07 juillet, 2010

LE PC CHILIEN AMORCE UNE NOUVELLE ÉTAPE

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MANIFESTATION SOUTENANT SALVADOR ALLENDE LE 05 09 1964. PHOTO LIBRARY OF CONGRESS, LA BIBLIOTHÈQUE DU CONGRÈS ASSURE LA FONCTION DE BIBLIOTHÈQUE NATIONALE POUR LES ÉTATS-UNIS. DANS WIKIMEDIA.


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OSVALDO FERNÁNDEZ DÍAZ  
À VALPARAÍSO, CHILI EN 2010

La décision des communistes chiliens d’apporter leur soutien politique conditionnel (qualifié de «contre-offensive tactique») à la candidature de la Concertation représentée par Michèle Bachelet au second tour de l’élection présidentielle de janvier 2006 a incontestablement marqué une nouvelle étape. Il convient d’interpréter cette initiative politique, d’une part, comme l’expression de la détermination communiste à jouer un rôle sur l’échiquier politique chilien, d’autre part, comme un retour aux sources de leur tradition politique jusqu’à l’élection de Salvador Allende.
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PEDRO AGUIRRE CERDA EST PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DU CHILI DE 1938 À 1941. IL EST LE PREMIER PRÉSIDENT RADICAL ÉLU GRÂCE AU FRONT POPULAIRE EN 1938. IL MET EN PLACE UN TYPE DE GOUVERNEMENT RESSEMBLANT À UN NEW DEAL, EN CRÉANT UNE SÉCURITÉ SOCIALE ET EN NATIONALISANT LES ENTREPRISES. IL MEURT EN FONCTION LE 25 NOVEMBRE 1941.

C’est-à-dire une politique d’alliance et d’accords avec les autres mouvements politiques chiliens, chemin qui a porté ses fruits, et quels fruits ! à deux occasions, en 1938 avec Pedro Aguirre Cerda et le Front populaire et en 1970 avec Salvador Allende et l’Unité populaire.

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En ce qui concerne la conjoncture électorale de 2006, personne ne voulait reproduire l’expérience désastreuse vécue au cours du second tour de la candidature du président Lagos en 2000. À l’époque, la décision de voter blanc n’avait pas été suivie par tous les électeurs communistes chiliens qui, l’ayant jugée incongrue ou ambiguë, n’avaient pas tenu compte de la consigne et avaient soutenu la candidature de la Concertation. Les électeurs communistes appartiennent à une gauche radicalisée qui se caractérise par un rejet viscéral de la droite (dans laquelle ils continuent à voir l’ombre de Pinochet et la perpétuation abominable de la dictature). L’un des engagements principaux et constants de la gauche chilienne est le maintien obstiné du combat en faveur des droits de l’homme et contre l’impunité au Chili, qui a permis de lever peu à peu le voile sur le cauchemar de ces années de dictature et sur la toile d’araignée tissée autour de ses crimes, et qui a eu pour contrecoup politique de dénoncer la persistance des liens entre le gouvernement militaire et la droite chilienne et sa nostalgie de la tyrannie dont elle a fait preuve à cette époque.

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De son côté, cette « percée tactique » a eu le mérite de mettre le doigt sur les incidences négatives profondes sur la démocratie chilienne d’une exclusion sociale qui se manifeste à tous les niveaux et qui s’est généralisée au point que nous pouvons affirmer que c’est ce qui définit aujourd’hui notre société. Une inégalité économique qui s’accentue régulièrement et quotidiennement, un déséquilibre social engendré par l’une des pires répartitions des richesses au monde et une exclusion politique qui se manifeste par le fait qu’il n’existe plus dans notre pays un marché électoral au sens où l’entend Schumpeter[2] puisque le système électoral binominal ne laisse pratiquement aucun espoir aux membres d’une partie du spectre politique, correspondant à ce que l’on a coutume d’appeler la gauche extra-parlementaire, de voir ses candidats élus autrement qu’au niveau municipal.

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SALVADOR ALLENDE GOSSENS (NÉ LE 26 JUIN 1908 - MORT LE 11 SEPTEMBRE 1973) FUT UN MÉDECIN ET HOMME POLITIQUE SOCIALISTE, CHEF D'ETAT CHILIEN EN TANT QUE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DU CHILI DU 3 NOVEMBRE 1970 AU 11 SEPTEMBRE 1973.
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Cette nouvelle étape marque la fin de la recherche d’une échappatoire au système des partis politiques instauré au Chili depuis que le non a triomphé, mettant fin au régime dictatorial. Les opposants au type de gouvernement proposé par la Concertation et au système néolibéral hérité de la dictature ont cherché pendant des décennies une autre voie, hésitant entre diverses alternatives contradictoires, optant à un moment pour la voie politique d’un collège électoral qui se réduirait à l’éventail resserré comme une peau de chagrin des partis et des groupes extraparlementaires, reniant à d’autres occasions cette option pour privilégier des ententes en marge des partis politiques, entre les communistes et les masses, conjointement avec une attitude politique où tout accord politique était en butte à une défiance viscérale. Des mouvements entiers pour lesquels ces accords, voire les élections elles-mêmes, ont perdu toute crédibilité, se sont systématiquement abstenus de voter ou de s’inscrire sur les listes électorales. Ce rejet de la politique se fonde sur une sensibilité anarchiste qui prime chez les jeunes Chiliens, qui n’est pas canoniquement théorique, mais qui s’exprime par ces refus et par d’autres attitudes contestataires amplement répandues parmi la jeunesse. Une forme de rébellion de la jeunesse chilienne qui perçoit et ressent que la société néolibérale ne les prend pas en compte.

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Produit du coup d’État, de l’exil et des circonstances entourant la création du Front patriotique Manuel Rodríguez, l’action politique communiste a évolué dans un contexte organique profondément marqué par les contradictions inhérentes à la conjoncture. Elle fait ses premiers pas sous l’auspice de la contradiction, source d’un nombre considérable d’impasses, qui oppose les militants restés sur le territoire national et les exilés, puisque, dans un premier temps, qui a duré plus longtemps que nécessaire (jusqu’au XVe congrès, premier congrès organisé au Chili), les leaders du mouvement étaient en exil. Ultérieurement, la situation s’est totalement inversée lorsque les militants de l’intérieur ont repris en main la direction du parti, avec pour consigne de « démanteler » politiquement les forces en exil. Situation extrême dans les deux cas : a) dans un premier temps, l’extérieur, qui prenait toutes les décisions, n’a perçu l’intérieur que comme un simple appendice ; b) au cours de la deuxième étape, le démantèlement politique des forces en exil inverse la situation et rompt tout lien organique avec des milliers de militants qui vivent à l’étranger sans espoir de retour et qui, outre un profond sentiment d’exil, se retrouvent également exclus, abandonnés par le parti. L’effondrement, à la même époque, du « socialisme réel » explique le caractère dramatique du XVe congrès.


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 BANNIÈRE DU FRONT PATRIOTIQUE MANUEL RODRÍGUEZ. PHOTO WIKIPEDIA

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Alors que les effets de ce conflit se font encore sentir, et après un certain rééquilibre organique, une nouvelle contradiction se fait jour entre ce que nous pourrions appeler les deux « âmes » des communistes chiliens, deux manières de comprendre la politique, qui coexistent sans vraiment se rencontrer, entre le programme prôné par le FPMR et ce qui a été la politique communiste traditionnelle jusqu’à l’avènement de l’Unité populaire. Le passage du temps aggrave ce conflit, car la génération qui aurait pu faire le lien entre ces deux expériences est en exil, et les rares militants qui ont pu rentrer au pays vivent dans une situation de clandestinité telle qu’ils ne peuvent pas prendre contact avec plus d’une dizaine d’autres militants. Jusqu’à très récemment, la majorité des communistes de cette époque n’a connu que la dictature au cours de ses années de formation. Leur expérience est très riche à de nombreux égards, mais pratiquement nulle sur le plan des contacts politiques. Cette expérience initiale persiste en arrière-plan et continue à définir la ligne du PC comme la politique de la rébellion populaire. Lorsque cette compréhension s’est éteinte et que cette politique a été capable de conquérir une certaine hégémonie (voir, par exemple, les attitudes politiques prônées par d’autres mouvements, telles que la « désobéissance civile »), les changements introduits n’ont pas été analysés en profondeur. Le changement de contexte n’a pas été saisi immédiatement. Bien qu’il ait réussi, le coup d’État n’a pas été perçu, ni analysé exhaustivement comme l’indice d’une fin et non d’un commencement.

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Sans oublier que des générations de communistes chiliens ont vécu des expériences totalement différentes. Les uns, qui n’ont connu l’illégalité que brièvement, ont maintenu en exil les accords et les engagements antérieurs. Certains, dont le militantisme s’est formé dans un climat permanent d’illégalité, n’ont connu un jeu politique normal qu’à la fin des années 1990; d’autres enfin, ont connu de longues années d’exil, et leur seule expérience du jeu politique date des gouvernements de coalition (de 1990 à 2007). Ces expériences de vie différentes instaurent inévitablement une double lecture des événements et des documents. Nous pensons à ce qui se passe aujourd’hui lorsque la grande majorité des membres du parti qui sont rentrés pour œuvrer pendant la dictature se retrouve face à une pirouette tactique qui a pour objectif de construire de nouveau une alliance vers le centre pour créer un gouvernement démocratique intégrant plusieurs partis. Pour ceux-là, la collaboration avec d’autres secteurs n’a rien de naturel. Certains n’ont pas l’habitude qu’on les contredise ou que l’on exprime des idées différentes, et ne sont pas convaincus par les nôtres, ce qui explique que la coopération engendre encore une certaine méfiance. En outre, contrairement à l’héroïsme romantique d’hier, la situation actuelle exige de la persévérance, de la confiance, la patience de tracer peu à peu un chemin et d’apprendre à tirer parti de toutes les circonstances.


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PUBLICITÉ DE LA CAMPAGNE ÉLECTORALE D'EDUARDO FREI MONTALVA (NÉ LE 16 JANVIER 1911 À SANTIAGO DU CHILI ET DÉCÉDÉ LE 22 JANVIER 1982), FUT LE PRÉSIDENT DU CHILI DE 1964 À 1970, REPRÉSENTANT DE LA DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE. INSERTION DANS LE JOURNAL EL MERCURIO DU 1ER MARS 1973.

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Quel est le contexte de cette nouvelle étape ? La situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui n’a rien à voir ni avec celle du Chili en 1952, lors de la naissance du processus qui a abouti à l’Unité populaire, ni avec celle qui existait à la veille du triomphe de Salvador Allende. En 1952, le modèle de substitution des exportations s’est épuisé ; sur un plan plus général, trois mouvements se disputent la succession : une nouvelle gauche s’ébauche, symbolisée par la figure de Salvador Allende, qui compose une nouvelle alliance qui s’exprimera pendant les mille jours de l’Unité populaire entre 1970 et 1973. Un autre mouvement réformiste, les Forces démocrates chrétiennes, fait une entrée fracassante sur la scène politique nationale et amène Eduardo Frei Montalva au pouvoir en 1964. Enfin, un mouvement de droite encore embryonnaire et qui ne sera vraiment décelable que pendant la dictature militaire de Pinochet (1973-1989). Dans l’ensemble, l’espace politique est ouvert, même si la politique des mouvements les plus sombres de l’extrême droite se borne à susciter une intervention militaire.

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En ce qui concerne la droite, Leopoldo Benavides ébauche en 1978 une thèse selon laquelle la droite chilienne n’a eu aucune visée hégémonique jusqu’aux années 1970, se contentant d’une attitude défensive pratiquement jusqu’à la création du Parti d’unité populaire. Je pense que ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle a vraiment commencé à élaborer un projet (au sens où l’entend Gramsci) beaucoup plus profond. On peut affirmer que, jusqu’aux années 1970, la droite n’avait pas d’orientation intellectuelle ou morale, et son plus grand triomphe actuellement est d’avoir su créer un pouvoir dirigeant dont les aspects intellectuels et moraux sont profondément ancrés dans la société chilienne. Je pense que le soutien de la dictature lui a permis de modifier tout à coup les structures intellectuelles, ce qui rend la compréhension du poids de la dictature de Pinochet beaucoup plus complexe et plus difficile. C’est pour cette raison que l’on peut dire que le conformisme intellectuel profond généré par la droite au Chili est aujourd’hui l’un des problèmes les plus importants. Quelque chose qui continue à nous affliger et à nous effrayer. Avoir conscience de cet élément, dont l’entendement s’articule autour des concepts de Gramsci, peut s’avérer très utile pour trouver des alternatives et des arguments contre la droite et créer un discours intellectuel et moral différent. Une phrase de Gramsci m’a frappé particulièrement : il déclare qu’au moment du fascisme sa mission et celle du parti est d’être, dans un conflit qui risque de durer longtemps, la graine qui pourra être semée et récoltée à plus long terme encore. Sur le plan intellectuel, c’est une mission qui reste à mettre en œuvre au Chili.

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PORTRAIT D'ANTONIO GRAMSCI, VERS 30 ANS, AU DÉBUT DES ANNÉES 1920. ANTONIO GRAMSCI (ALES, SARDAIGNE, LE 22 JANVIER 1891 - ROME, LE 27 AVRIL 1937) EST UN ÉCRIVAIN ET THÉORICIEN POLITIQUE ITALIEN D'ORIGINE ALBANAISE1,2. MEMBRE FONDATEUR DU PARTI COMMUNISTE ITALIEN, DONT IL FUT UN TEMPS À LA TÊTE, IL DEMEURE EN PRISON SOUS LE RÉGIME MUSSOLINIEN3. EN TANT QU'INTELLECTUEL, IL A NOTAMMENT ÉTUDIÉ LES PROBLÈMES DE LA CULTURE ET DE L'AUTORITÉ, CE QUI EN FAIT UN DES PRINCIPAUX PENSEURS DU COURANT MARXISTE. IL OPPOSE À LA DIALECTIQUE MATÉRIALISTE UNE « PHILOSOPHIE DE LA PRAXIS ». SA CONCEPTION DE L'HÉGÉMONIE CULTURELLE COMME MOYEN DU MAINTIEN DE L'ÉTAT DANS UNE SOCIÉTÉ CAPITALISTE A FAIT DATE.

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À l’heure actuelle, sur le plan économique et social, ce domaine culturel est encore plus important. D’une part, en raison de la puissante implantation des pouvoirs de fait, particulièrement le pouvoir économique qui est entre les mains des chefs d’entreprise chiliens, renforcé par l’hégémonie du modèle néolibéral. La Concertation, qui adhère à ce modèle et le respecte de la manière la plus orthodoxe possible, s’est muée en simple administrateur et garant de la réussite du programme économique néolibéral. C’est au Chili que ce modèle a été expérimenté pour la première fois, et c’est là qu’il est appliqué au pied de la lettre. Mais il ne s’agit pas seulement de programmes politiques appliqués «d’en haut ». Le plus grave pour la gauche chilienne réside dans le fait que le néolibéralisme se répand parmi les masses populaires. La consommation et le crédit à la consommation largement répandus parmi la population la plus humble constituent l’appui fondamental et essentiel du gouvernement.

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Sur le plan politique, il importe de souligner que la droite (UDI plus RN) représente la moitié de l’électorat national. Cette hégémonie lui impose de s’appuyer sur le pouvoir de fait des entre prises, d’une part, et, d’autre part, sur les accords conclus avec les militaires, en raison de l’ouverture démocratique qui a suivi le triomphe du Non. S’y ajoute le soutien des institutions religieuses, notamment de l’Église catholique, ciment de l’idéologie qui prédomine actuellement au Chili.


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JOSÉ CARLOS MARIÁTEGUI




JOSÉ CARLOS MARIÁTEGUI ( 14 JUIN 1894, MOQUEGUA, PÉROU – 16 AVRIL 1930 ) ÉTAIT UN ÉCRIVAIN, UN PHILOSOPHE, UN JOURNALISTE, ET UN ACTIVISTE POLITIQUE PÉRUVIEN DU DÉBUT DU XXE SIÈCLE, DONT LA PENSÉE A MARQUÉ DURABLEMENT LES GÉNÉRATIONS POSTÉRIEURES DANS TOUT LE CONTINENT SUD-AMÉRICAIN. ICI JOSÉ CARLOS MARIÁTEGUI DANS SA MACHINE À ÉCRIRE REMINGTON, EN ÉCRIVANT UNE DE SES "LETTRES D'ITALIIE" DESTINÉES AU EL TIEMPO DE LIMA, D ROME, 1922. 

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Cependant, il s’est produit, mais du côté de la droite, ce qu’Antonio Gramsci proposait comme processus d’installation d’une hégémonie, qui suppose que la classe hégémonique soit à la fois dominante et dirigeante. Si l’on part du fait que, dans l’éventail idéologique d’une société, les perspectives d’alliance doivent tenir compte de l’existence d’amis, d’alliés, d’adversaires et d’ennemis et renforcer le camp ami en y intégrant les alliés, neutraliser et, si possible (et tel a été le cas au Chili), phagocyter les adversaires et réduire le champ d’action des ennemis à sa plus simple expression. Ce programme aurait complètement abouti au Chili si ce n’est que, depuis la fin de la dictature, il y a eu quatre gouvernements de coalition et que, sur le plan strictement politique, la droite a été privée d’alternance. Nous avons donc, d’un côté, l’alliance conservatrice avec l’UDI et ses alliés de la Rénovation nationale et, de l’autre, la Concertation que l’on peut décrire comme des adversaires neutralisés de la droite. Et où est la gauche ? On peut la qualifier d’extra-parlementaire… et elle est réduite à sa plus simple expression, intégrée partiellement dans le système des partis puisqu’elle n’a aucun parlementaire. Et tant que le système binominal restera en fonction, cette situation restera inchangée.

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La gauche n’étant pas représentée au Parlement, les éléments qui la composent sont non seulement réduits aux espérances de vote les plus basses, mais ils ont disparu de la scène politique, et sont dispersés et divisés. Lors des dernières élections, le mouvement politique Juntos podemos más, sans tenir compte des abstentions, est parvenu à regrouper une cinquantaine d’organisations, dont certaines étaient à peine connues.

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JOSÉ CARLOS MARIÁTEGUI, VLADIMIR ILITCH OULIANOV DIT LÉNINE, FRIEDRICH ENGELS, KARL HEINRICH MARX DIT LE MAURE : PARODIE DE LA POCHETTE « ABBEY ROAD  » L'ALBUM DES BEATLES,  PAR LE DESSINATEUR DE PRESSE ET CARICATURISTE PÉRUVIENS CARLOS TOVAR « CARLÍN »


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Le gouvernement actuel de la présidente Michelle Bachelet, quatrième gouvernement de coalition, est confronté à une situation économique et sociale dominée par les pouvoirs de fait, comme les chefs d’entreprise ; empêtré dans ses propres contradictions, ce modèle de gouvernement instauré depuis la fin de la dictature tient un discours et ne soutient que quelques actions et programmes populistes. Impossible d’avancer sans rompre le statu quo, lequel bénéficie d’un certain consensus. Un journaliste a expliqué sans ménagement les raisons des quatre victoires successives de ce type de gouvernement : si la Concertation, qui adhère au modèle néolibéral et l’applique de la manière la plus orthodoxe possible, a adopté et met en œuvre un programme économique de droite en préservant sans faillir ses intérêts, pourquoi convoiter la présidence ? Pourquoi insister sur l’alternance ? C’est là, à mon avis, une preuve indiscutable de la domination hégémonique de la droite au Chili.

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Comment peut-on inverser la situation ? C’est une question qui n’est pas réservée au PC, mais à l’ensemble de la gauche. La première tâche incontournable est de réussir à unir la gauche qui est actuellement fragmentée. Pour ce faire, il est impératif d’adopter une politique d’alliances qui tentera d’inverser la situation actuelle, de reconstruire la gauche pour qu’elle atteigne au moins un tiers de ce qu’elle était avant l’élection d’Allende. D’autre part, essayer d’inciter le centre à adopter une position au moins critique envers le néolibéralisme. Lancer la réforme intellectuelle et morale indissociable d’un nouveau projet historique. Nous pensons qu’en agissant de cette manière nous pourrons planter les premiers jalons de réduction de la droite. Pour le formuler en termes que Gramsci ne désavouerait pas, nous devons susciter de nouveau, comme dans les années 1960, une nouvelle volonté collective nationale et populaire. Et nous répétons la question du Pr Benavides : Quelle peut être la réforme intellectuelle et morale que nous devons réaliser actuellement au Chili ? Compte tenu du contexte que nous avons exposé, la réponse à cette question pourrait-elle être actuellement le socialisme?


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LE CAPITAL T.1 ET 2, ADAPTÉ PAR LES STUDIO EASTPRESS D'APRÈS L'ŒUVRE DE KARL MARX, ÉD. SOLEIL MANGA, 192 P., 6,95 EUROS (CHAQUE VOLUME)

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Quel socialisme pour le XXI e siècle ?

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« Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes. » Karl Marx, Frédéric Engels, L’Idéologie allemande.

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« Le socialisme n’est pas, précisément, un problème de couteau et de fourchette, mais un mouvement de culture, une grande et puissante conception du monde. » Rosa Luxemburg, lettre à Franz Mehring.

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« Bien sûr, nous ne voulons pas que le socialisme soit, en Amérique latine, un décalque ou une copie. Il doit être une création héroïque. Nous devons donner vie, avec notre propre réalité, dans notre propre langage, au socialisme indo-américain. » José Carlos Mariátegui.


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FRANZ ERDMANN MEHRING 


FRANZ ERDMANN MEHRING (1846 – 1919), EST UN ESSAYISTE, HOMME POLITIQUE ET HISTORIEN ALLEMAND. FRANZ MEHRING A ÉCRIT UNE BIOGRAPHIE DE MARX :  « KARL MARX HISTOIRE DE SA VIE ». CETTE BIOGRAPHIE DE FRANZ MEHRING EST LE FRUIT D'UNE LONGUE FRÉQUENTATION DE L'OEUVRE DE MARX ET D'ENGELS. IL S'AGIT LÀ D'UNE CONTRIBUTION EXCEPTIONNELLE À LA CONNAISSANCE DE MARX GRÂCE À UNE STUPÉFIANTE RICHESSE D'INFORMATIONS, À SON POUVOIR D'ÉVOCATION, ET AUSSI À SA LIBERTÉ DE TON.  AVEC UNE GRANDE FACULTÉ DE SYNTHÈSE, MEHRING EST PARVENU À MONTRER LE RÔLE CAPITAL JOUÉ PAR MARX DANS LE MOUVEMENT OUVRIER INTERNATIONAL. IL EXCELLE À BROSSER DES PORTRAITS, À RESTITUER L'HOMME ENTIER EN NOUS MONTRANT SES FORCES ET SES FAIBLESSES : LE PENSEUR, LE MILITANT INFATIGABLE, LE TRAVAILLEUR ACHARNÉ PRÊT À TOUT SACRIFIER À LA CAUSE OUVRIÈRE, Y COMPRIS SANTÉ ET ÉQUILIBRE FAMILIAL, LE PUBLICISTE À LA DENT DURE, LE PÈRE ET L'ÉPOUX, L'AMI FIDÈLE, MAIS SOUVENT OMBRAGEUX.

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Malgré sa popularité, cette question semble incorrectement formulée puisqu’elle nous précipite en avant et oriente toute réflexion sur le socialisme vers une quelconque utopie future. Marx, lui, insiste sur le présent où les « conditions de ce mouvement résultent des données préalables telles qu’elles existent ». Sans doute serait-il plus utile de s’interroger sur les raisons de son absence dans les discours actuels. Sur l’abîme qu’elle recouvre pour que l’on ne puisse y répondre que par des utopies, des mythes ou des mirages. Ne vaudrait-il pas mieux penser que le concept du socialisme est perçu aujourd’hui comme anachronique et démodé ? Anachronique en premier lieu parce qu’il relève d’une étape avortée que l’implosion de l’Union soviétique et l’effondrement d’une bonne partie du monde alors socialiste relèguent aux oubliettes. Aujourd’hui, si l’on se projette dans l’avenir, il est démodé, car enclavé dans un moment de l’histoire qui nous paraît très lointain et où le concept, si cela veut encore dire quelque chose, consiste à donner un nom à une quête utopique, comme le fut à une époque le mythe de la grève générale. Enfin, concrètement, nous ne sommes pas actuellement en mesure de visualiser clairement le moment du socialisme. C’est en tenant compte de ces données que nous pouvons orienter notre réflexion sur la manière d’élaborer un possible concept de socialisme susceptible d’être viable au XXIe siècle. Nous devons partir du fait que non seulement le socialisme que nous allons construire devra être différent de celui qui l’a précédé, mais également que la forme sous laquelle nous allons parvenir à le construire sera différente.

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Mariátegui, après avoir déclaré que le socialisme n’était certainement pas une doctrine indo-américaine puisque aucune doctrine, aucun système contemporain ne peut l’être, déclara à cet égard : «Bien sûr, nous ne voulons pas que le socialisme soit, en Amérique latine, un décalque ou une copie. Il doit être une création héroïque. Nous devons donner vie, avec notre propre réalité, dans notre propre langage, au socialisme indo-américain. »


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FRANZ MEHRING (DEUXIÈME À GAUCHE AU PREMIER RANG) 
ET ROSA LUXEMBURG À L'ÉCOLE DU PARTI


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Avec cette affirmation, il rompait avec le paradigme, alors pleinement en vigueur, prôné par toute une institution, la IIIe Internationale communiste, et avec un modèle de socialisme appliqué dans une partie du monde, l’Union soviétique. Le regard de Mariátegui était plutôt fixé avec obstination sur ce que pouvait être la spécificité nationale. De la même manière, lorsque, pressé par les circonstances, il se trouve dans l’obligation de créer un parti, il ne crée pas le Parti communiste, mais le Parti socialiste péruvien, un parti distinct, différent tant du parti créé par Haya de la Torre, que de celui préconisé par la IIIe Internationale. Un parti qui devait émerger de la base, de la réalité péruvienne spécifique, une identité péruvienne qui devait se construire au sein d’un processus de création original. Jusqu’à ce que cela aboutisse, le socialisme devait être une œuvre de création ancrée dans la réalité péruvienne intrinsèque qui permet d’affirmer que, sans indigènes, il ne peut pas y avoir de socialisme au Pérou. Pour concrétiser ces options, il mettait la théorie à l’épreuve. Pour cette raison, sa conception du marxisme échappait également au marxisme orthodoxe de l’époque :

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« Le marxisme dont beaucoup parlent, mais que peu connaissent et, surtout, comprennent, est une méthode fondamentalement dialectique, c’est-à-dire qui se fonde intégralement sur la réalité, sur les faits. Il ne s’agit pas, comme certains le supposent à tort, d’un ensemble de principes aux conséquences rigides s’appliquant indifféremment à tous les contextes historiques et à toutes les latitudes sociales. Marx a tiré sa méthode du cœur même de l’histoire. Le marxisme agit et opère sur l’atmosphère, le milieu ambiant de chaque pays, de chaque peuple, sans négliger aucune de leurs modalités. »

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ANTONIO GRAMSCI, DE FACE ET DE PROFIL. EN CAPTIVITÉ PENDANT ONZE ANNÉES, IL ÉCRIT SES CARNETS DE PRISON. MALADE, IL MEURT QUELQUES JOURS APRÈS ÊTRE SORTI DE PRISON, DANS LA NUIT DU 26 AU 27 AVRIL 1937. GRAMSCI A ÉCRIT PLUS DE 30 CAHIERS DURANT SON EMPRISONNEMENT. CES ÉCRITS, CONNUS SOUS LE NOM DE « CARNETS DE PRISON » (QUADERNI DEL CARCERE), CONTIENNENT SES RÉFLEXIONS SUR L'HISTOIRE ITALIENNE, AINSI QUE DES IDÉES EN THÉORIE MARXISTE, THÉORIE CRITIQUE ET THÉORIE ÉDUCATIVE. 
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Antonio Gramsci conçut le parti en étroite relation avec le socialisme :

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« Le Prince moderne doit et ne peut pas ne pas être le promoteur et l’organisateur d’une réforme intellectuelle et morale, ce qui ensuite signifie créer le terrain pour un ultérieur développement de la volonté collective nationale populaire vers l’achèvement d’une forme supérieure et totale de civilisation moderne. » Antonio Gramsci, Brèves notes sur la politique de Machiavel, la politique et l’État moderne.

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Une vérité incontestable dans les circonstances actuelles est qu’il n’y a plus de paradigmes. Au Chili, en Amérique latine et dans le monde entier, c’est de la base, de notre spécificité propre, que doit émaner le socialisme. En conséquence, il est impératif d’inverser le processus. Il ne s’agit plus d’un modèle que l’on applique, mais d’un processus issu de la réalité historique même. N’oublions pas que le socialisme d’hier était un schéma universel, un modèle quasi indépendant de ce que disait la réalité. S’il y a quelque chose à tirer clairement des événements, c’est qu’il n’existe pas actuellement un modèle de socialisme. Mais cela marque la fin de ce que nous pouvons affirmer avec quelque certitude, car se pose immédiatement la question de savoir de quoi nous parlons exactement quand nous prononçons le mot « spécificité ».


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CAPTURE D'ÉCRAN DE LA COUVERTURE DU LIVRE DE  JEREMY RIFKIN  « LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE »
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Nous sommes confrontés actuellement à un capitalisme qui globalise les relations socio-économiques au niveau mondial. Nous subissons les effets d’une troisième révolution industrielle qui a porté le capitalisme au stade défini par Marx comme celui de la subordination réelle du travail au capital. Aujourd’hui, la question de la réalité spécifique est plus ouverte que jamais. S’agit-il de la nation, ou existe-t-il une dimension beaucoup plus vaste, signifiant l’aspect régional de la réalité latino-américaine ? Ou faut-il replacer le socialisme dans le contexte actuel de la globalisation ? Le local peut-il affronter le global ? Existe-t-il une mondialisation politique correspondant à la mondialisation des communications et de l’économie ?

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Nous devons nous demander si, lorsque nous évoquons la spécificité et le socialisme, il faut réfléchir aux dimensions d’ancrage de ces deux concepts. Pour Mariatégui, il s’agissait de la réalité indigène péruvienne. Mais si, aujourd’hui, nous parlons d’une spécificité nationale, faisons-nous allusion à l’État-nation déclinant ? Situation aggravée en Amérique latine où jamais État et nation ne coïncident. Après l’indépendance sont venus les États puis, le cas échéant, les nations. Si l’on regardait le continent d’un point de vue national, la carte serait très différente de celle qui existe actuellement. Ne vaudrait-il pas mieux réfléchir au problème et à la question sur le socialisme en termes globaux ?


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POCHOIR  ALLENDE 

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Tout est différent aujourd’hui, même s’il persiste un trait distinctif, qui est la raison pour laquelle nous insistons sur le concept et qui fait le lien entre notre conception du socialisme et les réflexions qui précèdent : c’est sa nature éminemment anticapitaliste. Le socialisme présuppose la fin ou le dépassement de la réalité capitaliste. Nous pouvons nous fier à cette seconde affirmation. Mais nous en sommes encore à un stade du processus où il est difficile de dégager la réalité nouvelle des ruines de l’ancienne. Les fissures du néolibéralisme augurent de nouvelles possibilités intrinsèques. Le socialisme est toujours vivant parce que la fin de l’histoire annoncée par l’assaut néolibéral non seulement s’est produite, mais que les choses ont empiré depuis. Au lieu d’établir des relations harmonieuses avec la nature, l’absence de politique de défense de l’environnement a empiré la situation. Au lieu de résoudre la précarité, le néolibéralisme l’a répandue chaque jour davantage dans le monde. Les conflits, les maladies et la faim se sont aggravés et submergent l’univers. Il n’y a plus de premier et de deuxième monde, le tiers monde s’est installé dans les faubourgs du premier avec lequel il cohabite.

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OSVALDO FERNÁNDEZ DÍAZ

LE DOCTEUR EN PHILOSOPHIE ET PROFESSEUR, OSVALDO FERNÁNDEZ DÍAZ,  LORS DE LA PRÉSENTATION DU LIVRE «  ITINÉRAIRE ET DES TRAJETS HÉRÉTIQUES  » DE JOSÉ CARLOS MARIÁTEGUI, ÉDITÉ CHEZ  EDITORIAL QUIMANTÚ, LE MARDI 24 AOÛT 2010.

Osvaldo Fernández Díaz [ 1]
Notes

[ 1] Docteur en philosophie à Paris I-Sorbonne, professeur à l’université de Valparaíso.

[ 2] Pour Schumpeter, « la démocratie n’est rien d’autre qu’un mécanisme qui permet d’élire et de légitimer des gouvernements ; ce n’est pas un type de société ni un ensemble d’objectifs moraux ; en second lieu, ce mécanisme consiste en une lutte concurrentielle de deux ou plusieurs groupes autoproclamés d’hommes politiques (élite), organisés en partis, pour les votes qui leur permettront de gouverner jusqu’aux élections suivantes. Il n’appartient pas aux électeurs de prendre des décisions politiques et d’élire des représentants qui les appliqueront mais bien plutôt d’élire les hommes qui prennent ces décisions. »

Osvaldo Fernández Díaz « Le PC chilien amorce une nouvelle étape », article paru dans Nouvelles FondationS3/2007 (n° 7-8), p. 198-202. Version CAIRN.INFO