PHOTO PATRICK HERTZOG / AFP Le Chilien Nicolas Zepeda est accusé d’avoir tué, en décembre 2016, Narumi Kurosaki, une jeune Japonaise étudiant à Besançon, et fait disparaître son corps.D’abord, il y a ce jeune homme cravaté, qui plie soigneusement sa veste de costume marine avant de la poser sur le banc, décline son identité, ses diplômes de management et sa profession de « fondateur et administrateur d’une petite entreprise » d’un ton affable avant de remercier « Señor Presidente » de l’attention qu’il veut bien lui accorder. Ensuite, il y a ces rangées d’interprètes qui se relaient au micro pour traduire simultanément l’espagnol en français ou en japonais, tandis qu’à l’extérieur s’affairent les envoyés spéciaux des chaînes de télévision nippones et chiliennes.
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Et sous ces allures de congrès international, mardi 29 mars, il y a la cour et les jurés du Doubs, réunis au palais de justice de Besançon, pour juger Nicolas Zepeda, accusé d’avoir assassiné Narumi Kurosaki, la nuit du 4 au 5 décembre 2016, chambre 106, résidence universitaire Colette, bâtiment Rousseau. Elle était arrivée en France quatre mois plus tôt dans le cadre d’un échange entre son université japonaise de Tsukuba et celle de Besançon, pour suivre un cursus de licence en économie. Narumi Kurosaki était née à Tokyo, elle avait 21 ans, son corps n’a jamais été retrouvé.
Croquis d'audience montrant la mère (D) et la soeur de Narumi Kurosaki le 29 mars 2022 devant la cour d'assises du Doubs, à Besançon - Dessin Benoit Peyrucq [AFP] |
L’accusé plaide l’acquittement
Il a fallu plus de trois ans aux autorités françaises pour obtenir l’extradition de ce ressortissant chilien qui se rendait en Porsche Cayenne au tribunal de Santiago et qui faisait valoir son droit au silence devant le juge d’instruction et le procureur français venus l’interroger. Mais enfin il est là, dans le box, face à la mère et à la sœur de Narumi Kurosaki, assises au banc des parties civiles et face à une cour d’assises qui, pendant deux semaines, va devoir jongler avec les décalages horaires pour entendre les témoins « aux deux antipodes du continent », comme l’a relevé le président, Matthieu Husson.
Croquis d'audience montrant le Chilien Nicolas Zepeda devant la cour d'assises du Doubs, le 29 mars 2022 à Besançon - Dessin Benoit Peyrucq [AFP] |
Il est là et il a chargé ses deux avocates, Mes Jacqueline Laffont et Julie Benedetti, de plaider son acquittement. Ses parents sont venus eux aussi soutenir farouchement l’innocence de leur fils, si gentil, si attentionné, si brillant, « élevé dans les valeurs chrétiennes ». Ils prient, disent-ils, pour que revienne celle qu’ils continuent d’appeler « la portée disparue ». Ses deux sœurs cadettes, restées au Chili, ont chacune écrit une longue lettre à la cour, dans lesquelles elles expriment le vœu de pouvoir bientôt de nouveau serrer leur frère dans leurs bras. Même la femme de ménage de la famille a rédigé une attestation pour dire combien ce jeune homme est attachant et respectueux.
Nicolas Zepeda est le dernier à avoir vu Narumi Kurosaki vivante. Le 4 décembre 2016, il l’a emmenée au restaurant avant de passer la nuit avec elle dans la chambre 106. Puis il est reparti. Dès le lendemain matin, avait-il indiqué dans un premier temps. Le surlendemain, a-t-il fini par admettre. Pour lui, l’histoire s’arrête là. « Merci de me laisser répondre à cette accusation monstrueuse. Je tiens à dire clairement que je n’ai pas tué Narumi. Cela fait cinq ans qu’elle a disparu. Et depuis, c’est un cauchemar », a-t-il déclaré à l’ouverture de son procès. Mais il y a le dossier. Et il pèse lourd, très lourd, sur l’accusé poli et cravaté.
Nicolas Zepeda était alors âgé de 27 ans. Il avait connu Narumi au Japon où il étudiait comme elle l’économie, ils avaient vécu ensemble quelques mois, elle l’avait quitté, il était rentré au Chili. Il savait que, depuis leur séparation, la jeune femme était tombée amoureuse d’un étudiant qui vivait dans la même résidence qu’elle.
Cris de douleur « affreux » et « terribles »
Le 28 novembre 2016, Nicolas Zepeda a pris, sans prévenir son ex-compagne, un vol Santiago-Madrid, puis Madrid-Genève, a rejoint Dijon en train, où il a récupéré une voiture de location qu’il avait préalablement réservée, et il a roulé jusqu’à Besançon. « Je suis venu dans le but d’avoir les idées claires sur la poursuite de mes études », explique-t-il. Le président relève aussitôt qu’il n’a fait aucune démarche en ce sens.
Pendant quelques jours, il a en revanche beaucoup erré entre les deux villes et surtout beaucoup tourné autour du bâtiment Rousseau. Il n’était « pas au courant », assure-t-il, que Narumi logeait là. Il a aussi procédé à des achats surprenants dans un hypermarché de Dijon le 1er décembre : un bidon de cinq litres de produit inflammable, du détergent, et une boîte d’allumettes. Deux jours plus tard, dans une boutique de Besançon, il a fait l’acquisition d’une chemise et d’un blazer.
Le 4 décembre, il a « rencontré par hasard » Narumi devant sa résidence, qui revenait de son cours de danse. Ils sont partis en voiture jusqu’à Ornans, à 25 kilomètres de Besançon, ont dîné au restaurant et sont rentrés ensemble à la résidence. Ils ont fait l’amour toute la nuit, a-t-il indiqué, en donnant des précisions sur les « gémissements expressifs » de sa partenaire. Au milieu de la nuit, les voisins, eux, ont entendu les cris de douleur « affreux » et « terribles » d’une femme et un « bruit de choc ».
Au petit matin du 6 décembre, Nicolas Zepeda a repris sa voiture garée devant la résidence, emprunté un parcours de routes secondaires au milieu de vastes forêts et de cours d’eau – il a été reconstitué par le tracker du véhicule et par les bornes activées par son téléphone – avant de ramener le véhicule à l’agence de location de Dijon. Il était très sale, couvert de terre côté conducteur, sa roue arrière était endommagée. Le GPS indiquait qu’il avait parcouru 776 kilomètres en une semaine.
Le 7 décembre, Nicolas Zepeda s’est envolé de Genève vers Barcelone, où il est resté quelques jours chez l’un de ses cousins. Avant d’embarquer, le 12 décembre, vers le Chili, il lui a demandé de rester discret sur son séjour, au prétexte de ne pas alerter son père, qui n’était pas au courant de ce voyage en Europe.
Connexions suspectes et messages effacés
Pendant ce temps, à Besançon, l’amoureux français de Narumi, Arthur del Piccolo, s’inquiétait. Elle ne répondait plus au téléphone alors qu’ils se parlaient ou s’envoyaient des textos quarante fois par jour ; elle n’avait pas réapparu au centre où elle suivait des cours intensifs de français, sa porte restait close.
Mais par le biais des réseaux sociaux, il a soudain reçu d’elle une série de réponses brutales lui annonçant qu’elle avait « rencontré un garçon » et qu’il devait « la laisser tranquille ». Les amis de Narumi, qui demandaient aussi de ses nouvelles, se sont étonnés de la formulation peu habituelle de ses messages Facebook, Messenger ou Line, dans lesquels elle leur indiquait qu’elle était allée refaire son visa au consulat à Lyon, alors qu’elle dépendait de celui de Strasbourg, ou qu’elle avait décidé de partir en voyage au Luxembourg. A Tokyo, sa sœur et sa mère étaient également destinataires de messages écrits aux fautes de syntaxe étranges, dans lesquels Narumi se disait très occupée et s’excusait de ne pas pouvoir les appeler.
L’enquête a montré que Nicolas Zepeda, geek confirmé, avait acheté, lors de son séjour en France, un VPN permettant de masquer les adresses IP, et que des connexions suspectes avaient été établies sur le compte Facebook de la jeune femme depuis Madrid ou le Chili, après sa disparition. Il avait aussi sollicité une amie pour qu’elle lui traduise en japonais plusieurs phrases – comme celle-ci : « Je pars seule » – et lui avait demandé ensuite d’effacer leurs échanges. A partir du 12 décembre, Narumi n’a plus donné aucun signe de vie sur les réseaux sociaux.
Lorsqu’ils ont pénétré, le 15 décembre 2016 à 18 heures, dans la chambre 106, les enquêteurs ont trouvé le lieu parfaitement rangé et nettoyé. Toutes les affaires de l’étudiante étaient là : son seul manteau d’hiver, son portefeuille avec de l’argent dedans et ses deux cartes bancaires, ses chaussures, sa trousse de maquillage, son ordinateur portable, son agenda, sa carte SNCF et un dossier d’inscription en vue d’un séjour au ski avec son amoureux, Arthur. Le passage au Bluestar n’a révélé aucune trace de sang. Ne manquaient que sa valise et la couverture de son lit. Pascale Robert-Diard