27 juin, 2023

AU CHILI, DES BOURREAUX À LA SOLDE DE PINOCHET ENFIN CONDAMNÉS

 PHOTO SEBASTIAN SILVA 
Le 15 décembre 1976, à 19 heures, sur l’Avenida Larraín, la Dina (Direction de l’intelligence nationale), la police politique du général Augusto Pinochet, met fin au manège. Trois voitures sans immatriculation s’arrêtent brusquement au niveau de ce membre du comité central du Parti communiste chilien (PCCh).

par Lina Sankari

  AFFICHE DE SOLIDARITÉ, 1977 

Leurs passagers, des hommes de la brigade Lautaro, l’interpellent avec son camarade Waldo Pizarro et les rouent de coups. C’est l’opération « Calle Conferencia » qui vise à décapiter la résistance et la direction communiste. Ils sont alors transférés dans une caserne secrète, rue Simón-Bolívar, où leurs tortionnaires exhibent tout l’inventaire de la barbarie : gégène, huile bouillante, injection de cyanure et le fameux gaz sarin élaboré par le chimiste Eugenio Berrios. Fernando Ortíz aura le visage et la crête des doigts brûlés au chalumeau. Certains de ses camarades seront transférés en hélicoptère avant d’être jetés à la mer, d’autres enterrés clandestinement.

Après un combat sans fin pour la vérité et la justice, sa famille découvre, en 2001, que les restes de Fernando Ortiz ont été retrouvés avec ceux de cinq autres de ses compagnons de lutte à Cuesta Barriga, à 70 kilomètres de la capitale. En 2012, trente-six ans après les faits, un enterrement digne de ce nom peut enfin avoir lieu.

3 100 victimes de la violence d’État

« OÙ SONT-ILS ? »

Le combat pour la justice s’est achevé, ce 24 juin, alors que la Cour suprême du Chili a condamné 37 anciens agents de la Dina pour l’enlèvement et le meurtre des membres de la direction clandestine du PCC. Les juges ont ainsi rejeté le pourvoi en cassation de la défense et annulé le jugement en deuxième instance qui prévoyait l’acquittement des bourreaux.

Les chefs de la police secrète, Juan Hernán Morales Salgado et Pedro Octavio Espinoza Bravo, ont écopé des peines les plus lourdes, soit vingt ans de prison, en tant que coauteurs des crimes d’homicides aggravés. « Que puis-je dire après quarante-sept ans et six mois d’attente pour que la justice établisse la vérité sur la mort de mon père ? Je peux dire que le jugement décrit des tourments qui, pour moi, sont indicibles et impensables, mais qui étaient réels », a estimé Estela Ortíz, la fille de Fernando Ortíz.

L’avocat des plaignants, Nelson Caucoto, a salué « le message de non-impunité émanant des tribunaux chiliens (qui) est un puissant appel à ne pas répéter ces crimes à l’avenir ». Ce jugement de la Cour suprême est à maints égards historique. « Cinquante ans après le coup d’État militaire, le signal émis (…) est que peu importe le temps écoulé depuis les événements, il y aura toujours des sanctions pour les coupables de telles atrocités », a fait valoir Nelson Caucoto.

Depuis le décret-loi d’amnistie de 1978, et au nom de la réconciliation de la nation, les dirigeants chiliens issus de la Concertation (Parti socialiste, Démocratie chrétienne, Parti pour la démocratie, Parti radical social-démocrate et Parti Vert) ont tracé un trait d’égalité entre la violence d’État et les actes isolés de violence perpétrés par des opposants à la dictature.

Pis, dans cette logique, la dictature serait avenue du fait des mouvements sociaux et du climat de confrontation politique avec la droite et le patronat qui régnait avant et pendant le mandat avorté du président Salvador Allende. « Le rapport Vérité et réconciliation de 1991 établit à une centaine le nombre de morts du côté des militaires ou des politiciens de droite (…) contre 3 100 victimes officielles de la violence d’État durant la dictature », rappelle Marie-Christine Doran, autrice du Réveil démocratique du Chili (Karthala), qui distingue en cela le processus chilien du projet sud-africain.


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