06 septembre, 2023

AU CHILI, LA FIERTÉ CONTRARIÉE DE L’ÉGLISE POUR LES 50 ANS DU COUP D’ÉTAT

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DES PARENTS DE PERSONNES DISPARUES SOUS LA DICTATURE
 D’AUGUSTO PINOCHET DEMANDENT TOUJOURS JUSTICE, CINQUANTE
 ANS APRÈS LES FAITS LORS D’UNE CÉRÉMONIE À LA COUR SUPRÊME DE SANTIAGO,
 LE 29 AOÛT. POUR LE 50E ANNIVERSAIRE DU COUP D’ÉTAT
DU 11 SEPTEMBRE 1973, LES ÉVÊQUES CHILIENS APPELLENT À
« UN MOIS DE PRIÈRE », INSISTANT SUR LES DROITS DE L’HOMME.
PHOTO ESTEBAN FELIX/AP
Reportage L’Église chilienne a joué un rôle fondamental auprès des familles des victimes du coup d’État du 11 septembre 1973. Pour le 50e anniversaire de ce jour qui divise toujours le pays, les évêques appellent à « un mois de prière », insistant sur les droits de l’homme. Un appel très affaibli par la crise que traverse l’Église au Chili.

Gilles Biassette, envoyé spécial à Santiago (Chili)

C’est une demeure du centre de Santiago aux allures de petit manoir, cachée pour partie par des palmiers. Pour l’heure, elle est encore anonyme, même si la « maison de Santa Monica » – comme on l’appelle encore, du nom de la rue où elle est située – est ancrée dans la mémoire de nombreux Chiliens. Une plaque devrait bientôt rappeler son rôle historique. Car il y a cinquante ans, c’est ici que résidait l’unique espoir des familles des victimes du coup d’État du 11 septembre 1973 et de la terrible répression qui s’ensuivit.

La « maison de Santa Monica »

Quelques semaines à peine après le bombardement du palais présidentiel, le Comité Pro Paz a vu le jour à l’initiative de l’Église catholique pour venir en aide aux proches des disparus. Pendant deux ans, la « maison de Santa Monica » a apporté un soutien matériel, moral et juridique essentiel aux familles. Et sauvé des vies. Comme celle de Sergio Zamora, militant socialiste arrêté en 1975 après vingt mois de clandestinité et quelques coups d’éclat, comme la dispersion de tracts en plein cœur de Santiago.

En franchissant la grille du petit manoir, après avoir échappé, par ruse, le jour même de son arrestation, aux gardes qui l’avaient torturé, Sergio Zamora a trouvé l’aide déterminée du comité. Et celle de l’archevêque de Santiago, le cardinal Raul Silva Henriquez, intervenu auprès du général Pinochet pour éviter une nouvelle capture (1).

SCÈNE DU ROMAN GRAPHIQUE «LE CARDINAL» 

Un hommage au cardinal Raul Silva Henriquez

En mai dernier, à l’occasion des premières cérémonies marquant le 50e anniversaire du coup d’État du 11 septembre 1973, c’est d’ailleurs à la figure centrale du cardinal, décédé en 1999, que le gouvernement de Gabriel Boric a tenu à rendre hommage. Une messe a été célébrée à sa mémoire à la Moneda, le palais présidentiel bombardé en 1973.

Dans le cadre de cette date anniversaire, l’Église catholique, à Santiago comme en province, a tenu des réunions, des échanges, pour réfléchir aux leçons à tirer du passé. À Concepcion, troisième ville du pays, à 500 km au sud de Santiago, l’archevêque Fernando Chomali s’est même fait réalisateur : il a produit un documentaire d’une quarantaine de minutes sur les familles qui, aujourd’hui encore, cherchent le corps d’un proche disparu sous la dictature. Près de 1 200 victimes d’Augusto Pinochet sont, un demi-siècle plus tard, toujours dans l’attente d’une sépulture.

Ce groupe a commencé à se réunir chaque semaine dans des locaux mis à disposition par l’Église à partir de 1978. « J’ai fait ce documentaire pour rendre hommage à ces familles et aux victimes, et pour que la jeunesse chilienne sache ce qui s’est passé dans notre pays », explique Mgr Fernando Chomali. Dans son film, présenté le 1er septembre dans une salle bien remplie de Concepcion, il donne notamment la parole à la députée de la région, dont le père s’était immolé devant la cathédrale en 1983 en apprenant son arrestation et celle de son frère. Maria Candelaria Acevedo avait été libérée juste à temps pour revoir son père une dernière fois avant son décès des suites de ses blessures.

Sous la dictature, une Église au côté des victimes

Au cours de la discussion qui a suivi la projection, Hilda Espinoza, dont le mari a disparu en janvier 1975, a tenu à saluer le rôle de l’Église : « À travers Mgr Fernando Chomali, je veux remercier l’Église dans son ensemble pour tout le soutien que nous avons toujours reçu de sa part. Sans elle, nous ne serions pas ici aujourd’hui comme nous le sommes : debout. Parce que nous avons eu un toit, une protection, une maison, des avocats, grâce à l’Église. »

« L’Église catholique chilienne a été courageuse sous Pinochet, et dès les jours qui ont suivi le coup d’État », confirme l’historien Patricio Jimenez, professeur à l’Université pontificale catholique du Chili. « Le 18 septembre, jour de la Fête nationale, elle a refusé d’organiser un Te Deum, comme le veut la tradition au Chili. C’est la seule année sans Te Deum de notre histoire. Dans le contexte de l’époque, il ne s’agissait pas que d’un symbole… Puis très vite, en octobre, a été créé le comité Pro Paz, devenu en 1975 le vicariat de la solidarité, qui n’a fermé ses portes qu’avec le retour de la démocratie. »

Cette attitude est d’autant plus frappante qu’elle n’a pas été celle des autorités catholiques dans les autres pays de la région, également sous la coupe des militaires, en dépit de poches de résistance. « Au Chili, l’Église a été sensible très tôt, dès le début du XXème siècle à la démocratie et aux questions sociales, influencée par le catholicisme social français et belge, poursuit Patricio Jimenez. Le cardinal Raul Silva Henriquez a été formé dans cet esprit. »

Cinquante ans plus tard, l’Église se souvient. Elle appelle à « un mois de prière pour le Chili ». Cinq coups de cloche doivent résonner le 11 septembre dans les églises du pays, notamment en hommage aux victimes des atteintes aux droits de l’homme.

Une Église très affaiblie par des affaires de pédophilie

Mais le pays est-il disposé à écouter l’Église catholique, secouée par de nombreux scandales retentissants de pédophilie ? « Certains estiment, même au sein de l’Église, que nous n’avons plus la légitimité nécessaire pour aborder ces questions », reconnaît le père Tomas Scherz, curé de la paroisse Santa Ana à Santiago.« Et il n’est pas question d’utiliser le 50e anniversaire du coup d’État comme “plan marketing” pour redorer le blason de l’Église. Mais beaucoup considèrent, comme moi, qu’il est de notre devoir de parler des victimes. »

Dans les paroisses, mais pas seulement. Plusieurs événements ont eu lieu à l’Université catholique, à Santiago, par exemple. « Mais la vérité est que l’Église n’est plus audible au Chili », déplore Mariana Aylwin, ministre de l’éducation de 2000 à 2003 et fille de Patricio Aylwin, figure de la démocratie chrétienne et premier chef de l’État après la dictature. « Elle manque aussi de figures nationales d’envergure. Son discours, aujourd’hui, ne dépasse plus le cadre des églises. » Sur le passé du Chili comme sur son présent.

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Un engagement auprès des victimes de Pinochet

Au Chili, l’Église catholique s’est très tôt engagée au côté des victimes de la répression après le coup d’État :

Le 11 septembre 1973. Le président socialiste Salvador Allende est renversé.

Le 9 octobre. Formation du comité Pro Paz (comité de coopération pour la paix), à l’initiative du cardinal de Santiago Raul Silva Henriquez. Il vient en aide, en coopération avec d’autres Églises, dont l’Église luthérienne, aux familles victimes de la répression.

Le 1er janvier 1976. Création du vicariat de la solidarité par Mgr Raul Silva Henriquez après la dissolution, sur ordre du général Pinochet, du comité Pro Paz. Le vicariat prolonge le travail du comité jusqu’au retour de la démocratie.



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DESSIN PATRICIO PALOMO

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