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PHOTO JAVIER TORRES / AFP
Après près de trois mois de transition, le président élu et son gouvernement de gauche vont se heurter à une économie moins vigoureuse qu’en 2021.
après près de trois mois de transition, le président élu, Gabriel Boric (gauche), 36 ans, et son gouvernement prendront leurs fonctions au Chili, vendredi 11 mars, ouvrant une étape inédite : celle d’un mandat – de quatre ans – accordé au plus jeune chef d’Etat de l’histoire du pays, marqué par la réécriture en profondeur de la Constitution et l’ambition d’instaurer un Etat providence, dans un contexte incertain.
« J’espère être un président qui puisse canaliser un processus de changements et de transformations pas à pas, parce que les pays ne se réinventent pas du jour au lendemain », a déclaré l’ex-député dans un entretien accordé à la radio uruguayenne M24, début février. Une nouvelle affirmation de son objectif de « gradualisme », annoncé dès l’entre-deux-tours. « Il cherche à modérer les attentes, qui sont importantes», surtout au sein du noyau d’électeurs de gauche, remarque Axel Callís, analyste politique et directeur de la société de sondage TúInfluyes.com.
Santé et éducation publiques, refonte du système des retraites… les réformes annoncées, de grande envergure, vont se heurter à une économie moins vigoureuse. Après une croissance d’environ 11,5 % en 2021, le PIB ne devrait grimper que de 2 % à peu près cette année. L’inflation, qui en février avait augmenté de près de 8 % sur les douze derniers mois, ajoute un élément d’incertitude.
Première femme ministre de l’intérieur
A des milliers de kilomètres du Chili, la guerre en Ukraine menace, à terme, d’alimenter cette pression inflationniste. Le président élu a, dès le 24 février, fermement condamné dans un tweet « l’invasion de l’Ukraine, la violation de sa souveraineté et l’usage illégitime de la force », contrastant avec des déclarations plus discrètes ou inexistantes de certains pays de la région – la Bolivie voisine s’est ainsi abstenue de voter la résolution de l’ONU du 2 mars réclamant le retrait des troupes russes. Avec cette déclaration, « Gabriel Boric a renforcé sa vision internationale progressiste, attachée aux droits humains, à la démocratie », souligne Isabel Yépez del Castillo, politiste et chercheuse à l’Université catholique de Louvain.
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Le regard rivé sur les défis internes, quelle équipe pour mettre en œuvre les réformes annoncées ? Au mois de janvier, Gabriel Boric a dévoilé son cabinet. Le casting convoque, dans un fin équilibre à majorité féminine, la nouvelle génération de trentenaires de gauche mais aussi des politiques à l’expérience plus ancienne. Il veille à articuler les différentes sensibilités de la victorieuse coalition électorale, du Parti communiste au centre gauche, et à rassurer les marchés – c’est chose faite avec la nomination de Mario Marcel, ancien président de la Banque centrale, au ministère des finances. Préalable à l’introduction de nouveaux droits sociaux, la réforme des impôts – qui vise à récolter 5 % supplémentaires du PIB – devrait être le premier chantier du gouvernement. Quant à « la réforme des retraites et à celle du système de santé, elles vont prendre du temps. Il est probable que les Chiliens n’en voient pas les conséquences pendant ce mandat », prévoit Isabel Yépez del Castillo.
Néanmoins, la figure centrale du cabinet demeure Izkia Siches, 36 ans, première femme à occuper le fauteuil de ministre de l’intérieur. « Elle dispose d’un fort leadership, elle est talentueuse et charismatique », décrit Daniel Mansuy, politiste à l’université des Andes. L’ancienne présidente du Collège médical – poste qui lui a valu une grande popularité pendant la pandémie due au coronavirus – intègre ainsi le cercle rapproché du président élu. « Elle succède directement au président dans l’ordre hiérarchique, c’est elle qui prend le relais en cas de déplacement à l’étranger », précise Isabel Yépez del Castillo.
La nouvelle ministre a confirmé, fin février, la décision « de ne pas renouveler l’état d’exception » (impliquant la présence militaire) dans le sud du Chili, marqué par les violences entourant la lutte des Mapuche, une population indigène réclamant la restitution de ses terres ancestrales. A l’extrême nord du pays, une autre crise met sous pression le nouveau gouvernement, avec des centaines de Vénézuéliens traversant chaque jour la frontière avec la Bolivie. Dans son programme, Gabriel Boric a promis un système de régularisation des migrants. Sur ces deux questions, « Izkia Siches défend la méthode du dialogue, avec une forme d’angélisme. Mais en s’appuyant seulement sur le dialogue, elle va échouer, juge Daniel Mansuy, le gouvernement va perdre sa pureté, car gouverner, c’est se salir les mains. »
Décentralisation de l’État
Pour mener à bien le programme présidentiel, le dialogue devra aussi se dérouler au Congrès – largement renouvelé et dont les élus prendront leurs fonctions le 11 mars également –, où le gouvernement n’a pas la majorité. Les discussions s’annoncent difficiles et mouvantes, avec une opposition de droite pour l’instant désunie. « Les récentes dynamiques politiques au sein du Congrès sont celles de la fragmentation. Il est possible que les négociations se fassent vote par vote, avec le soutien de figures individuelles », anticipe Isabel Yépez del Castillo.
Enfin, le début de mandat s’écrit au sein d’une autre assemblée : la Constituante qui rédige la nouvelle loi fondamentale. Le texte devrait être soumis à référendum – au vote obligatoire – en septembre. « Gabriel Boric se tient à distance tout en soutenant le travail de l’Assemblée », décrypte Axel Callís. Son destin est pourtant intimement lié à celui de la nouvelle Constitution : en pleine tourmente sociale, lors de la mobilisation historique contre les inégalités de 2019, il était l’un de ceux qui, au mois de novembre, avaient proposé l’organisation d’un référendum sur la réécriture de l’actuel texte hérité de la dictature (1973-1990).
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L’Assemblée constituante élue en mai 2021, largement à gauche, prolonge la promesse du nouveau président d’instaurer de nouveaux droits sociaux. Parmi les premières normes adoptées : celle d’un « État plurinational » – ce qui marque une reconnaissance formelle des populations indigènes – et son corollaire, le « pluralisme juridique », qui permet l’existence d’un système juridique indigène propre. La décentralisation de l’Etat, avec « l’autonomie » des régions, est par ailleurs actée.
Un éventuel rejet du texte pourrait engourdir les avancées du gouvernement. Son approbation, qui prendrait des allures de plébiscite, n’augurerait cependant pas un parcours de santé : il faudrait alors mettre en œuvre la nouvelle architecture proposée par la Constitution. Une tâche complexe dont les rouages doivent encore être précisés par l’Assemblée.
Flora Genoux(Santiago, envoyée spéciale)
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