27 mars, 2025

AU BRÉSIL, JAIR BOLSONARO SERA JUGÉ POUR TENTATIVE DE COUP D’ÉTAT

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L’EX-PRÉSIDENT BRÉSILIEN JAIR BOLSONARO S’ADRESSE À LA PRESSE
APRÈS  QUE DES JUGES DE LA COUR SUPRÊME DU BRÉSIL ONT ACCEPTÉ
LES ACCUSATIONS PORTÉES CONTRE LUI POUR UNE TENTATIVE COUP D’ETAT,
À BRASILIA, AU BRÉSIL, LE 26 MARS 2025.
PHOTO LUIS NOVA

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Le Monde

Au Brésil, Jair Bolsonaro sera jugé pour tentative de coup d’État / Accusé d’avoir tenté de renverser les résultats de l’élection présidentielle, fin 2022, l’ex-président risque jusqu’à quarante-trois années de prison. [Le « Mythe » au trou]

Par Bruno Meyerfeld (Sao Paulo, correspondant)

Il y aura donc un « procès Jair Bolsonaro ». Ainsi en ont décidé les juges du Tribunal suprême fédéral, la plus haute instance du pouvoir judiciaire brésilien, qui, à l’unanimité, ont décidé, mercredi 26 mars, de retenir les charges pesant sur l’ancien président (2019-2023). Celui-ci est désormais officiellement accusé d’avoir tenté d’organiser un coup d’Etat, fin 2022, afin de renverser les résultats de l’élection présidentielle. Il risque jusqu’à quarante-trois années de prison.

«  Vous pouvez choisir  »
« BOLSONARO EST UN ACCUSÉ ! / PROCHAINE ÉTAPE : BOLSONARO ARRÊTÉ  »
 DESSIN  CARLOS LATUFF

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L’affaire est d’ores et déjà historique. Jamais un ancien chef de l’État brésilien n’avait été poursuivi pour des faits d’une telle gravité. Les juges de la première chambre, qui réunit cinq des onze membres du Tribunal suprême fédéral, ont fondé leur décision sur une enquête minutieuse menée par la police fédérale. Jair Bolsonaro est accusé d’avoir pris la tête d’une « organisation criminelle » visant à instaurer un état d’exception et à assassiner son successeur, Luiz Inacio Lula da Silva, avec, pour conséquence, l’invasion et la mise à sac des institutions de Brasilia par des manifestants d’extrême droite, le 8 janvier 2023.

Au-delà du dirigeant d’extrême droite, les magistrats ont décidé d’ouvrir un procès contre sept autres personnalités soupçonnées d’avoir participé à l’élaboration du putsch, dont plusieurs militaires, comme l’ancien ministre de la défense et général Walter Souza Braga Netto, ou l’ex-chef du renseignement Alexandre Ramagem.

« Théâtre procédural »

Entamée mardi 25 mars, la session de la première chambre a été retransmise en direct par les chaînes d’information. Les spectateurs ont eu la surprise de découvrir le visage crispé de Jair Bolsonaro, assis sur un fauteuil écarlate, au premier rang du public. L’ex-président avait tenu à assister à la première journée d’audience, afin de se « confronter » de manière « courageuse et honorable » ses accusateurs et, en premier lieu, à Alexandre de Moraes, juge star du tribunal et rapporteur de l’affaire, qu’il n’a pas quitté des yeux.

Mais le regard accusateur de l’ancien capitaine de l’armée n’a pas fait ciller les juges. Celso Vilardi, avocat de la défense, a bien tenté d’argumenter que son client avait « ordonné la transition » avec l’administration Lula, fin 2022. « Cela n’est pas compatible avec une tentative de coup d’État », a-t-il plaidé, sans succès.

Dos au mur, Jair Bolsonaro n’a d’autre choix que de dénoncer un procès politique et de se poser en victime. Dès mardi, il évoquait la « plus grande persécution politico-judiciaire de l’histoire du Brésil », puis, le lendemain, un « théâtre procédural » visant à « interférer dans la dynamique politique et électorale du pays » et à l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle de 2026.

Il estime, par ailleurs, que la première chambre du Tribunal suprême fédéral n’a pas la légitimité suffisante pour juger équitablement de son sort. Celle-ci ne comporte de fait aucun magistrat nommé par Jair Bolsonaro, contre deux récemment désignés par Lula. Ses avocats insistent pour que le cas soit traité en plénière, en présence des onze juges de l’institution.

La procédure adoptée obéit aux normes du tribunal. « Mais le règlement prévoit aussi que les cas les plus importants puissent être jugés en plénière », remarque Felipe Recondo, fondateur du site d’information juridique JOTA. Une telle décision « donnerait plus de force à la décision finale des juges », reconnaît ce spécialiste du Tribunal suprême fédéral, « mais elle aurait rallongé considérablement les délais du procès ».

Une mobilisation en déclin

L’objectif des magistrats est de conclure l’affaire d’ici à la fin de l’année, afin de ne pas interférer avec la présidentielle. Pris de vitesse, Jair Bolsonaro compte sur ses alliés au Congrès pour le protéger des juges. Le Parti libéral, dont il est le président d’honneur, demeure le premier groupe à la Chambre des députés et soutient une loi d’amnistie, qui absoudrait les émeutiers. En deux ans, plus de 500 d’entre eux ont été condamnés à des peines allant jusqu’à dix-sept ans de prison.

La proposition de loi pourrait en théorie bénéficier à Jair Bolsonaro. Mais il n’est pas sûr qu’il dispose de l’assise politique d’antan. Selon le quotidien Estadao, 171 députés sur 513 soutiendraient une loi d’amnistie, mais à peine 105 se disent prêts à la voter dans le cas où elle s’appliquerait à l’ex-président, qui sent désormais le soufre. L’extrême droite est-elle prête à abandonner son héros déclinant ?

Autrefois capable de mobiliser des centaines de milliers de personnes dans les rues, Jair Bolsonaro n’a réussi à réunir que quelque 18 000 manifestants, le 16 mars, sur la plage de Copacabana, à Rio de Janeiro. Une humiliation pour le « Mythe », comme le surnomment ses partisans, qui semble s’approcher de son crépuscule.

En ligne, « les réseaux bolsonaristes sont toujours très bien organisés, en particulier sur X. Mais on sent une nette diminution d’intensité dans le nombre de publications », constate Marcelo Alves, directeur de la méthodologie au sein de l’institut Democracia em Xeque (« démocratie en échec »), qui lutte contre la désinformation au Brésil. « Le mot d’ordre se réduit à la seule défense de Bolsonaro et n’attire plus que des fondamentalistes. Les gens sont davantage préoccupés par l’économie que par son sort devant les tribunaux », ajoute-t-il.

« Help us, Donald Trump ! » (« aidez-nous, Donald Trump ! »), clamaient certains manifestants, le 16 mars, à Rio. Face aux assauts de la justice et au manque de soutien populaire, le seul recours pour Jair Bolsonaro se trouve du côté de Washington, où son propre fils Eduardo s’est exilé fin février. Beaucoup, à Brasilia, considèrent important le risque de fuite de l’ex- président, malgré la confiscation de son passeport.


Bruno Meyerfeld (Sao Paulo, correspondant)


DESSIN EMMANUEL DEL ROSSO


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