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29 mars, 2022

ASSASSINAT DE NARUMI KUROSAKI: LE PROCÈS DU CHILIEN NICOLAS ZEPEDA S'EST OUVERT

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PHOTO AFP

Le procès du Chilien Nicolas Zepeda, accusé d'avoir assassiné son ex-petite amie japonaise, Narumi Kurosaki, disparue sans laisser de trace en décembre 2016, s'est ouvert mardi matin devant la cour d'assises du Doubs.

La Croix avec l'AFP

Lecture en 3 min.

en chemise bleu clair et cravate sombre, le jeune homme de 31 ans a pris place, serein et concentré, sur le banc des accusés, derrière ses avocates Mes Jacqueline Laffont et Julie Benedetti.

À l'ouverture du procès, le jeune homme de 31 ans a décliné, en espagnol et d'une voix claire et posée, son identité et sa date de naissance, indiquant posséder "une maîtrise en administration en entreprises" et être "fondateur d'une petite entreprise".

Le président de la cour Matthieu Husson, qui avait déjà officié pour le procès de Jonathann Daval à Vesoul fin 2020, a souligné d'emblée que ce procès "se distingue par son internationalité" sur "une amplitude horaire de douze heures". Certains témoins seront entendus en visioconférence depuis le Japon et le Chili et six interprètes sont chargés d'assurer la traduction simultanée de l'intégralité des débats en japonais et en espagnol.

En détention provisoire à Besançon depuis l'été 2020 après avoir été extradé du Chili, Nicolas Zepeda est accusé d'être venu à Besançon avec l'intention de tuer son ancienne petite amie, qu'il avait rencontrée au Japon et qui l'avait éconduit. Selon l'accusation, il l'aurait étouffée, après une journée et une nuit de retrouvailles, se serait débarrassé de son corps dans une forêt du Jura, et aurait envoyé des messages aux proches de l'étudiante sur les réseaux sociaux pour faire croire qu'elle était encore vivante et retarder le début des recherches.

Mais le corps de Narumi Kurosaki n'a jamais été retrouvé et Nicolas Zepeda, unique suspect, affirme l'avoir quittée vivante avant de poursuivre son séjour en Europe puis de rentrer au Chili.

- Sanglots -

La mère et la plus jeune soeur de Narumi Kurosaki sont venues de Tokyo pour assister au procès. Visiblement très émues, étouffant des sanglots, elles ont pris place en silence, tête baissée, sur le banc des parties civiles. Se tenant par la main, elles ont évité de poser leur regard sur l'accusé.

Aucun des avocats de la défense ou des parties civiles, n'a fait de déclaration à la presse avant l'ouverture de ce procès prévu pour se prolonger jusqu'au 12 avril.

Venus de Santiago du Chili, les parents de Nicolas Zepeda sont également arrivés ensemble au tribunal, marchant d'un pas décidé devant les nombreux journalistes présents, visages fermés. Ils doivent être entendus mardi après-midi par la cour.

Dans la salle d'audience, les décalages horaires avec Tokyo et Santiago du Chili sont affichés. Huit cartons, trois piles de gros dossiers et différents éléments des scellés de l'enquête ont été rassemblés sur une table.

PHOTO AFP

Selon le planning prévu, la journée de mardi visera principalement à cerner la personnalité de l'accusé. Celui-ci commencera à être interrogé sur les faits proprement dits jeudi après-midi.

"Il n'y a pas de preuve de décès, ni de lieu, ni de modalités précises, pas de scénario clair de ce qui est arrivé. (...) Ce dossier est un peu un château de cartes", a soutenu, en amont du procès, la défense de Nicolas Zepeda.

- "D'autres scénarios" -

Du côté des parties civiles, la famille de Narumi Kurosaki et son petit ami français, Arthur Del Piccolo, s'attendent à ce que Nicolas Zepeda propose "d'autres scénarios que celui qui l'accuse".

PHOTO ARCHIVE AFP

"Nous n'avons strictement aucun doute concernant l'implication de Zepeda parce que de nombreux éléments au dossier établissent cette implication", affirme Me Randall Schwerdorffer, avocat de M. Del Piccolo.

Parmi ces éléments figurent des données de téléphonie, la géolocalisation de la voiture louée par Nicolas Zepeda lors de son séjour en France, des achats par carte bancaire dont celui d'un bidon de produit inflammable et d'allumettes ou le témoignage troublant d'un cousin auquel il avait rendu visite en Espagne avant de retourner au Chili.

Fiers de leur fille et de ses brillantes études, les parents séparés de Narumi attendent avant tout de ce procès que Nicolas Zepeda passe aux aveux.

"Ils voudraient revenir avec le corps de leur fille" pour lui offrir des funérailles et pouvoir enfin faire leur deuil, a souligné Me Sylvie Galley, leur avocate.

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28 mars, 2022

LES ACTES VIOLENTS ONT DOUBLÉ EN UN AN AU CHILI

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« Protocole » DESSIN LAUZAN
Santiago du Chili, 28 mars 2022. Les actes de violence ont doublé en 2021 dans la macro-zone du sud du Chili, où le peuple mapuche souffre de l'invasion de ses terres, désormais aux mains de grandes entreprises agricoles.

Prensa Latina

PHOTO @MOP_CHILE

L'une des priorités du gouvernement de Gabriel Boric, entré en fonction le 11 mars, est de résoudre le conflit dans cette région du pays, témoin des épisodes de violence rurale ayant pris la forme d'émeutes, d'attaques contre des machines et des terres agricoles, d'incendies et de fusillades.

Certains événements s'inscrivent dans le cadre du conflit dit "mapuche", qui oppose l'État au principal groupe indigène du pays, lequel a revendiqué les terres qu'il habite depuis des siècles et qui sont actuellement aux mains de sociétés agricoles et forestières.

Selon des données collectées  par le Multigremial de La Araucanía, [organisation patronale] 471 attaques ont été enregistrées dans la région en 2021, soit plus du double de l'année précédente, où 228 incidents violents ont été signalés.

La région d'Araucanía compte le plus grand nombre d'attaques, avec 255 incidents, alors que ceux derniers se sont produits dans 28 de ses 32 municipalités, suivie de Biobío (201 cas) et Los Ríos (11), et pour la première fois dans les régions de Maule et Los Lagos.

Au cours de la deuxième semaine de mars, le Sénat a approuvé une prolongation de 15 jours de l'exception constitutionnelle de l'état d'urgence en vigueur dans la macro-zone sud depuis octobre dernier qui restera en vigueur jusqu'à ce samedi.

Cette mesure, mise en œuvre dans les provinces de Biobío, Arauco, Cautín et Malleco, accorde des pouvoirs spéciaux aux forces armées afin de soutenir le travail de la police en cas d'actes de violence.

Dès son arrivée à la présidence chilienne, M. Boric a assuré qu'il ne renouvellerait pas l'état d'urgence et a déclaré qu'ils continueraient à chercher des moyens de mettre fin à ces événements, y compris le dialogue.

Le 14 mars, une délégation gouvernementale dirigée par la ministre de l'Intérieur Izkia Siches s'est rendue dans le sud du pays, mais elle a été accueillie par des tirs, ce qui l'a obligée à s'abriter et à rentrer à Santiago. jcc/oda/lpn

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« Mer Agitée »
DESSIN LAUZAN

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ANNIVERSAIRE DE LA DISPARITION DE JOSE WEIBEL

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 « LIBERTÉ POUR LE CHILI / JOSE WEIBEL /
JEUNESSES COMMUNISTES DU CHILI » 1976

1976 - 29 MARS - 2022
46ème ANNIVERSAIRE DE LA DISPARITION 
DE JOSE ARTURO WEIBEL NAVARRETE.


Le 29 mars 1976, José Weibel fut arrêté. Ce jour-là, Jose Weibel, sa femme et ses deux enfants circulaient à bord d’un autobus qu’ils avaient l’habitude de prendre à cette heure-là lorsque à 7 heures 40 du matin environ, une femme s’écria : « On m’a volé mon sac » : l’autobus fut immédiatement arrêté par une voiture noire. Plusieurs personnes descendirent de la voiture et montèrent dans l’autobus ; ces personnes accusèrent Jose Weibel de voler, avec l’aide de deux autres personnes qui étaient dans l’autobus, embarquèrent José Weibel dans la voiture noire. Dans la matinée du même jour, entre dix heures et midi, la maison de José Weibel fut fouillée et mise à sac par un grand nombre d’individus en l’absence de Madame Weibel. ()

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« OÙ SONT-ILS ? »
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LE PRÉSIDENT PALESTINIEN DÉNONCE LES DOUBLES STANDARDS DES PUISSANCES OCCIDENTALES

DESSIN CARLOS LATUFF 

Ramallah, 28 mars 2022. Les évènements en Ukraine montrent aujourd’hui les doubles standards flagrants des puissances occidentales qui détournent le regard face au nettoyage ethnique et à la discrimination raciale d'Israël, a dénoncé le président palestinien Mahmoud Abbas.

Prensa Latina 

DESSIN CARLOS LATUFF 

Lors d'une rencontre avec le secrétaire d'État nord-américain, Antony Blinken, le président a dénoncé que l’Israël « agit comme un État au-dessus des lois sans même le savoir » devant la communauté internationale.

Le dirigeant a appelé à l'application de mesures contre Tel-Aviv après avoir dénoncé l'occupation des terres palestiniennes et la transgression des droits légitimes de ses compatriotes.

Abbas a préconisé une solution politique basée sur le droit international qui permettrait à son peuple de créer un État avec les frontières d'avant la guerre de 1967 et avec Jérusalem-Est comme capitale.

Le président a également condamné l'expansion et la construction de nouveaux établissements juifs, ainsi que la violence des colons.

De son côté, Blinken a exprimé l'engagement de l'administration Joe Biden à promouvoir une solution basée sur deux États, bien qu'il n'ait présenté aucun calendrier ni moyen d'y parvenir. jcc/livp/jf/robe

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JULIEN DE CASABIANCA.
–« OUTINGS IN JERUSALEM » 

(SORTIES À JÉRUSALEM), 2015

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27 mars, 2022

IRACÍ HASSLER, LE NOUVEAU VISAGE DU COMMUNISME AU POUVOIR AU CHILI

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PHOTO  MARCELO HERNANDEZ 

PORTRAIT
Trentenaire, féministe, écologiste, la maire de Santiago élue six mois avant le jeune président Gabriel Boric, incarne cette génération de gauche arrivée aux responsabilités dans le sillage du mouvement social de 2019.

Par Flora Genoux (Santiago, envoyée spéciale)

l’accolade est vive et franche. Le 10 mars, Irací Hassler, 31 ans, jeune maire de Santiago, accueillait chaleureusement Gabriel Boric, 36 ans, plus jeune président de l’histoire du Chili, vingt-quatre heures avant sa prise officielle de fonctions, dans la mairie qu’elle a mise à sa disposition pour y recevoir les délégations étrangères. L’image, largement partagée sur les réseaux sociaux, reflète le profond renouveau idéologique en œuvre au Chili : de la présidence, en passant par la Chambre des députés et les mairies-clés, une jeune génération de gauche occupe le pouvoir, dans le sillage du soulèvement social de 2019.

► À lire aussi :    LE PCCh AU CŒUR DES DÉFIS DU CHANGEMENT POUR UN NOUVEAU CHILI

« L’élection d’Irací Hassler a préfiguré celle du président », observe Cristóbal Bellolio, politiste, professeur à l’université Adolfo-Ibañez. En mai 2021, six mois avant le premier tour de l’élection présidentielle, alors même que la primaire à gauche n’a pas encore désigné Gabriel Boric comme candidat, la jeune femme a créé la surprise à la mairie de Santiago.

Précédemment aux mains de la droite, la capitale chilienne – 400 000 habitants, entre élégants édifices historiques et poches de pauvreté – bascule pour la première fois dans le giron du Parti communiste. Les Chiliens découvrent le visage d’Irací Hassler, conseillère municipale depuis cinq ans. « Le Chili doit faire de la dignité une priorité », assure alors celle qui coche toutes les cases du profil de cette jeune gauche, résolument féministe et écologiste.

« Je ne suis ni ta fille ni ta mère »

En 2011, elle a participé au mouvement étudiant en faveur d’une éducation gratuite de qualité, dont les leaders, Gabriel Boric, Camila Vallejo et Giorgio Jackson, de deux à cinq ans ses aînés, ont été élus députés dans la foulée, avant d’occuper respectivement, aujourd’hui, la présidence et des ministères stratégiques.

C’est à cette époque qu’Irací Hassler – son prénom, d’origine tupi-guarani, signifie « reine des abeilles » – a rejoint les Jeunesses communistes. « Son ton était ferme et chaleureux, elle faisait preuve de leadership», se souvient Dafne Concha, aujourd’hui conseillère à la mairie de Santiago, qui l’a croisée dans les débats à l’époque.

La jeune militante n’a pas baigné dans la culture communiste. Fille d’une psychologue brésilienne et d’un entrepreneur chilien d’origine suisse – « de droite », a-t-elle plusieurs fois précisé –, elle étudie à l’école privée suisse avant de rejoindre les bancs de l’université du Chili, publique. « Je suis organisée, perfectionniste, cela pourrait avoir un lien avec le fonctionnement de la société suisse, sur certains aspects, comme celui des horaires. Du Brésil, je garde la proximité [avec les gens], le fait de beaucoup parler», explique-t-elle dans une interview diffusée par CNN Chile, le 10 mars, fidèle au ton joyeux et calme qui la caractérise.

C’est avec cette même fermeté souriante qu’en novembre 2021, en pleine campagne présidentielle, sur un plateau de télévision, elle renvoie dans les cordes un journaliste qui s’est adressé à elle d’un condescendant « petite mère ». « Nous, les femmes, nous sommes de plus en plus présentes dans les sphères de pouvoir et de décision, nous méritons le respect, et je ne suis ni ta fille ni ta “mère”, je suis Irací, tu peux m’appeler par mon prénom ou “maire de Santiago”, qui est mon mandat », réplique-t-elle. La vidéo de ce clair recadrage devient vite virale. Dans la foulée, la maire reçoit un tee-shirt estampillé d’un « Je ne suis pas ta fille, je ne suis pas ta mère », avec lequel elle pose sur les réseaux sociaux.

Le communisme des millennials

Les voilà, les codes pop de cette cohorte de trentenaires qui inventent le communisme version années 2020, à coups de story Instagram, sur fond de tubes internationaux : Britney Spears, The Weeknd… pas vraiment des icônes antinéolibérales. « Ces jeunes femmes communistes décaféinent le marxisme », observe Cristóbal Bellolio, en référence également à Karol Cariola, 34 ans, députée, ou à Camila Vallejo, 33 ans, porte-parole du gouvernement. « On ne les entend pas parler du prolétariat. Leur communisme est intersectionnel, s’adresse aux millennials. Les opprimés, ce sont les femmes, les populations indigènes, ceux qui se reconnaissent dans les diversités sexuelles », poursuit le chercheur.

Rompant avec la discipline du parti, ces jeunes communistes se sont désolidarisés publiquement, en novembre 2021, de l’appareil de leur organisation, lorsqu’il a apporté son soutien sans faille à Daniel Ortega, réélu de manière controversée lors de l’élection présidentielle au Nicaragua.

« Nous condamnons les violations des droits humains et défendons toujours la démocratie, que ce soit au Chili ou au Nicaragua », déclare alors Irací Hassler sur Twitter. Le PCCh chilien « n’est pas exempt » de la culture « hétéropatriarcale », a aussi attaqué la maire de Santiago lors de l’entretien qu’elle a accordé à CNN Chile le 10 mars. « Lors du dernier congrès, nous avons défini le parti comme féministe », s’enthousiasme-t-elle.

« Cette jeune génération partage finalement plus les codes de Frente Amplio [le Front large, coalition de gauche, d’extrême gauche et de sociaux-libéraux fondée par Gabriel Boric en 2017 et avec laquelle il a remporté l’élection présidentielle] que ceux du PCCh, analyse Sergio Grez, spécialiste de l’histoire politique à l’université du Chili. Même si le PCCh chilien d’aujourd’hui tient davantage de la social-démocratie, il est devenu une anomalie internationale. »  

Par Flora Genoux (Santiago, envoyée spéciale)


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26 mars, 2022

CHILI: UN JEUNE BLESSÉ PAR BALLE PAR LA POLICE LORS D'UNE MANIFESTATION ÉTUDIANTE


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PHOTO JAVIER TORRES / AFP

Un jeune manifestant a été blessé par balle vendredi 25 mars au Chili lors d'un défilé étudiant, la première manifestation auquel doit faire face le nouveau président Gabriel Boric, 36 ans, lui-même ex-leader étudiant. «Un jeune homme a été blessé à la suite d'un coup de feu», a déclaré le sous-secrétaire à l'Intérieur Manuel Monsalve, précisant qu'il s'agissait de l'arme d'un «agent de la circulation, et non d'un membre des forces de maintien de l'ordre». Le pronostic vital de la victime, touchée à la poitrine et âgée de 19 ans, n'est pas engagé.

Par Le Figaro avec l'AFP

PHOTO EL CIUDADANO

Selon la police, l'officier a tiré avec son arme de service pour se défendre lorsque lui et d'autres collègues qui détournaient le trafic automobile ont été pris à partie par un groupe d'assaillants encagoulés. «Il est très important que le travail de maintien de l'ordre public soit toujours accompagné de la protection des droits de l'Homme», a déclaré la porte-parole du gouvernement, Camila Vallejo. «Cela implique le grand défi que le gouvernement a face à lui (...) la réforme des Carabineros», les forces de maintien de l'ordre, une institution mise en cause pour des violences commises lors du soulèvement social en 2019. 
PHOTO  IVAN ALVARADO



Des affrontements ont également eu lieu avec la police qui a fait usage de gaz lacrymogènes et de canon à eau. «Boric, écoute, rejoins la lutte», ont crié les cohortes d'étudiants en passant devant le palais présidentiel de La Moneda. Les manifestants réclament une augmentation du montant de la carte alimentaire qui leur est accordée par l'État. «Cette bourse n'a pas été augmentée en fonction de l'inflation depuis douze ans», a déclaré à l'AFP Ale, un étudiant en droit de 21 ans. «Si Boric est aujourd'hui président, c'est grâce au mouvement étudiant», a estimé Sebastian, étudiant de la même filière. Il y a dix ans, Gabriel Boric, lui aussi étudiant à la faculté de Droit de Santiago, menait les manifestations qui réclamaient un enseignement public gratuit et de qualité au Chili.
« Mer Agitée »
DESSIN LAUZAN

25 mars, 2022

« L’AMÉRIQUE LATINE AVAIT PERDU SA PLACE DANS LE MONDE » – ENTRETIEN AVEC LA MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES CHILIENNE

PHOTO MARIELISA VARGAS

Nouvelle ministre des affaires étrangères au sein du gouvernement du Président Gabriel Boric, Antonia Urrejola était il y a encore quelques mois la Présidente de la Commission Interaméricaines des Droits de l’Homme. Dans cet entretien, elle aborde les chantiers de sa gestion et s’engage dans la reconstruction d’une politique étrangère qui fut très critiquée pendant le mandat de Sebastian Piñera. Priorité aux droits humains, l’environnement, le droit des femmes et l’intégration régionale. Avec un degré de pragmatisme, la nouvelle ministre débute sa gestion dans une région qui confirme un tournant à gauche mais souffre de nombreux reculs notamment en matière de pauvreté à cause de la pandémie. Pierre Lebret l’a rencontrée à Santiago pour Le Vent Se Lève.

Pierre Lebret – 

Le monde se souvient du « Chile despertó » comme une leçon d’un peuple contre un système profondément inégalitaire, contre les abus. Aujourd’hui, le Chili a le plus jeune président de son histoire et se dirige vers une nouvelle Constitution. À quels changements le peuple chilien peut-il s’attendre en matière de politique étrangère ?

Antonia Urrejola – 

en matière de politique étrangère, le Chili doit répondre à ce que vous venez de souligner. Effectivement, Chile despertó1, et aujourd’hui nous avons un jeune président avec une forme de leadership qui est nouvelle pour le Chili et la région. C’est un leadership empathique, qui représente non seulement la jeunesse, mais aussi une gauche démocratique, qui a un regard inclusif sur tous les secteurs, toutes les communautés et toutes les diversités, et je crois que la politique étrangère doit être le reflet de ce leadership que témoigne le président Gabriel Boric. Dans cette perspective, nous devons promouvoir une politique étrangère la plus ouverte possible, une politique étrangère en contact avec les pays voisins, avec les différentes chancelleries des autres pays, avec les organisations multilatérales. Je souhaite être également en contact et au plus près des personnes, à la fois vis à vis des attentes de nos citoyens, mais également lors de mes déplacements futurs, j’espère vraiment avoir un espace pour rencontrer et écouter les sociétés civiles au sein des pays là où je me rendrai. Je crois que l’élan que donne le Président Boric, cette empathie, doit se refléter aussi au niveau de la politique étrangère.

PL – Quelles seront les priorités du Chili en matière de politique étrangère ? En quoi consiste cette diplomatie que vous définissez comme « turquoise » et féministe ?

AU – La politique étrangère dialogue avec la politique intérieure, et la diplomatie turquoise répond aux enjeux prioritaires que sont la crise climatique et la question environnementale. La nomination de Maisa Rojas est un message fort en ce sens pour la région et le monde, elle est connue pour sa lutte contre le changement climatique et c’est un signal du Chili vis à vis de l’étranger. La diplomatie turquoise est une vision globale des effets du changement climatique, à la fois de la biodiversité, à cause de la couleur verte, mais également en lien avec la question des océans, et là, je veux reconnaître le travail réalisé par l’ancien ministre des Affaires étrangères Heraldo Muñoz2 dans ce domaine, dans un pays qui compte avec de vastes zones océaniques comme le Chili.

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Si nous voulons faire face au changement climatique, nous devons avoir une forte politique environnementale comme axe prioritaire, nous devons traiter les questions de biodiversité et la question océanique et antarctique. C’est pourquoi cette diplomatie turquoise, qui est une synthèse de ces perspectives, devrait nous permettre d’avoir une voix beaucoup plus forte, tant au niveau multilatéral, mais aussi bilatérales avec la mise en place d’agendas communs sur ces questions. Seuls, nous ne pouvons pas faire face à la question climatique, énergétique et environnementale.

En matière d´égalité de genre, le président a été très catégorique sur l’importance d’une politique féministe. Par exemple, c’est la première fois que le Comité politique intègre la Ministre des femmes, ce n’est pas un fait isolé et cela témoigne d’une politique féministe, car cela va permettre à l’agenda de genre d’être une dimension transversale à la politique gouvernementale. La politique étrangère doit également y répondre, y compris la transversalité de la politique féministe. Lorsque nous parlons du changement climatique ou de l’inégalité structurelle que connaît le Chili dans des organisations internationales comme la CEPALC par exemple, la perspective de genre sera également incluse dans toutes ces conversations. Cela aura également un effet sur la nomination des femmes ambassadrices, où la parité sera essentielle. Nous devons commencer à travailler pour réduire l’écart entre les sexes au sein du ministère des Affaires étrangères lui-même, dans la représentation diplomatique elle-même, dans la carrière diplomatique et dans la formation des futurs professionnels diplomatiques. D’ailleurs nous avons nommé une femme, féministe, comme directrice de l’Académie diplomatique.

PL – Ces dernières années, on voit comment des gouvernements conservateurs ont quitté des organisations comme l’UNASUR pour en créer d’autres sans grande ambition intégrationniste. Seule la CELAC a pu être relancée par le gouvernement mexicain. Pour vous, comment et en quoi doit consister l’intégration régionale, vers quoi doit-elle s’orienter pour qu’elle soit durable et utile aux peuples de la région ?

AU – Il existe plusieurs espaces d’intégration régionale. La première des priorités en matière d’intégration c’est celle que nous devons construire avec nos pays voisins, ils représentent une dimension essentielle dans les relations internationales, et il faut d’abord commencer par renforcer la coopération avec ces pays, travailler sur des agendas communs, et notre pays en particulier compte tenu des divergences que nous avons eues sur les questions frontalières. Des divergences continueront d’exister, mais l’important c’est que l’on puisse trouver des objectifs communs pour travailler ensemble et cela doit s’inscrire sur le long terme au-delà des gouvernements en place, il y a des problèmes communs qui nous rassemblent.

Pour le Président, la relation de notre pays avec l’Amérique latine est fondamentale. Il faut récupérer la voix de l’Amérique latine dans les enceintes mondiales, et c’est un enjeu que le Président m’a indiqué comme étant une priorité absolue, pour que la région se repositionne sur des enjeux majeurs comme le changement climatique, étant donné que nous sommes l’une des régions les plus touchées par ce phénomène. Nous devons avoir une voix commune sur ces questions. L’intégration régionale c’est aussi trouver un chemin commun, concernant l’environnement, la crise migratoire, le trafic de drogue, le commerce équitable, le développement durable, nous devons établir ce chemin commun avec les pays de la région au-delà de nos différences idéologiques. Nous pouvons avoir des différences idéologiques, et nous pouvons avoir des alliances dans l’espace idéologique plus proche de nous, avec des points de vue communs, mais cela ne veut pas dire que nous n’allons pas travailler à l’intégration régionale avec tous les pays de la région.

Aujourd’hui, nous avons un continent fragmenté, polarisé, où les espaces de dialogue ont été perdus, et il n’y a que des espaces de dialogue entre ceux qui sont idéologiquement liés et c’est ce que nous voulons laisser derrière nous. Au-delà du fait que le Président va avoir des relations plus personnelles ou un rapprochement avec certains gouvernements de la région en raison de l’existence de points de vus idéologiques communs. Mais en même temps, l’intégration doit être renforcée par rapport aux grands enjeux qui nous concernent tous, et là il ne peut pas y avoir de gouvernements de gauche et de droite. Et en ce sens, l’idée n’est pas de générer davantage d’organisations régionales. Ce qui s’est passé avec des organisations comme Prosur, avec son biais idéologique, ce qui a été fait, c’est qu’ils ont fragmenter le continent, et finalement la région aura perdu sa voix sur la scène globale sur des enjeux communs qui nous concernent tous.

PL – Mais l’UNASUR avait réussi une certaine unité au-delà des gouvernements de l’époque…

AU – Oui exactement. C’est pourquoi il est nécessaire de renforcer les initiatives qui existent et qui ont fonctionné, renforcer le dialogue régional, le dialogue avec les pays voisins, et générer les approches nécessaires pour construire et défendre des agendas communs. Les différences idéologiques sont normales et ont toujours existé, mais nous ne pouvons pas continuer à fragmenter la région. En fin de compte, ce qui se passe avec l’Amérique latine, c’est qu’elle a perdu de la visibilité, qu’elle a perdu de la place sur la scène mondiale, qu’elle a été perdue, sans parler de l’idée que se font certains que l’Amérique latine est une région développée qui n’a pas besoin de plus de coopération alors que la vérité est complètement inverse, les défis sont nombreux et les inégalités structurelles sont présentes et profondes, la coopération internationale est donc essentielle.

PL – Le Président Gabriel Boric a été très catégorique et sans ambiguïté sur le respect des droits de l’homme en tant que marque de sa politique étrangère. Il a critiqué le Venezuela et le Nicaragua. Mais aujourd’hui, des transformations politiques et géopolitiques sont en cours en Amérique latine, où le rapprochement des États-Unis avec le Venezuela pourrait en être une. Quelle part de pragmatisme sera nécessaire dans la politique étrangère du Chili ?

AU – Pour le Président, la question des droits de l’homme sera une question fondamentale pour notre gouvernement et notre politique étrangère. Cela dit, et étant très clair sur les positions que le Président a prises, en ce qui concerne le Venezuela et le Nicaragua, par exemple, nous avons également des relations bilatérales avec ces pays, et ces relations se poursuivront. J’espère que le leadership du Président Boric, un leadership de gauche, une gauche démocratique, pourra être utile pour rechercher un rapprochement avec ces pays, et chercher des solutions aux graves crises que traversent ces sociétés. C’est un défi, et ces gouvernements dont on parle doivent d’abord accepter cette envie de dialogue, cette main tendue que nous souhaitons témoigner. Il me semble que les relations bilatérales doivent continuer à exister avec tout le monde. Par exemple avec le Venezuela, concernant la question migratoire…

PL – Existe-t-il une possibilité d’accord ou une volonté régionale en la matière ?

AU – Il faut que nous puissions commencer à travailler sur une proposition qui doit être discutée avec différents pays. L’idée est de construire une politique migratoire avec les autres pays de la région pour trouver une solution face à cette grave crise sans précèdent en Amérique Latine. Mais cette solution passe aussi par le gouvernement vénézuélien lui-même, et nous devons dialoguer avec eux. En ce qui concerne les droits de l’homme, il est important d’accorder de l’importance aux victimes et de chercher des solutions au-delà des positions idéologiques et des gouvernements en place, l’importance c’est comment ensemble nous pouvons trouver des solutions. Dans le cas de la politique migratoire, il sera donc essentiel d’établir un dialogue avec le Venezuela.

PL – Vous l’avez dit dans une interview au journal La Tercera que le TPP11 ne sera pas une priorité du gouvernement actuel. Le Chili ne devrait-il pas commencer à chercher à renforcer le commerce intra-régional ?

AU – D’une part, le Chili a déjà un grand nombre d’accords de libre-échange avec le monde entier, ces traités sont toujours en vigueur et continueront d’être en vigueur, personne ne remet en cause aucun traité. Concernant le TPP11, il y a eu un long débat qui dure depuis de nombreuses années, et ce n’est pas une priorité, non pas parce que ce n’est pas important, mais parce qu’on comprend que la première chose à tenir compte c’est comment le processus constituant va se dérouler. Le processus constituant va être très important, ainsi que la façon dont la société chilienne considère les traités comme le TPP11. Mais en aucun cas il n’a été dit non à cet accord. Le Chili est aujourd’hui dans un débat qui aura des effets sur notre politique commerciale, sur le type de société que nous voulons, le développement durable que nous voulons, le commerce équitable, la participation des communautés locales au développement économique. Et d’une certaine manière, il sera très important de voir comment nous discuterons ce type de traités. Mais il ne s’agit pas de mettre un terme au TPP11, mais plutôt d’attendre ce qui résultera du débat constituant. J’insiste sur le fait que personne ne demande de modifier les traités, et éventuellement si un processus post-constitutionnel dans un domaine comme le développement durable, la participation des communautés locales, etc., j’évalue un scénario ultérieur qu’il me semble important de souligner …

PL – Mais il y a aussi certaines pressions de la part de certains partis politiques…

AU – Oui, c’est pourquoi il est important de souligner que si nous parlons d’agendas communs tels que le changement climatique, le développement durable, la participation communautaire, si cela finit par conduire à la nécessité de modifier les traités, toute révision est multilatérale, elle n’est pas unilatérale et sur cela nous devons être catégoriques. Mais il faut comprendre qu’il y a un ensemble de traités qui datent des années 90, que le monde a changé, qu’il y a de nouveaux défis. Le changement climatique il y a 20 ans était quelque chose de lointain, aujourd’hui il est là et il est urgent. La façon dont nous regardons les traités doit comporter ce nouveau regard. La question des nouvelles technologies, de la confidentialité des données, des questions qui font aujourd’hui partie de l’agenda mondial, et donc à terme certains traités doivent être vue sous un autre angle que ce qu’est le monde aujourd’hui. Si cela se produit, il doit s’agir de négociations dans le cadre multilatéral ou bilatéral selon l’accord, mais ce n’est pas un débat unilatéral.

PL – Le gouvernement de Sebastián Piñera est accusé d’avoir violé les droits de l’homme depuis le 18 octobre 2019, sa présidence a aussi signifié un profond recul en matière de politique étrangère. Pourtant, le Chili a été un pays reconnu pour son ouverture sur le monde, attaché au droit international et au multilatéralisme, et a eu des relations privilégiées sur les questions commerciales avec de grandes puissances comme les États-Unis et la Chine. Quelle sera la position du pays dans cette « nouvelle ère » définie par le chancelier allemand après l’invasion russe de l’Ukraine ?

AU – La position du Président a été très clair, il a condamné sans nuance, il a parlé d’une invasion, d’une atteinte à la souveraineté et a exprimé sa solidarité avec les victimes. Je crois que le tweet du président, court et précis, parle de lui-même de l’axe de la politique étrangère en la matière. Bien sûr, il y a des relations bilatérales, des relations commerciales, qui sont toujours prises en considération, mais en ce qui concerne l’invasion russe, le président a été très clair. Nous allons continuer à plaider et à insister pour reprendre les canaux diplomatiques et multilatéraux, car si nous n’insistons pas sur cette solution, seuls plus de gens mourront et la crise s’aggravera. De ce petit pays qu’est le Chili, notre voix sera d’élever l’urgence de se rasseoir à la table des négociations, de chercher à nouveau des solutions diplomatiques, à une crise qui, quelles que soient ses causes, la vérité c’est qu’il y a une invasion, il y a des innocents qui meurent, la vérité est que cela provoque une crise migratoire, des gens qui doivent quitter leur pays, se déplacer vers des pays qui ont subi une crise économique à cause de la pandémie. Donc, ce n’est pas seulement la crise du système multilatéral et de la diplomatie, il y a ici une crise humanitaire qui touche des millions de personnes, et au final c’est l’axe central, la vie des gens qui préoccupe le Président Boric. Il n’y a pas beaucoup de présidents qui parlent avec autant d’empathie de la vie des gens. Notre rôle, dans des situations de crise comme celle-ci ou d’autres, c’est de protéger les victimes et de rechercher les meilleures solutions. Si cela conduit à parler avec des gouvernements qui violent les droits de l’homme, bien sûr que nous le ferons, car ce qui compte, c’est de trouver des solutions pour mieux protéger les personnes.

PL – En quelques mots, comment définiriez-vous la politique étrangère de votre administration dans les mois à venir ?

AU – Féministe, multilatérale, avec une forte composante axée sur les droits humains.

Notes :

1 “Le Chili s’est reveillé” Expression faisant reference aux manifestations qui ont éclater en octubre 2019.

2 Ministre des affaires étrangères de Michelle Bachelet – 2014-2018.


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