KAREN ARAYA CLÔTURE SA CAMPAGNE DEVANT UN PUBLIC TRÈS JEUNE À SANTIAGO DU CHILI |
La population élit, ce dimanche 7 mai, les membres de l’Assemblée constituante, dans une période de difficulté pour la gauche. Le formidable mouvement social d’il y a trois ans tiendra-t-il ses promesses ? /
LE PRESIDENT DU PCCh GUILLERMO TEILLIER |
« Scepticisme, frustration… » : c’est par ces mots que le président du Parti communiste du Chili (PCCh), Guillermo Teillier, qualifie le climat de ces deuxièmes élections de membres de l’Assemblée constituante qui auront lieu dimanche 7 mai. Que s’est-il donc passé au Chili pour que, de l’enthousiasme de l’explosion sociale d’octobre 2019, contre la hausse des prix de certains services publics, on en arrive à cette morosité ?
PIERRE CAPPANERA PHOTO FACEBOOK |
À la suite de ce mouvement, la gauche fait un parcours électoral sans faute. Le référendum où les Chiliens doivent dire s’ils souhaitent une autre Constitution est un triomphe. Près de 80 % d’entre eux choisissent le changement en octobre 2020. Municipales, régionales, élections des premiers constituants en mai 2021, le camp du progrès a le vent en poupe. Le Parti communiste renforce ses positions de façon significative.
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L’avertissement vient avec le premier tour de l’élection présidentielle en novembre 2021. Le représentant de l’extrême droite se hisse en tête. Le même jour se tient le scrutin législatif et la gauche échoue à obtenir une majorité à la Chambre des députés. En revanche, les conservateurs progressent. En décembre 2021, le deuxième tour voit Gabriel Boric, le candidat de la coalition progressiste, triompher mais cette victoire résulte en partie du rejet de son adversaire d’extrême droite, José Antonio Kast, un pur et dur du pinochétisme.
L’installation de Gabriel Boric à la présidence en mars 2022 se veut enfin une réponse au mouvement d’octobre 2019. Ce dernier n’avait débouché sur aucun accord du type de ceux de Matignon ou de Grenelle, comme ce fut le cas après le Front populaire de 1936 ou Mai 68.
Ainsi, trois ans plus tard, le jeune président chilien obtient-il un accord sur une augmentation significative du salaire minimum. Pour le reste, tout demeure en l’état : le système de retraite par capitalisation individuelle et ses pensions de misère, les services publics de la santé et de l’école dévastés, la privatisation de l’eau dans un pays qui souffre d’une sécheresse persistante depuis plus de dix ans… la droite joue la carte de l’immobilisme et ne cède que sur un seul point : l’élaboration d’une nouvelle Constitution.
Les grands médias font campagne avec la droite
De fait, la fin de la dictature militaire en 1990 n’a pas signé la fin des institutions instaurées par le général Augusto Pinochet. La charte ultralibérale que le dictateur avait imposée en 1980 est restée en place. Avec la fameuse clause de subsidiarité, cette Loi fondamentale consacre le triomphe du privé sur le public ; elle interdit à l’État d’agir. Quand bien même les députés adopteraient une mesure autorisant l’action de l’État, le Tribunal constitutionnel serait là pour invalider tout changement. Ainsi, les députés n’ont pu changer ni le régime de retraite par capitalisation ni la privatisation des universités ou de l’eau.
Mais immobilisme ne signifie pas inaction. Dès l’élection des constituants en mai 2021, la droite mène une campagne permanente, systématique, mensongère contre le processus d’élaboration d’une nouvelle Loi fondamentale. Le camp conservateur prépare méthodiquement le référendum qui doit clôturer les travaux de l’Assemblée.
La droite affirme que le Chili changera de drapeau et d’hymne national, que le gouvernement prendra leur maison aux Chiliens, qu’une justice à deux vitesses en faveur des Mapuches s’installera
Elle affirme que le Chili changera de drapeau et d’hymne national, que le gouvernement prendra leur maison aux Chiliens, qu’une justice à deux vitesses en faveur des Mapuches s’installera, etc. Autant de mensonges énormes et mille fois répétés. Les réseaux sociaux sont mis à contribution. Les grands médias font massivement campagne avec la droite. Le pays est visité jusque dans les plus petites communes par les militants conservateurs… Face à cette offensive, la gauche réagit tardivement. Deux mois avant le référendum de septembre 2022, elle se lance enfin dans la bataille, avec un an de retard sur la droite.
Le résultat est catastrophique. Le 4 septembre 2022, 62 % des Chiliens repoussent la proposition de nouvelle Constitution. Pour la première fois, le vote est obligatoire, avec inscription automatique de tous les Chiliens sur les listes électorales. La gauche imagine que ceux qui ne se rendent jamais aux urnes – les abstentionnistes de toujours, soit 50 % de l’électorat chilien, les classes populaires les plus pauvres – voteront « naturellement » pour les progressistes. Ce n’est pas le cas.
Pour la droite, en revanche, l’élection est une divine surprise. Elle découvre que le vote obligatoire pour tous peut lui être favorable. Douche froide pour la gauche. Jusqu’à aujourd’hui, le mouvement social ne parvient pas à se relancer après cette défaite. Forts de cette expérience, les conservateurs obtiennent l’inscription automatique des citoyens sur les listes et le vote obligatoire à toutes les élections.
Les progressistes espèrent une remobilisation
Dimanche, 50 constituants seront élus. Après sa victoire au référendum du 4 septembre 2022, profitant d’un nouveau rapport de forces, la droite a imposé que les élus soient fortement encadrés par deux collèges «d’experts ».
Ces derniers avaient pour tâche de rédiger un avant-texte qui servirait de canevas aux nouveaux élus… Soit des constituants sous haute surveillance ! De plus, le mode de scrutin de l’Assemblée est identique à celui des sénatoriales au Chili, fortement inégalitaire car il sous-représente les grandes métropoles, où la gauche est très implantée.
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