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#LitioParaChile Avant l’investiture de Gabriel Boric, le 11 mars, le président sortant tente de faire passer en urgence des projets aux allures de cadeaux de départ à l’intention des multinationales.
Santiago du Chili. Pierre Cappanera, correspondance
La Constitution léguée par Pinochet est ainsi faite qu’elle impose un délai de trois mois entre l’élection du président et son entrée en fonction ; pendant ce temps, le président sortant continue à jouir de toutes ses prérogatives… Gabriel Boric, le candidat progressiste de la coalition antilibérale Apruebo Dignidad, a été élu le 19 décembre 2021, avec 56 % des voix. Son prédécesseur, Sebastian Piñera, n’a pourtant aucune obligation de le consulter, sur aucun dossier : en poste jusqu’au 11 mars 2022, il veut faire passer plusieurs projets en urgence. C’est légal.
MIGUEL VARGAS CORREA |
Le projet le plus emblématique concerne l’appel d’offres lancé par son gouvernement en octobre 2021 pour l’exploitation par des multinationales de 400 000 tonnes de lithium, minerai rare et stratégique, indispensable à la production des batteries électriques. Troisième producteur au monde de carbonate de lithium, le Chili possède des réserves qui aiguisent les convoitises ; le cours de cet or blanc a explosé : 45 000 euros la tonne, contre 6 500 il y a un an.
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Le lithium est un concentré de tous les problèmes qui se posent au Chili : attribution du lithium à des multinationales ou création d’une entreprise nationale ? Exportation brute du minerai sous forme de carbonate ou création d’une filière industrielle propre à créer de la valeur ajoutée ? Le lithium se trouve par ailleurs dans des écosystèmes fragiles. Politique extractive ou plan de développement durable, respectueux de l’environnement ?
Le refus de voir les ressources du pays bradées à l’étranger
En plein milieu de la campagne électorale présidentielle, le 13 octobre 2021, le gouvernement lançait un appel d’offres pour attribuer plusieurs concessions d’exploitation avant la fin janvier 2022, de quoi enchaîner le pays pour plus de vingt ans.
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Mais les choses ne se sont pas exactement passées comme prévu. Dans un pays scandalisé, avec une opposition unanime, le 7 janvier, une grande manifestation exprimait à Santiago le refus de voir cette ressource bradée à des géants miniers étrangers. Dans la foulée, les députés votaient deux motions réclamant qu’aucun projet nouveau ne soit entrepris avant la prise de fonction du nouveau président, que tout projet minier soit reporté à une date ultérieure à l’adoption de la nouvelle Constitution, en cours d’élaboration.
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Première victoire : donnant suite à plusieurs plaintes, la justice vient d’ordonner la suspension du projet. Premier recul du gouvernement : il n’attribue plus que 160 000 tonnes aux multinationales, contre les 400 000 prévues. Des députés parlent de corruption et comptent porter, à leur tour, l’affaire devant les tribunaux.
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L’autre projet de dernière minute du président sortant concerne la signature du TPP 11, un accord libéral entre une douzaine de pays du Pacifique (sans la Chine, ni les États-Unis), auxquels le Chili est déjà lié de manière bilatérale par des traités de libre-échange. Qu’est-ce qu’apporte dès lors le TPP 11 ? Entre autres, une clause très dangereuse : toute multinationale qui ne réaliserait pas les profits escomptés à la suite du changement de la politique d’un État pourrait réclamer des compensations à ce même État.
Un traité de libre-échange resté en suspens au Sénat
Par exemple, si la loi devait contraindre les exploitants de cuivre à adopter des procédés industriels moins gourmands en eau, les exploitants seraient en droit d’exiger de l’État chilien le remboursement des frais supplémentaires engendrés par ces nouvelles réglementations. Une autre clause prévoit que les litiges ne se régleraient pas devant les tribunaux du pays mais devant des juridictions arbitrales, c’est-à-dire via un jugement privé.
La ratification de ce fameux traité a déjà recueilli l’approbation des députés, y compris ceux du centre-gauche (Parti démocrate-chrétien et Parti socialiste). Mais c’était en avril 2019. Entre-temps, l’explosion sociale est passée par là. Alors le projet est resté bloqué au Sénat.
Juan Sutil, le président de la Confederacion de la produccion y del comercio (CPC), vient d’exiger que ce traité soit voté immédiatement. Le président Piñera peut imposer un vote au Sénat ; c’est dans ses attributions, mais il n’est pas sûr d’obtenir la majorité. S’il ne prend pas ce risque, le président Boric aura toute latitude pour enterrer ce traité. Il reste encore deux mois à Piñera pour tenter quelques manœuvres. Leur issue est incertaine : la puissante victoire de la gauche, le 19 décembre 2021, a bouleversé les rapports de forces.
« VITRAIL DE JUSTICE » PHOTO AGENCIA UNO |
Code pénal en chantier. Parmi les projets que présente au dernier moment le président chilien sortant de droite, Sebastian Piñera, pour mettre quelques obstacles juridiques à son successeur, il y a la trame d’un nouveau Code pénal. Le texte actuel date de 1874. S’il est créé à juste titre des délits comme la cybercriminalité, cette réforme est surtout ancrée dans le tout-répressif. Piñera veut des peines plus fortes qu’aujourd’hui et qui soient « effectives » contre la délinquance. Les délits et peines pour «terrorisme » sont multipliées et alourdies : c’est clairement le mouvement social et les luttes des indigènes des Mapuches qui sont dans la ligne de mire.