ILLUSTRATION KATIA ODARTCHENKO |
Le Monde diplomatique« L’histoire les jugera »/ Ce mardi 11 septembre 1973, le ciel est gris, l’hiver austral est encore là. Le coup d’État débute très tôt, quand la marine de Valparaíso prend le contrôle de la ville-port située sur l’océan Pacifique. L’aviation prépare ses avions Hawker Hunter depuis l’aéroport de Concepción et, à Santiago, les mouvements de troupes de l’armée de terre commencent dès 8 h 30, sous la coupe notamment du général Sergio Arellano Stark.
Salvador Allende reçoit, dès l’aube, les informations concernant la situation à Valparaíso, et après plusieurs échanges avec son ministre de la défense, Orlando Letelier, comprend la gravité de la situation. Il décide ainsi de gagner le palais présidentiel, accompagné de ses plus fidèles collaborateurs, notamment le médecin Augusto Olivares et le politiste Joan Garcés, mais aussi des hommes du GAP (le « groupe des amis du président »), sa garde personnelle. Il a parfaitement conscience qu’il affronte une opération coordonnée de grande envergure. Avant 11 heures, les quelque trois cents carabiniers présents à La Moneda se sont retirés sur ordre de leur hiérarchie. Allende reste seul avec quelques dizaines de proches : les photos en noir et blanc, quelques heures avant sa mort, le montrent casqué et armé d’un fusil de guerre. Ces hommes doivent affronter un déploiement militaire sans précédent, tout d’abord de tanks, puis, face au refus du président de se rendre, subissent le bombardement répété du palais par deux avions de combat. Le premier étage est partiellement détruit et l’incendie gagne tout l’édifice.
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Dans son ultime intervention, Allende condamne la « trahison » de généraux « félons », responsables de la rupture de l’ordre institutionnel. Jusqu’à la fin, le président se place comme garant de la légalité républicaine, rappelant son engagement en faveur d’une voie non armée vers le socialisme. Il montre qu’il reste jusqu’à son dernier souffle convaincu de la justesse de ce qu’il considère comme la tradition démocratique et le constitutionnalisme des forces armées chiliennes.
Le 9 août, croyant encore en la possibilité d’une issue institutionnelle, Allende avait à nouveau incorporé des militaires au gouvernement, avec un cabinet civilo-militaire d’union nationale, en vain. Il a aussi cherché désespérément à trouver un terrain d’entente avec la démocratie chrétienne, qui se traduit par de nombreuses concessions. Mais rien n’y fait. Le 22 août, la Chambre des députés se prononce pour déclarer inconstitutionnel le gouvernement, donnant le feu vert à une intervention. Sous pression, le général en chef des armées, Carlos Prats González, démissionne. Allende nomme alors Pinochet, qu’il pense légaliste. Opportuniste, ce dernier choisit seulement le 8 septembre, convaincu par le général Gustavo Leigh (aviation), de suivre la conspiration. Mais si plusieurs officiers de haut rang décident de se retirer ou sont arrêtés, c’est bien le commandement des trois armées et celui des carabiniers qui conduisent le putsch.
Franck Gaudichaud
Extrait de Franck Gaudichaud, Découvrir la révolution chilienne (1970-1973), Les Éditions sociales, Paris, 2023.
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