04 juin, 2025

BRÉSIL / LUIZ INACIO LULA DA SILVA : « NOUS AVONS PLUS QUE JAMAIS BESOIN D’UNE GOUVERNANCE MONDIALE »

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LE PRÉSIDENT LUIS INACIO DA SILVA,
AU PALAIS DU PLANALTO,
À BRASILIA, LE 26 MAI 2025.
PHOTO VICTOR MORIYAMA

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Le Monde

INTERNATIONAL / BRÉSIL / Luiz Inacio Lula da Silva : « Nous avons plus que jamais besoin d’une gouvernance mondiale » / À quelques jours de sa visite d’État en France, le 5 juin, le président brésilien, ardent défenseur de la paix, revient, dans un entretien exclusif au « Monde », sur l’urgence de trouver une solution pour Gaza et l’Ukraine, et évoque ses contradictions entre l’exploitation du pétrole en Amazonie et la défense de l’environnement.
Propos recueillis par Bruno Meyerfeld (Brasilia, envoyé spécial)
Temps de Lecture 8 min.
luiz Inacio Lula da Silva a décoré son bureau avec soin : un grand crucifix, une photo de son épouse, une sculpture de jaguar, mais aussi une grande carte des espaces naturels protégés dans le monde. Dans un contexte international troublé et guerrier, le président brésilien, 79 ans, reste fidèle à ses priorités, la défense de l’environnement et la lutte contre la pauvreté. Ce thème sera central lors de sa visite d’État en France, qui débutera le 5 juin. À quelques jours du départ, il a accordé un entretien exclusif au Monde, depuis le palais présidentiel du Planalto, à Brasilia.

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DOMINGO 29 DE JUNIO DE 2025
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Quels sont les objectifs de votre visite en France et comment qualifiez-vous vos relations avec Emmanuel Macron ? On se souvient de vos images très chaleureuses au Brésil en 2024, comparées à des « photos de mariage »…

Je viens rencontrer Emmanuel Macron pour une visite d’État, mais aussi pour participer à la COP des océans [Conférence des Nations unies sur l’océan], qui se tiendra à Nice du 9 au 13 juin. Je me rendrai également à Toulon pour visiter les chantiers navals où sont construits les sous-marins à propulsion nucléaire [la France doit aider le Brésil à développer ses propres engins]. Je vais aussi rencontrer des chefs d’entreprise, recevoir un hommage spécial de l’Académie française, promouvoir la saison culturelle France-Brésil, ça promet d’être intense !

J’ai toujours eu d’excellents rapports avec tous les présidents français, Chirac, Sarkozy et Hollande. Concernant Emmanuel Macron, sur le plan personnel, je lui suis très reconnaissant de m’avoir reçu à l’Elysée [en 2021], alors que je n’étais pas président de la République. C’est pourquoi, lorsqu’il est venu au Brésil, j’ai tenu à lui réserver un accueil tout particulier. Nous nous appelons souvent, nos épouses s’entendent très bien. Nous entretenons une relation privilégiée.

Quel bilan tirez-vous des premiers mois de la présidence de Donald Trump ?

Trump a été élu pour gouverner les États-Unis, pas pour gouverner le monde ! Il a été choisi par une majorité d’Américains, il a le droit de s’exprimer. Mais cela ne lui donne pas l’autorité pour s’immiscer dans les affaires des autres pays et ne pas respecter leur souveraineté, ni pour remettre en cause le multilatéralisme, au risque de plonger le monde dans une pagaille généralisée. Qu’il s’occupe d’abord des Américains !

Le Brésil a un déficit commercial vis-à-vis des États-Unis, et Trump nous voit encore comme un « pays ami » [en avril, ce dernier a annoncé que son pays imposerait 10 % de droits de douane aux importations brésiliennes, soit le tarif minimal] – avec des taxes encore plus élevées pour les nations qui maintiennent des barrières commerciales plus strictes contre les Américains.

Mais j’ai donné des instructions très claires à mes ministres : nous allons d’abord dialoguer autant que possible, dans un esprit d’apaisement. Je souhaite que nous utilisions tous les mots du dictionnaire de la négociation… Mais si ça ne fonctionne pas, nous sommes prêts à appliquer une loi de réciprocité sur les droits de douane.

Le sommet des BRICS, prévu les 6 et 7 juillet à Rio, qui regroupe les onze membres officiels (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Arabie saoudite, Egypte, Emirats, Ethiopie, Indonésie et Iran) et neuf pays associés, marquera-t-il la riposte du Sud global face aux offensives de Washington ?

Il ne s’agit pas de prendre position pour ou contre Trump. Le Sud global a pour unique objectif la croissance et le développement. Les BRICS n’ont pas d’ennemis, et n’en veulent pas. Il n’y a pas d’un côté le Sud, et de l’autre le Nord. Cette division n’a pas de sens. Le Brésil souhaite entretenir de bons rapports avec la Chine, comme avec les États-Unis. Nous ne voulons pas un retour de la guerre froide.

Cependant, les pays du Sud ont été trop longtemps traités comme de simples nations en développement, qui ne posaient de problème à personne. Cette époque est révolue. Les BRICS représentent désormais 39 % du PIB mondial et plus de la moitié de la population de la planète. Nous sommes devenus un acteur économique et politique incontournable.

Donald Trump a menacé de droits de douane de 100 % les pays qui chercheraient à se détourner du dollar. Cela ne vous effraie-t-il pas ?

La menace de Trump ne fait peur à personne. Nous agirons en fonction des intérêts de nos pays, et nous nous battrons pour un commerce international plus juste. Ce n’est ni simple ni facile. Mais il n’est pas question de demander l’autorisation de Washington pour choisir la monnaie que nous jugeons la plus appropriée pour réaliser nos échanges.


Le 9 mai, vous étiez aux commémorations du Jour de la victoire à Moscou. Ne voyez-vous aucun problème à rencontrer Vladimir Poutine, visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour la guerre en Ukraine ?

Je me suis rendu à Moscou pour commémorer les 80 ans de la victoire sur le nazisme, par respect pour un pays qui a perdu 26 millions de vies humaines pendant ce conflit. Un pays, par ailleurs, avec lequel le Brésil entretient des relations commerciales solides – nous y importons notamment du diesel et des engrais. Je ne vois donc aucun problème dans cette visite.

Et je peux dire que je suis très à l’aise avec cette question. Le Brésil a condamné dès le début la violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine par la Russie. Le Brésil défend la paix, et ce, depuis trois ans ! J’ai dit à Vladimir Poutine qu’il était temps de mettre fin à la guerre, je lui ai conseillé de rencontrer Volodymyr Zelensky à Istanbul [le 16 mai]. Et je regrette qu’il ne s’y soit pas rendu.


Regrettez-vous les mots très durs que vous avez eus à l’encontre de Volodymyr Zelensky depuis le début du conflit ?

Non. J’ai dit ce qu’il fallait dire au moment opportun. Je pense que cette guerre n’aurait jamais dû avoir lieu. Le faux pas a été commis par Poutine, lorsqu’il a décidé d’envahir l’Ukraine. C’est clair, et nous l’avons toujours affirmé : aucun pays n’a le droit d’envahir le territoire d’un autre, surtout lorsqu’il existe encore des possibilités de négociation.

Mais les Occidentaux portent aussi une part de responsabilité. Joe Biden, avec qui j’en ai longuement parlé, pensait qu’il fallait détruire la Russie. Et l’Europe, qui a longtemps incarné une voie médiane dans le monde, s’est alignée sur Washington et consacre désormais des milliards à son réarmement. Cela m’inquiète. Si l’on ne parle que de guerre, il n’y aura jamais de paix.

Le Brésil est prêt à soutenir des négociations entre la Russie et l’Ukraine. Avec la Chine et 11 autres pays en développement, nous avons proposé en 2024 un plan pour la paix. Après trois ans de guerre, plus personne n’a rien à gagner à poursuivre le conflit. Poutine sait qu’il n’obtiendra pas tout, et Zelensky aussi. Asseyons-nous, discutons. Assez de bombes, de morts, de destructions.

Vous avez critiqué avec virulence le gouvernement israélien à propos de la guerre dans la bande de Gaza. Concrètement, que peut faire la communauté internationale pour y mettre fin ?

Il faut d’abord reconnaître la réalité : à Gaza, on n’assiste pas à un affrontement entre deux armées, mais à un massacre de civils par une force militaire très sophistiquée. Pour moi, c’est un génocide. Chaque frappe d’Israël, censée viser le Hamas, ne laisse derrière elle que des victimes civiles, femmes et enfants. C’est une honte pour l’humanité et tous les gouvernements. Cela doit cesser !

Il faut donc des décisions fortes. Le Brésil a été l’un des premiers pays d’Amérique latine à reconnaître officiellement l’État de Palestine, d’autres devraient suivre cet exemple, car seul un État palestinien viable peut garantir une paix durable dans la région.

L’ONU doit retrouver son rôle de médiateur, car aujourd’hui ses décisions sont ignorées et l’Organisation est paralysée. Nous avons plus que jamais besoin d’une gouvernance mondiale. Depuis la seconde guerre mondiale, les conflits entre États n’ont jamais été aussi nombreux. Les dépenses militaires mondiales ont explosé, pour atteindre 2 700 milliards de dollars [près de 2 400 milliards d’euros] en 2024. C’est hallucinant et très grave, surtout quand tant d’argent manque pour lutter contre la pauvreté et protéger l’environnement.

Justement, le Brésil accueillera la COP30 en novembre. Mais, dans ce contexte troublé, difficile d’espérer des avancées majeures…

Je reste optimiste pour « notre » COP, sinon, je vous le dis clairement, je ne l’organiserais pas ! Je pense même que Trump viendra, comprenant que les États-Unis ne peuvent rester en dehors de l’accord de Paris, ni hors de la planète Terre.

Ce sera une COP sérieuse, mais populaire, où la société civile sera amenée à se manifester. Le fait de l’organiser à Belem, en Amazonie, n’est pas un choix anodin. Il ne s’agit pas de faire du « oba oba » [du spectacle], mais de présenter au monde la forêt tropicale, ses habitants et les défis pour la préserver.

Pour nous, l’enjeu central reste le financement de la lutte contre le réchauffement climatique. Les pays riches, qui ont connu deux cents ans d’industrialisation basée sur les gaz à effet de serre, ont une dette historique envers le climat et doivent l’assumer. Il y a beaucoup d’argent pour faire la guerre, mais quand il s’agit de l’environnement, les caisses sont vides ! Ce n’est pas acceptable.

Pourtant, vous soutenez l’exploitation pétrolière dans le delta de l’Amazone, un projet vivement critiqué par les ONG. N’y a-t-il pas contradiction ?

Ecoutez : la France, le Royaume-Uni, la Norvège et les États-Unis exploitent aussi du pétrole. Et le Brésil est doté du mix énergétique le plus propre du monde : 90 % de notre électricité provient du renouvelable. Nous nous sommes fixé des objectifs très ambitieux pour la COP30 [avec une réduction des émissions de 59 % à 67 % d’ici à 2035], et au-delà, avec l’élimination de la déforestation illégale en Amazonie d’ici à 2030.

Le Brésil ne va pas renoncer à une richesse importante pour son développement. Quel pays pourrait se passer du pétrole aujourd’hui ? Aucun n’est en mesure de s’en affranchir aussi rapidement. Concernant le Brésil, c’est justement l’argent du pétrole qui va nous permettre de financer notre transition énergétique. Il n’y a donc aucune contradiction.

Sur le risque de pollution liée à l’exploitation, Petrobras, la compagnie pétrolière brésilienne, est reconnue pour son expertise en prospection en eaux profondes, et n’a jamais connu d’incident majeur. Le forage aura lieu à 500 kilomètres du delta de l’Amazone. Il n’y aura aucun problème. Et, s’il y avait le moindre risque, je serais le premier à m’opposer à un tel projet !

Malgré des résultats économiques encourageants, votre popularité reste faible. Comment l’expliquez-vous ?

En vingt ans, le monde politique a profondément changé. Le refus de la réalité se répand dangereusement, menaçant les institutions démocratiques. Au Brésil, c’est encore plus grave à cause du poids des réseaux digitaux, qui, à mon avis, n’ont rien de « sociaux ». Il est toujours plus facile d’agresser que de débattre, de diviser plutôt que de négocier. L’opposition a perdu toute civilité : plus c’est agressif et absurde, mieux ça leur va !

Même si nous réalisons un travail impressionnant, avec une croissance du PIB de 3,4 % en 2024 et un chômage en baisse, il reste difficile de convaincre la population des bienfaits de notre politique. Donc oui, ma cote de popularité n’est plus celle d’autrefois… Mais, dans les sondages sur la prochaine élection, je reste toujours en tête.

Malgré votre âge, envisagez-vous d’être candidat au scrutin de 2026 ?

Je suis quelqu’un de très responsable. Pour être candidat, je dois être à 100 % en bonne santé. Je prends donc soin de moi du mieux possible. Je fais très attention, car je veux vivre jusqu’à 120 ans ! Concernant l’élection de 2026, la seule chose que je peux vous garantir, c’est que je ne permettrai pas le retour de l’extrême droite au pouvoir. Le remède à la crise, ce n’est pas moins de démocratie, mais plus de démocratie.
Bruno Meyerfeld (Brasilia, envoyé spécial)

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