31 janvier, 2022

CHILI : « LE PRINCIPE DE LA FISCALITÉ PROGRESSIVE, C’EST PERMETTRE À UNE MAJORITÉ POPULAIRE ET DÉMOCRATIQUE DE REFONDER LE PACTE FISCAL »

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SOURCE : BASE DE DONNÉES DES PERSPECTIVES
ÉCONOMIQUES DE L'OCDE, N°105.

TRIBUNE

En introduisant dans sa nouvelle Constitution des principes de progressivité fiscale, le Chili peut en finir avec le cercle vicieux des inégalités et montrer le chemin au reste du monde, estime dans une tribune au « Monde » l’économiste Ricardo Martner. 

Ricardo Martner

Temps de Lecture 5 min.

RICARDO MARTNER

Tribune. 

Le nouveau président chilien, Gabriel Boric, n’a pas le choix. Celui dont l’élection est sans doute l’événement politique le plus important dans le pays depuis le référendum de 1988 qui a permis le rétablissement de la démocratie après la dictature de Pinochet (1973-1990) a assuré que si « le Chili a été le berceau du néolibéralisme, il sera aussi sa tombe ». S’il veut tenir promesse, et négocier un nouveau contrat social, le président élu de 35 ans va devoir s’attaquer à un chantier en priorité, celui de la fiscalité.

Car, au Chili, le système fiscal est le garant de la perpétuation des inégalités, dont la persistance alimente depuis plusieurs années des tensions sociales frôlant l’explosion. Ceux qui se gargarisent des réussites du modèle chilien butent sur des chiffres implacables : avec les 10 % les plus riches du pays accaparant près de 60 % de la richesse nationale, et la moitié de la population la plus pauvre n’en recevant que 10 %, c’est un des pays les plus injustes au monde.


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C’est la preuve, s’il en fallait, que la réduction des inégalités ne passe pas seulement par des politiques de redistribution, mais aussi par un Etat capable de financer des services publics de qualité – notamment la santé et l’éducation – et accessibles au plus grand nombre. Ces efforts ne sont pas des dépenses à traquer au nom de l’austérité, mais plutôt des investissements indispensables à la réduction des inégalités.

Refonder le contrat fiscal, un chantier gigantesque

Au Chili, ce moteur est en panne. Avec des recettes fiscales représentant 19,3 % du PIB en 2020, le Chili est très loin de la moyenne de 33,5 % de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le club de pays riches dont il s’enorgueillit de faire partie. Pire, notre système fiscal est des plus régressifs, faisant la part belle aux impôts indirects, qui pèsent surtout sur les secteurs à revenu moyen et faible de la population, tout en accordant un traitement préférentiel aux grandes entreprises.

LES RECETTES FISCALES OCDE. 
DÉCEMBRE 2018

Et l’évasion fiscale fait des ravages : nous avons calculé par exemple qu’entre 2013 et 2018, les autorités fiscales ont perdu chaque année entre 7,5 et 7,9 points de PIB, soit l’équivalent de 1,5 fois le budget de l’éducation et 1,6 fois celui de la santé. Il faut donc refonder le contrat fiscal, un chantier gigantesque. Cela signifie réformer la TVA, en abaissant significativement les taux pour les biens de première nécessité, les médicaments et les livres.

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Payer le lait ou le pain 19 % moins cher ferait toute la différence pour les ménages les plus modestes. Cela passe aussi par l’instauration d’un impôt progressif sur les plus hauts patrimoines et par l’introduction d’un impôt sur les grandes fortunes. Moins de 0,1 % de la population, les très riches, concentrent entre leurs mains l’équivalent du PIB chilien. Taxer leur patrimoine à hauteur de 2,5 % permettrait de récolter quelque 5 milliards de dollars, soit 1,5 % du PIB.

La Constitution devrait adopter la progressivité fiscale

Enfin, il faut abroger certaines exonérations, qui bénéficient exclusivement aux groupes à hauts revenus, qu’il s’agisse des multinationales ou des plus riches. Bien sûr, il faut s’attendre à un bras de fer au Congrès, contrôlé à moitié par les conservateurs. C’est pourquoi la fiscalité doit être au centre des discussions pour la nouvelle Constitution, qui sera soumise à référendum au troisième trimestre 2022.

Le texte actuel, approuvé en pleine dictature, consacre le modèle néolibéral en limitant la capacité de gouvernements de réduire les inégalités à travers la fiscalité et les régimes de propriété. La Constitution devrait adopter le principe de la progressivité fiscale – avec sa claire définition : les taux effectifs de taxation doivent dépendre du niveau de revenu ou de richesses, les citoyens les plus riches devant contribuer plus.

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Certes, ces principes devront ensuite être traduits par des lois par le Congrès. Mais une telle Constitution renvoie les élus à leurs responsabilités en les contraignant à plus de transparence. Enoncer un principe de fiscalité progressive, c’est permettre à une éventuelle majorité populaire et démocratique de refonder le pacte fiscal comme l’a récemment rappelé lors d’un échange avec les Constituants chiliens Thomas Piketty, avec qui je travaille sur ces questions au sein de la Commission indépendante sur la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT).

Le Chili symbolise une tendance mondiale

La société civile a d’ailleurs compris l’urgence de s’emparer de ce débat, avant tout politique, pour ne pas le laisser en otage de bureaucrates techniciens adeptes du statu quo. Ainsi des experts, des ONG et des syndicats viennent de créer un Réseau citoyen de justice fiscale pour le Chili pour soumettre aux Constituants des propositions concrètes. En écrivant sa nouvelle constitution, le Chili peut montrer le chemin. Car bien qu’il s’agisse d’un pays d’à peine 19 millions d’habitants situé aux confins de l’Antarctique, il symbolise une tendance mondiale.

Partout, on a réduit les taux marginaux supérieurs de l’impôt sur le revenu des personnes physiques ainsi que sur les successions, alors que les impôts sur la fortune nette, autrefois relativement répandus dans les pays de l’OCDE, ont été abandonnés par la plupart d’entre eux. Partout, on a assisté à une chute spectaculaire des taux d’imposition des sociétés, qui profitaient en outre d’un système fiscal international caduc pour camoufler leurs bénéfices dans des paradis fiscaux.

Partout, les riches sont encore plus riches deux ans après le début de la pandémie. La fortune cumulée de l’ensemble des milliardaires, estimée à 5 000 milliards de dollars fin 2019, a atteint son niveau le plus élevé à ce jour 13 800 milliards de dollars comme le révèle le récent rapport d’Oxfam. Le monde compte désormais un nouveau milliardaire toutes les vingt-six heures, alors que 160 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté au cours de la même période.

Partout enfin, l’explosion des inégalités coïncide avec celle du changement climatique. Les 10 % les plus riches de la population mondiale émettent près de 48 % des émissions mondiales (qu’ils vivent au Nord ou au Sud), les 1 % les plus riches à eux seuls en produisent 17 % – tandis que la moitié la plus pauvre de la population mondiale n’est responsable que de 12%. Au Chili, comme dans le reste du monde, refonder le pacte fiscal, faire que les plus riches contribuent plus, n’est plus une question technique. Elle est politique, et confrontée à l’urgence climatique, existentielle.

Ricardo Martner est économiste et membre de la Commission indépendante sur la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT). Il dirigeait auparavant le département affaires fiscales de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal).

ILLUSTRATION EL SR GARCIA

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28 janvier, 2022

XIOMARA CASTRO, INVESTIE PRÉSIDENTE DU HONDURAS, PROMET « UN ÉTAT SOCIALISTE ET DÉMOCRATIQUE »

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PHOTO AFP

Pour réformer le pays, gangrené par la corruption et l’influence des narcotrafiquants, la nouvelle chef de l’État a besoin du Parlement, où son parti et ses alliés ne disposent pas de la majorité. 

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(Tegucigalpa) Xiomara Castro a prêté serment jeudi, devenant ainsi la première présidente du Honduras, pour un mandat de quatre ans, et a promis devant une foule enthousiaste de fonder « un État socialiste et démocratique »._

Le contexte politique est tendu, mais Xiomara Castro est officiellement devenue, jeudi 27 janvier, la première présidente du Honduras. Mme Castro, élue pour un mandat de quatre ans, a prêté serment en présence de Luis Redondo, qu’elle a reconnu comme président du Parlement, faisant fi de la crise ouverte il y a six jours par deux factions rivales de son parti, Libre, laquelle a donné lieu à des scènes de pugilat à la tribune de l’Assemblée.

« L’État du Honduras a été mené à la faillite durant ces douze dernières années » de gestion par la droite, a asséné la chef de l’État dans son discours d’investiture. « Je le reçois en banqueroute », s’est-elle indignée, soulignant que « le pays doit savoir ce qu’ils [ses prédécesseurs] ont fait de l’argent ». La dette publique du Honduras s’élève à 17 milliards de dollars (15,2 millions d’euros).

La présidente a promis, devant une foule enthousiaste massée dans le Stade national de Tegucigalpa, de fonder « un État socialiste et démocratique », et de concentrer, jusqu’à la fin de son mandat, en 2026, ses efforts sur « l’éducation, la santé, la sécurité et l’emploi ».

Déjà une crise parlementaire

Mais la controverse au sein de son parti, où les deux groupes rivaux ont élu deux présidents de deux parlements concurrents, fait peser l’incertitude sur sa capacité à mettre en œuvre son programme de transformation du Honduras. Pour réformer le pays, gangrené par la corruption et l’influence des narcotrafiquants, qui ont infiltré l’État jusqu’à son plus haut niveau, Mme Castro a besoin du Parlement, où son parti et ses alliés ne disposent pas de la majorité.

La crise parlementaire a éclaté quand des dissidents de Libre ont refusé d’honorer un accord entre leur parti et des alliés d’un autre parti de gauche, dont le soutien a été déterminant pour la victoire de Mme Castro lors du scrutin de novembre.

M. Redondo, qui a ceint la présidente de l’écharpe bleu et blanc, symbole de sa fonction, avait ouvert quelques heures avant une session de « son » Parlement, dans le bâtiment officiel, tandis que le président de l’assemblée concurrente, Jorge Calix, gardait le silence.

Tentant de dénouer la crise, la présidente élue avait offert mercredi soir un haut poste dans son gouvernement à M. Calix, qui a bénéficié des voix de députés de l’opposition de droite pour se faire élire comme président de l’assemblée concurrente. Le dissident a remercié sur Twitter pour « l’honneur » qui lui était fait et a promis une « réponse rapide ». Mais celle-ci se fait attendre.


Kamala Harris présente à la cérémonie

La vice-présidente américaine, Kamala Harris, le roi d’Espagne, Felipe VI, et le vice-président taïwanais, William Lai, notamment, ont assisté à la cérémonie.

Mme Castro a été qualifiée de « communiste » par ses adversaires durant la campagne, mais « les États-Unis ont compris qu’elle ne représente pas une gauche radicale », estime le sociologue Eugenio Sosa, de l’université nationale du Honduras. « Il y a un virage à gauche (…), ils veulent maquiller ça avec l’arrivée de la vice-présidente, Kamala Harris, mais en réalité ils sont très engagés avec le Venezuela », a dénoncé auprès de l’Agence France-Presse (AFP) David Chavez, le chef du Parti national (droite), désormais dans l’opposition.

La vice-présidente américaine, Kamala Harris, a encouragé la nouvelle présidente du Honduras à lutter contre la corruption, considérée comme l’une des causes de l’émigration massive d’habitants d’Amérique centrale vers les États-Unis. Mme Harris a été la première à rencontrer la nouvelle présidente, après avoir assisté à la cérémonie d’investiture.

« La vice-présidente [Kamala] Harris a accueilli positivement la priorité donnée par la présidente [Xiomara] Castro à la lutte contre la corruption et l’impunité, y compris son intention de demander l’aide des Nations unies pour mettre sur pied une commission internationale contre la corruption », selon une note distribuée à la presse par le bureau de Mme Harris.

Dans son discours d’investiture, la nouvelle présidente a avancé que 74 % des presque 10 millions d’habitants du pays vivent en dessous du seuil de pauvreté (59 % selon les chiffres officiels, 71 % selon une ONG hondurienne).

« Ce chiffre à lui seul explique les caravanes de milliers de personnes qui fuient vers le nord, vers le Mexique et les États-Unis, à la recherche (…) d’une manière de subsister, même au risque de leur vie », a déclaré Mme Castro. La violence des gangs, qui fait du Honduras l’un des plus dangereux pays au monde (près de 40 meurtres pour 100 000 habitants), pousse aussi des habitants terrorisés à émigrer.
Le Monde avec l'AFP


27 janvier, 2022

« C’EST UN GOUVERNEMENT PRINCIPALEMENT DE CENTRE-GAUCHE »

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CAMILA VALLEJO
CAPTURE D'ÉCRAN 
C’est ce que déclare Camila Vallejo, dans sa première grande interview après sa nomination comme porte-parole du gouvernement. Il faut rappeler que Camila Vallejo est également membre du Comité Central et de la Commission Exécutive du PC du Chili (PCCh). 

Santiago du Chili. Pierre Cappanera, correspondance

Effectivement le ministre des Finances, actuel président de la Banque Centrale, ne fait pas l’unanimité à gauche alors que sa nomination a été salué à droite. Par ailleurs Gabriel Boric, vient de déclarer que le Vénézuela était un échec, la preuve en étant la diaspora de 6 millions de Vénézueliens. Ce à quoi Rafael Correa, le leader de la gauche équatorienne, lui a répliqué que si le Chili ne pouvait pas vendre son cuivre, il aurait lui aussi une diaspora nombreuse. 

JEANNETTE JARA ET LA MAIRE DE
SANTIAGO IRACÍ HASSLER

Inversement, au ministère du Travail où vont se jouer beaucoup de réformes structurelles (retraites, temps de travail, augmentation des salaires, négociations collectives…) c’est une communiste ancienne syndicaliste qui occupe le poste. 

Le but de plusieurs des nominations est d’avoir une majorité à la Chambre où la coalition de gauche Apruebo Dignidad ne dispose que de 37 sièges de députés sur 155. Avec le soutien de tous les partis du centre-gauche, des humanistes et des écologistes, on arrive péniblement à 79 députés. C’est juste la majorité, si aucun député ne retourne sa veste, ce qui est toujours à craindre. Si le but est d’appliquer le programme d’Apruebo Dignidad, pourquoi pas. La veille de la nomination du nouveau gouvernement, il y a eu autour de Gabriel Boric une grande réunion avec tous les chefs de partis d’Apruebo Dignidad. Le président y a réaffirmé son attachement à respecter ses engagements et appliquer ce programme. Tous les ministres se sont engagés sur la politique du président et son programme.  

Dans le cadre des rapports de force actuels au Chili, ce gouvernement est sans doute le meilleur possible.  Même s’il n’est pas celui de nos rêves. Pour obtenir le gouvernement de nos rêves, il faudra que le rapport des forces évolue encore dans le bon sens. L’issue n’est pas déterminée à l’avance. Elle va l’être dans la bataille qui va commencer autour de l’application du programme d’Apruebo Dignidad. 

Dès le 11 mars, nous verrons quel sera le calendrier d’application des réformes, quelles réformes seront engagées en priorité. L’élément déterminant sera la mobilisation populaire. Sans mobilisation populaire, la balance penchera du côté de ceux qui veulent bien des réformes mais « dans la mesure du possible ». Pour les « réalistes » socio-démocrates, la mesure du possible se retrouve toujours réduite à la portion congrue.

LES MINISTRES PCCh

Le 8 mars, les femmes seront dans la rue. Le 11 mars, manifestations dans tout le pays pour accompagner Gabriel Boric à La Moneda [ le « palais de la Monnaie » à Santiago, est le siège de la présidence du Chili]. Pendant les mois de mars et avril, par secteur, les syndicats ont programmé d’importantes journées d’action qui déboucheront sur un 1er Mai qui s’annonce combatif. Tous ces rendez-vous donneront la température de la mobilisation sociale deux ans après le 18 octobre 2019. C’est là que se jouera l’avenir du gouvernement, plus encore qu’à la Chambre des députés.

DES QUOTAS ET DES SIÈGES RÉSERVÉS AU CHILI

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 PHOTO JAVIER TORRES / AFP

Analyse Le Chili s’est lancé dans une expérience unique lors de l’élection de son assemblée constituante, composée pour moitié de femmes et dotée de sièges réservés pour des représentants indiens.  

Gilles Biassette

Lecture en 2 min.

en matière de juste représentativité, le Chili a longtemps eu mauvaise réputation, même si La Moneda, le palais présidentiel, a été occupée pendant huit ans par une femme (Michelle Bachelet, de 2006 à 2010, puis de 2014 à 2018). En 2015, la part des femmes à la chambre des députés n’était encore que de 15 % dans le pays du cône andin, bien loin de la moyenne du continent américain (28 %).

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Une prise de conscience nationale, et régionale

ELISA LONCON.
PHOTO CÉSAR CORTÉS.

Depuis, le pays s’est engagé sur la voie des quotas. Quotas sur les listes électorales lors des élections parlementaires ; quotas, plus spectaculaires encore, à la Convention constitutionnelle, chargée de rédiger la nouvelle constitution du pays, où la parité est quasi parfaite, avec 77 femmes sur 155 élus. Cette enceinte, soucieuse de donner la parole à tous, a également réservé 17 sièges à des représentants de dix ethnies indiennes du Chili.

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Dans leur constitution, les pays voisins ont déjà pris des dispositions pour assurer une meilleure place aux minorités au sein des institutions, comme le rappelait récemment aux élus de la Constituante Felipe Ajenjo, du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). En Colombie, par exemple, les Indiens ont deux sièges réservés au Sénat, sur 108. La Bolivie, État plurinational, garantit la «proportionnalité» de la représentation indienne dans les assemblées et attribue aux Indiens deux sièges sur sept au sein du Tribunal supérieur électoral.

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Une plus grande diversité, avantage «collatéral» de la présence accrue des femmes

Selon le Pnud, cette meilleure représentativité – un impératif démocratique, quelle que soit la méthode – a aussi le mérite d’assurer une plus grande diversité sociologique, au sens large, au sein de ces instances.

Dans une étude publiée en décembre dernier, l’organisme des Nations unies soulignait ainsi une série d’avantages « collatéraux » liés au rôle accru joué par les femmes au Congrès chilien (elles occupent désormais 35 % des sièges aujourd’hui à la Chambre des députés) : diminution de la part des élus formés dans des collèges privés (de 62 % à 41 % entre 2006 et 2018), rajeunissement du Parlement, plus grande visibilité des célibataires (78 % des élus sont mariés, 40 % des élues), etc. En somme, une représentation nationale aujourd’hui plus fidèle à l’image de la société.

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DESSIN MARÍA PICASSO I PIQUER

CHILI - DE L’AIR FRAIS POUR LE PROGRESSISME LATINO-AMÉRICAIN

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PHOTOESTEBAN FÉLIX 

Pablo Stefanoni [1], rédacteur en chef de Nueva Sociedad revient sur la victoire de Gabriel Boric au second tour des élections présidentielles chiliennes, le 19 décembre 2021. Ce texte a été publié en décembre 2021 dans les colonnes d’opinion du site Nueva Sociedad.

par Pablo Stefanoni 

CAPTURE D'ÉCRAN

La victoire éclatante de Gabriel Boric donne un coup de frein à la droite au Chili et dans la région. Maintenant, pour le président le plus jeune et ayant recueilli le plus de voix de l’histoire démocratique du pays, l’enjeu sera de mettre en œuvre un projet progressiste qui associe transformation sociale et défense des droits humains.

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La très nette victoire de Gabriel Boric sur José Antonio Kast (extrême-droite) confirme dans les urnes, une fois de plus, la puissance de l’«explosion chilienne [2].» qui a frappé transversalement toute la société. De plus, il faut le dire aussi, elle met en lumière un système électoral qui s’est avéré irréprochable. Vers huit heures du soir (heure locale), les résultats étaient connus et le perdant reconnaissait sa défaite.

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Le Chili a donné l’impression qu’il revenait à la «normale » : la victoire électorale des forces partisanes de transformations sociales dans un sens progressiste. Les médias ne se trompent pas lorsqu’ils qualifient l’élection d’historique. C’est la vérité. Le triomphe de la coalition Apruebo Dignidad [Approbation dignité], nom issu de la bataille politique précédente (celle qui a abouti à la mise sur pied de la Convention constitutionnelle), porte en lui la promesse d’un changement.

PHOTO RODRIGO ABD 

Les partis qui ont mené la transition démocratique post-Pinochet sont restés à l’écart de la course (même s’ils ont bien résisté lors des élections législatives et sénatoriales). Boric, candidat de la gauche, l’a largement emporté, avec 60%, des voix dans la Région métropolitaine et, associé à Izkia Siches, jeune ex-présidente de l’Ordre des médecins et l’un de ses meilleurs atouts pour la campagne du second tour, il est parvenu à améliorer ses résultats dans les régions et a obtenu près de 56% au niveau national.

Au premier tour, le centre-gauche a été débordé sur sa gauche par Apruebo Dignidad (Front ample et Parti communiste) et le centre-droit a sombré électoralement après un second mandat de Sebastián Piñera pendant lequel le gouvernement n’a jamais su se fixer une ligne et a fini par soutenir, presque sans condition, un candidat qui se réclamait d’Augusto Pinochet (à l’exception de sa « politique en matière de droits humains » – sic). Mais cela ne signifie pas que, comme l’ont affirmé de nombreux médias internationaux, les élections chiliennes sont tiraillées entre « deux extrêmes ». Sur le flanc droit, on peut parler, en effet, d’un extrême. C’est tout le paradoxe de cette élection : le « pinochetisme » de Kast – ajouté à ses positions conservatrices concernant les droits sexuels, les revendications des LGBTI ou le féminisme – est apparu plus « transgressif » que le programme de Boric. C’est pourquoi Kast appelait à voter en donnant pour consigne « Ose ! » : car aujourd’hui voter pour lui, c’était aller à contre-courant. Cela signifiait, en effet, s’exprimer contre le nouveau bon sens qui a émergé dans le vif des mobilisations et des vagues féministes, des mouvements contre les fonds de pension, pour la reconnaissance des peuples indiens et en faveur de la lutte contre le changement climatique et les « zones sacrifiées ».

Dans le cas de Boric, bien qu’il soit le candidat d’une alliance à gauche de la Concertation [3], son programme est loin d’être radical. Il constitue plutôt l’expression d’un projet de justice sociale de type social-démocrate dans un pays dans lequel, malgré les progrès accomplis en matière de lutte contre la pauvreté, persistent des formes d’inégalité sociale et des hiérarchies ethniques et de classe inacceptables parallèlement à la marchandisation de la vie sociale. D’autre part, si Kast se présentait comme un candidat de l’« ordre », tout le monde savait cependant que le candidat de la droite serait un président potentiellement déstabilisant, du fait d’un affrontement garanti avec la Convention constitutionnelle en place, mais aussi de la résistance prévisible de la rue. L’« ordre », dans un pays qui, comme l’ont montré la campagne électorale et le fort taux de participation, reste profondément mobilisé, rime avec le changement et non avec les reculs conservateurs promis par Kast.

Plus qu’un radical, beaucoup, à gauche, voient en Boric, âgé de 35 ans, une personne trop « jaune », terme classique utilisé pour désigner les gauches réformistes. Et une grande partie de son succès au second tour tient au fait d’avoir pu gagner le soutien de la Démocratie chrétienne et du Parti socialiste, y compris celui de l’ex-présidente Michelle Bachelet, aujourd’hui haut-commissaire aux droits humains des Nations unies, qui s’est rendue à Santiago pour voter et a appelé, dans une vidéo, à voter pour Boric. Comme cela s’est passé avec Podemos en Espagne, le Front ample (né des mobilisations d’étudiants) a durement critiqué la transition post-dictature mais ne pouvait pas gagner sans le soutien des forces qui l’ont dirigée (sauf que, à la différence de l’Espagne, il a réussi à « doubler » le vieux centre-gauche, du moins à la présidence, mais pas au Congrès). Et sans ce soutien il pourrait encore moins gouverner, tâche de plus en plus difficile dans une Amérique latine troublée.

PHOTO RODRIGO ABD 

Ancien dirigeant étudiant et actuellement député, Boric est devenu candidat présidentiel à la suite d’une période de crise du Front ample, après avoir remporté les primaires face à Daniel Jadue, du Parti communiste (le système électoral chilien favorise la formation de coalitions pour la réalisation de primaires communes – les participants profitent ainsi des espaces publicitaires et de la visibilité qu’elles offrent). Pendant la campagne, celui qui est désormais élu président a opposé une nouvelle culture de gauche – centrée sur les droits humains – et la vieille culture communiste propre à la Guerre froide sur des thèmes comme la crise au Venezuela ou au Nicaragua. Dans l’un des débats avec Jadue, il a déclaré : « Le PC va se repentir d’avoir apporté son soutien au Venezuela comme Neruda s’est repenti de son Ode à Staline ». Là, Boric se différencie de certaines gauches latino-américaines trop « campistes » (expression employée pour qualifier ceux qui voient le monde comme deux camps géopolitiques opposés), qui en viennent à se méfier des discours sur les droits humains au lieu d’en faire un instrument de la bataille pour un monde plus égalitaire.

La candidature de Boric scelle une série de victoires électorales centrées sur le changement : la reconnaissance massive de la nécessité d’une convention constitutionnelle en octobre 2020, l’élection de maires, hommes et femmes, d’à peine 30 ans dans plusieurs villes du pays et la composition même de la Convention. Ces transformations aux postes de commande reflètent un important changement de génération dont le Front ample est l’expression, de même que les nouveaux visages du PC comme Irací Hassler, qui dirige aujourd’hui la commune de Santiago Centre. Ces nouveaux leaders sont sociologiquement proches du Front ample et issus également de l’ascension de nouveaux groupes de femmes féministes. En effet, le PC chilien est l’un des rares partis communistes occidentaux à avoir su, sans renoncer à son identité, se renouveler sur le plan générationnel mais aussi du genre.

Il est possible que le positionnement du Front ample dans la Convention constitutionnelle, où il travaille en coordination avec le PS davantage qu’avec le PC, préfigure une partie de ce qui arriver : son ancrage comme pivot entre la gauche du PC et le centre-gauche. Pendant sa campagne, Boric a dû ressembler plus à Bachelet qu’à Salvador Allende. Au final, l’« explosion » n’a pas entraîné de virage vers la gauche traditionnelle ni de retour nostalgique vers le passé, raison pour laquelle le défi, pour le nouveau président, sera de poursuivre l’action de transformation sociale, surtout dans l’objectif d’un pays plus juste, mais sans tomber dans l’excès. Boric a compris pendant sa campagne – qui a pénétré au second tour l’électorat modéré – qu’il y a dans les demandes de changement plus de « frustration relative » que de regrets de l’époque d’Allende, même s’il ne fait aucun doute que l’ex-président brutalement renversé en 1973 a constitué pour beaucoup une sorte de phare moral des mobilisations.

SANTIAGO ABASCAL ET JOSÉ KAST

Avec un gouvernement de Jair Bolsonaro de plus en plus impopulaire, la déroute de Kast, allié de Vox [4] et d’autres forces réactionnaires en général, représente également un frein à l’extrême droite dans la région. Avec Boric au Chili, la gauche latino-américaine s’adjoint un nouveau président, et certains pensent déjà que le Brésil et même la Colombie s’inscriront dans ce sillage en 2022. Mais cette « deuxième vague » est beaucoup plus hétérogène que la première et globalement moins dense sur le plan du programme. Face à une gauche latino-américaine usée depuis la première « marée rose », dans un pays comme le Chili, où les institutions sont plus fortes que dans d’autres pays de la région, Boric pourrait tracer une voie démocratique radicale et égalitaire permettant de bâtir un État-providence plus solide (agenda qui a pris une nouvelle dimension durant la pandémie). Mais cela peut aussi représenter un bol d’air frais au niveau des principes : le « populisme de gauche » dans la région a fini par rester englué à la décadence politique et morale du projet bolivarien. Et l’enjeu pour Boric est de montrer que l’on peut avancer dans le domaine social sans dégrader la culture civique. Même si cela ne dépend pas seulement de lui, mais également de la future opposition (tant politique que sociale). Le nombre record de voix qui l’a propulsé à La Moneda lui confère indéniablement un pouvoir que personne n’imaginait quelques jours avant cette élection.

« Nous espérons faire mieux », a-t-il dit à Sebastián Piñera, d’une manière polie mais percutante en acceptant un déjeuner pour organiser la transition. Peu après, face à la foule, il a donné le départ de ce qui constitue indubitablement un nouveau cycle, marquant potentiellement la fin de la transition telle qu’on la connaissait.

- Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3603.

- Traduction de Gilles Renaud pour Dial.

- Source (espagnol) : Nueva Sociedad, décembre 2021.

Notes :

1] Pablo Stefanoni est coauteur, avec Martín Baña, de Todo lo que necesitás saber sobre la Revolución rusa (Paidós, 2017) et auteur de ¿La rebeldía se volvió de derecha ? (Siglo Veintiuno, 2021).

[2] L’expression renvoie au processus initié avec les mobilisations sociales massives qui ont débuté le 18 octobre 2019. Voir par exemple : Gabriel Salazar Vergara, « Le “reventón social” en Chile », Nueva Sociedad, octobre 2019, https://nuso.org/articulo/protestas-Chile-estudiantes-neoliberalismo/ – note DIAL.

[3] L’alliance de partis de centre-gauche qui a gouverné le pays de 1990 à 2010 – note DIAL.

[4] Parti espagnol d’extrême droite fondé fin 2013 – note DIAL.

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DESSIN MARÍA PICASSO I PIQUER

26 janvier, 2022

CHILI : LE FÉMINISME AU POUVOIR

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« Nous représentons l’air frais, la jeunesse, la nouveauté. Nous représentons la force d’une époque », déclare le nouveau président chilien Gabriel Boric. Sur les 24 ministères de son gouvernement, 14 postes sont réservés à des femmes, dont certains postes clés.

par Jean-Marc Adolphe 

JEAN-MARC ADOLPHE
CAPTURE D'ÉCRAN

La parité n’est pas vraiment respectée ! Mais pour une fois, les hommes sont en minorité. Sur les vingt-quatre ministères qui vont former le nouveau gouvernement chilien, dévoilé par le jeune Président Gabriel Boric, (qui entre en fonction le 11 mars prochain), quatorze reviennent à des femmes. Et, parmi ces ministères, non des moindres : Intérieur, Justice et Droits humains, Affaires étrangères, Défense, Santé, Mines…

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« Nous représentons l’air frais, la jeunesse, la nouveauté. Nous représentons la force d’une époque», a commenté Gabriel Boric dans une interview à la BBC, la première qu’il ait donnée depuis son élection, le 19 décembre dernier. A 36 ans, Gabriel Boric appartient à une génération pour laquelle le féminisme n’est ni une lubie ni un horizon pour plus tard, mais une réalité contemporaine. Irina Karamanos, anthropologue, 32 ans, la compagne de Gabriel Boric, diplômée en sciences sociales de l’université de Heidelberg, en Allemagne, est militante et déléguée métropolitaine du parti Convergence sociale, dont elle préside le Front féministe. En décembre dernier, après son élection, Gabriel Boric s’en était pris à un média local qui l’avait qualifiée de « petite amie du président». « Elle a un nom, c’est Irina Karamanos », avait-il répondu. Et dans un message posté sur Twitter, Irina a annoncé qu’elle assumerait le rôle de «Première dame », avec l’intention, toutefois, de l’abolir à terme.

Les convictions féministes du nouveau président chilien se reflètent dans la composition du gouvernement. Présentes en force, les femmes occupent en outre des postes-clés. La benjamine, Camila Vallejo, 33 ans, communiste, en est la secrétaire générale – porte-parole. À 50 ans, Maya Alejandra Fernandez Allende, la petite-fille de Salvador Allende, renversé en 1973 par le coup d’État militaire du général Pinochet, sera en charge de la Défense : tout un symbole. Aux Relations extérieures : Antonia Urrejola, juriste, présidait jusqu’ici la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH). Le ministère de la Justice et des droits humains échoit à la sociologue Marcela Alejandra Rios Tobar, vice-présidente de ComunidadMujer, une ONG fondée en 2002 spécialisée sur les questions de genre et qui promeut les droits des femmes.

Le ministère le plus en vue, celui de l’Intérieur, revient également, pour la première fois au Chili, à une femme, et pas n’importe quelle femme. Izkia Siches, 35 ans, médecin, a eu un rôle décisif dans l’élection de Gabriel Boric, dont elle fut la directrice de campagne (portrait vidéo ICI). Son prénom, Izkia, est une invention de sa mère, qui voulait que ses filles aient des prénoms qui les distinguent. C’est un mélange entre « Iskra » (un prénom croate, son père est d’origine croate) et Iskay, un prénom quechua, pour rendre hommage aux peuples autochtones d’Amérique latine. À 31 ans, en 2017, elle est élue, avec 53% des voix, à la présidence de l’Ordre des médecins : « Les présidents de l’Ordre des médecins ont toujours été des hommes, blancs et majoritairement conservateurs », disait-elle. « Je suis une femme, jeune, de gauche, brune, originaire d’Arica, à moitié aymara, aux yeux bridés, élevée à Maipú [une commune de classe moyenne de Santiago], éduquée dans une école que personne ne connaît ». Elle se consacre à la prise en charge des patients atteints du VIH dans les hôpitaux, promeut la légalisation complète de l’avortement, et défend un programme de droits accrus pour la communauté LGTBI. Dès l’apparition du COVID, elle tient tête au président chilien, le libéral Sebastián Piñera, face à la gestion de la crise sanitaire. Et en pleine pandémie, elle est rapidement devenue la femme la plus populaire du pays. D’ores et déjà, certains la voient comme future Présidente du Chili, en 2026 (la Constitution interdisant un second mandat consécutif pour le président sortant).

Cette flambée féministe, au Chili, n’arrive pas par hasard. Elle est le fruit de longues années de luttes et de combats. « En mai 2018, des jeunes femmes ont été le fer de lance d’une nouvelle vague féministe, avant les manifestations d’octobre 2019 », écrit Rocío Montes dans El País. Le symbole le plus visible de ces revendications féministes aura été une performance de rue créée par Lastesis, un collectif féministe de Valparaíso. Le titre de cette performance, Un violador en tu camino (Un violeur sur ton chemin), fait référence au slogan Un amigo en tu camino (Un ami sur ton chemin], utilisé comme devise de campagne par la police chilienne dans les années 1990. Des femmes de tout âge, les yeux bandés avec des tissus noirs et portant un foulard vert sur le cou, s’alignent et interprètent une chorégraphie en chantant contre le patriarcat, les principales formes de violences contre les femmes — telles que le harcèlement de rue, les abus et les viols, le féminicide, la disparition forcée des femmes — et le manque de justice, critiquant la société et les pouvoirs exécutif et judiciaire des pays où la performance a lieu pour leur inaction face aux crimes commis et à l’impunité et les désignant comme complices par la phrase El violador eres tú [Le violeur c’est toi] (Lire ICI).

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La vidéo de cette performance (plus de 1,3 millions de vues sur YouTube) est devenue virale au Chili et dans toute l’Amérique latine, tout comme la Chanson sans peur de l’artiste mexicaine Vivir Quintana.

Au Chili, poursuit Rocío Montes, « un gouvernement composé d’une majorité de femmes ministres constitue une avancée importante, mais les défis à relever pour faire progresser les droits des femmes sont multiples et profonds : du machisme culturel qui imprègne la société chilienne dans son ensemble à des questions telles que l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée pour les mères et les bas salaires par rapport aux hommes. Au Chili, comme dans le reste de la région, les inégalités se manifestent sur tous les fronts. La nouvelle ministre des Femmes, Antonia Orellana, une journaliste de 32 ans spécialisée dans les questions de genre et qui a travaillé dans des organisations de lutte contre la violence sexiste, ne sera pas seule. Nombre des ministres qui rejoindront le cabinet de Boric en mars ont une forte empreinte féministe, ce qui devrait se traduire par un pays où les filles – comme c’est déjà le cas, petit à petit – continuent de grandir avec la certitude que rien ne peut les arrêter simplement parce qu’elles sont des femmes. »

LUZ ADRIANA MARGARITA
 OLGUÍN BÜCHE

Sur ce chemin, Adriana Olguín, décédée en 2015 à l’âge de 104 ans, avait ouvert la voie. Née à Valparaiso en 1911, cette avocate a milité très tôt pour la cause des femmes au sein de la Fédération chilienne des institutions féminines. En 1952, alors âgée de 41 ans, elle fut nommée ministre de la Justice dans le gouvernement du président Gabriel González Videla  [le traître]. Celui-ci lui avait d’abord proposé le ministère de l’Éducation : «J’ai répondu : « Président, voulez-vous brûler les femmes ? Pensez à quel point ce ministère est conflictuel et, de plus, je ne suis pas une spécialiste de l’éducation… Mais je me sens la responsabilité de démontrer que les femmes sont qualifiées pour assumer de hautes fonctions, en tant que première femme ministre d’État, non seulement au Chili, mais en Amérique latine ». Lors de sa prise de fonction, elle gare sa voiture à l’emplacement réservé au ministère de la Justice, à côté du palais de la Moneda : « Un policier est immédiatement apparu et m’a ordonné de partir car c’était la place de parking du ministre. « C’est moi », ai-je fait remarquer. « Madame », insiste-t-il, « partez immédiatement car je ne suis pas d’humeur à plaisanter ». Heureusement, à ce moment-là, un fonctionnaire du ministère a résolu le problème.»

C’était en 1952, il y a tout juste un demi-siècle.

Jean-Marc Adolphe, leshumanites.org

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DESSIN MARÍA PICASSO I PIQUER