BANNIÈRE DE PROFIL AJDA
Le 21 décembre 2021, à la suite de l'écrasante victoire de Gabriel Boric, candidat de la coalition de gauche, à l’élection présidentielle chilienne, le site The Times of Israël publiait un article alertant ses lecteurs sur l’inquiétude qui rongerait tous les juifs du Chili. [en réponse à Cnaan Liphshiz.]
La grande quantité d'approximations et d'omissions contenue dans cet article nous oblige à apporter quelques précisions.
Tout d'abord, il est indispensable de préciser qu'au Chili la « communauté juive » n'est pas constituée d'une seule et uniforme voix. S'il est vrai qu'il existe une auto-qualifié « Communauté Juive du Chili » (CJCh), il est important de rappeler qu’il existe d'autres associations constituées de juifs(ves), ce qui introduit un bémol aux tentatives de considérer cette communauté comme ayant une unité d'opinions.
L'auto-désigné CJCh s'est montrée inquiète de certaines déclarations du candidat Boric, récemment élu président de la République. Ces déclarations, comme le dit l'article en question, concernent la solidarité manifestée par Boric, envers les revendication territoriales Palestiniennes.
Ce que l'article de M. Cnaan Liphshiz oublie de mentionner est l’existence d’une autre association juive appelée « Association Juive Diana Aron » (AJDA), du nom d'une résistante et héroïne de la lutte contre Pinochet.
L'accusation d'antisémitisme utilisée contre Boric avait déjà été employée par M. Gabriel Zaliasnik, ancien président et membre de la CJCh, contre le [maire communiste de Recoleta, l’une des communes de Santiago,] Daniel Jadue, alors candidat à la primaire de la coalition de gauche Apruebo Dignidad pour l’élection présidentielle.
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Cependant, il est assez curieux de constater que, contrairement à la CJCh, M. Jadue ait assisté à l'hommage rendu par l'ADJA, dans la Villa Grimaldi, le plus grand et terrible centre de détention, de torture et de disparition organisé par Pinochet, à tous les hommes juifs et les femmes juives tombés(eés) dans la lutte pour la liberté du Chili. Il est très révélateur que pas un seul membre de l’auto-qualifié CJCh n’ait daigné participer à cet hommage auquel se sont joints tous les groupes et associations de défense de droits de l'homme existants au Chili.
Il semblerait qu’il s’agisse donc plus d’un clivage politique que d’un problème d’antisémitisme. Ainsi, il apparaît qu’il y ait une volonté de faire passer certaines positions politiques pour de l'antisémitisme. Les raisons sont claires, lorqu’on entend les déclarations des responsables de la CJCh au sujet du sionisme et de l’État d'Israël.
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Par exemple, dans l'article en question, il est fait mention que M. Zaliasnik déclare au quotidien Haaretz qu'ils [la CJCh] sont « prêts à accepter des critiques raisonnables d’Israël mais Boric, pour sa part, affirme qu’Israël est un état ‘génocidaire’ et ‘meurtrier’ ». Il semblerait plutôt que la CJCh ait maintenue une position d’appui total à l’État d’Israël en n'acceptant aucune critique, d'où qu'elle vienne.
M. Zaliasnik ajoute que « pour empirer les choses, il [Boric] blâme notre communauté juive pour les agissements d’Israël ». Cependant, les déclarations de Shai Agosin, président de la CJCh en 2017, prouvent qu'un des objectifs de l’auto-désignée communauté est de « réussir chaque jour une meilleur intégration à la société au Chili et être participatif en défendant l’État d’Israël de manière active ».
De plus, pour bien préciser ses pensées, l’actuel président de la CJCh, Gerardo Gorodischer, déclarait haut et fort en 2020, dans un entretien, qu'il « ne connaissait pas de juif qui ne soit pas sioniste », s'octroyant, ainsi, le pouvoir de qualifier qui était ou pas juif et en écartant, ainsi, toute position politique non sioniste.
Lorsque l'auteur de l'article qualifie le futur président du Chili de « député d’extrême-gauche âgé de 35 ans qui s’est distingué par ses critiques féroces à l’égard d’Israël et des membres de la communauté juive du pays qui soutiennent l’État juif » nous pensons que l'intention de forcer le trait est plus que caricaturale.
Lorsque Boric critique et condamne les agissements de l’État d'Israël envers les populations civiles Palestiniennes dans les territoires occupés, il dit simplement la même chose que ce que disent depuis des décennies tous les organismes internationaux de défense de droits de l'homme, à commencer par l'ONU.
Il serait souhaitable que la CJCh, qui semble - comme c’est le cas pour les votants de nationalité chilienne dans l’État d'Israël - avoir penché pour le candidat d'extrême droite José Antonio Kast, comprenne que le Chili souhaite s'intégrer dans le concert des nations et ne pas aller à l'encontre de la communauté internationale.
L'association ADJA a, pour sa part, appelé activement à voter pour le candidat de la coalition de gauche, M. Boric.
MILITANTS DU PARTI COMMUNISTE CHILIEN VICTIMES DE LA DICTATURE DE PINOCHET PHOTOS ARCHIVE MEMORIA VIVA |
Autre omission de taille de l'article de M. Liphshiz : les antécédents de l'adversaire de M. Boric, José Antonio Kast, décrit seulement comme « ultra-conservateur ». Quant au père de José Antonio Kast, Michael Kast qui était allemand, il est simplement décrit comme “probablement nazi”, alors qu’il est avéré qu’il était fervent catholique, inscrit au parti national socialiste des ouvriers allemands (NSDAP), qu’il a combattu au sein de la Wermacht pendant la Seconde Guerre Mondiale puis s’est réfugié au Chili grâce à des filières secrètes. Oublié aussi, le rôle joué par la famille Kast pendant la dictature.
En somme, l’article de M. Liphshiz est une tentative de rendre confuse l'opinion française au sujet d'une supposée ambiance antisémite existante au Chili, ou bien des attitudes supposes anti-juives de certains dirigeants de gauche.
S'il y a eu, pendant cette élection, une inquiétude palpable au Chili, c’est très certainement celle d’une grande majorité de Chiliens face aux dangers que représentait l'arrivée au pouvoir d'un représentant des heures les plus sombres de l'histoire chilienne. Heures sombres qui ont vu portés disparus, fusillés, torturés, emprisonnés ou exilés des hommes, des femmes et des enfants, de toutes origines confondues, y compris de confession juive.
Les Chiliens qui ont voté pour le candidat Boric ont aussi voté pour l'exigence de ne pas revivre les atrocités de l'époque de Pinochet.
Une question s'impose comme corolaire : est-il justifié, pour defendre les privilèges de certains et l’État d'Israël, de condamner les peuples du Chili à revivre le cauchemar d'une dictature ? Nous pensons, pour notre part, que les Chiliens et leurs dirigeants ne méritent pas d'être condamnés pour leur aspiration à un monde plus juste pour tous.
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DESSIN ENEKO |