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COUPURE DE PRESSE/JOURNAL EL MERCURIO
« Chile Crea » : la culture contre Pinochet/ En juillet 1988 à Santiago, alors encore sous la chape de plomb de Pinochet, j’ai eu le privilège d’assister, aux côtés de Jack Ralite, à une formidable démonstration de force du monde de la culture du Chili, entouré de nombre de ses frères latino-américains et d’amis progressistes européens. Quelques mois plus tôt, le 17 novembre 1987, à Paris, un inoubliable Zénith lança les « états généraux de la culture » et adopta la « déclaration des droits de la culture ». Parmi les milliers de participants à cet événement entre-temps devenu légendaire, figurait un grand plasticien chilien : José Balmes, réfugié en France depuis le sinistre coup d’État de Pinochet. Inspiré par la mobilisation à la fois culturelle et politique, au sens le plus noble du terme, à Paris, ce communiste décida ce soir-là de prendre l’initiative la plus merveilleuse mais aussi la plus audacieuse qu’on pût imaginer dans le Chili de cette période : retourner à Santiago pour mettre sur pied le plus spectaculaire acte de résistance, par la culture, appelé « Chile crea ». Au mépris du danger, il tint, avec une douzaine d’intellectuels chiliens, en plein Santiago, une conférence de presse entrée dans l’histoire pour annoncer cette improbable aventure : « la rencontre de l’art, de la science et de la culture pour la démocratie au Chili » !
Par Francis Wurtz, député honoraire du Parlement européen
AFFICHE « CHILE CREA » 1988 |
Le succès fut au rendez-vous ! D’une initiative à l’autre, on pouvait rencontrer les personnages les plus emblématiques de la résistance culturelle chilienne et latino-américaine, de Sergio Ortega, à qui nous devons « El pueblo unido jamas sera vincido » (le peuple uni ne sera jamais vaincu), à Eduardo Galeano, immense écrivain uruguayen, engagé aux côtés des plus humbles et référence de la gauche latino-américaine. Jack Ralite, accueilli avec la chaleur qu’on imagine, devait prendre la parole. Il dut, ce soir-là, trouver une parade instantanée au pire contretemps qu’on puisse imaginer en pareille circonstance : la défection de l’interprète ! Il racontera : « Comme c’était la veille du 14 Juillet, j’ai parlé avec le vocabulaire de la Révolution française. Je disais : “Liberté, égalité, fraternité !” Je disais : “Prise de la Bastille !”, “Robespierre et Danton !” Je disais : “Abolition des privilèges !”, “la Marseillaise !”, “les droits de l’homme !”, « Valmy ! »… À chaque expression, la salle applaudissait et la reprenait en français, bien qu’ignorant notre langue. » Admirable alchimie de la France rebelle et de la solidarité internationale !
La solidarité dépassa, du reste, largement les limites des salles prévues pour les rencontres, les dialogues et les expressions culturelles. Un matin, à l’heure où les ouvriers rejoignaient leur usine, tel groupe de visiteurs apporta son soutien aux courageux militants clandestins venus parler aux travailleurs. Tel autre groupe discuta avec les participants à une manifestation contre la faim. Un autre moment, un émouvant hommage fut rendu, devant sa maison, à Pablo Neruda, dont la pensée résume le mieux l’état d’esprit de ces journées mémorables d’il y a trente-cinq ans, dans Santiago en passe de se libérer des années de plomb, lorsqu’il écrivit : « Je veux vivre dans un monde où les êtres seront seulement humains, sans autre titre que celui-ci, sans être obsédé par une règle, par un mot, par une étiquette. Je veux vivre dans un monde où il n’y aura pas d’excommuniés. »
Francis Wurtz sera présent à la Fête de l’Humanité, le vendredi 15 septembre, à 14 heures, à l’Agora pour le débat « Guerre en Ukraine : comment gagner la paix ?»