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Chili : « Nous venons de subir plusieurs défaites et certains à gauche ne veulent pas reconnaître l’ampleur du problème » / Alors que la droite s’est placée en tête lors des récentes élections locales, Juan Andrés Lagos, figure du Parti communiste chilien, fustige celles et ceux qui, à gauche et au sein de la coalition du gouvernement de Gabriel Boric, refuseraient de regarder la réalité en face. « Il existe une sorte de schizophrénie politique », assure-t-il.
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L'HUMANITÉ
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Juan Andrés Lagos est un des principaux dirigeants du Parti communiste du Chili, auquel il a adhéré en 1980, pendant la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990). Il a été secrétaire général de ce parti ainsi que directeur d’El Siglo, son journal officiel, pendant plusieurs années. Il a participé à l’actuel gouvernement du président Gabriel Boric au poste de conseiller du vice-ministre de l’Intérieur, jusqu’à son éviction en juin dernier (2022-2024). Il s’exprime ici sur les résultats des différentes élections qui ont eu lieu au Chili ces dernières années, sur les deux référendums pour une nouvelle Constitution ainsi que sur les élections locales d’octobre-novembre dernier, où la droite s’est imposée.
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Quelle est votre analyse des derniers résultats électoraux ?
Je pense que nous devons faire un effort pour regarder les choses avec le maximum de réalisme et non avec des euphémismes. Ce qui s’est passé lors des élections municipales, c’est que tous les partis de droite ont augmenté leur électorat et leur représentation municipale dans tout le pays. Il y a des gens à gauche qui essaient d’atténuer la perception de ce phénomène. C’est une erreur politique majeure car il faut reconnaître ce qu’il s’est produit.
Nous venons de subir plusieurs défaites et nous ne voulons pas reconnaître l’ampleur qu’elles ont eue. Il existe une sorte de schizophrénie politique.
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Il faut remonter en arrière. La première défaite n’a-t-elle pas été celle du référendum pour la nouvelle Constitution en septembre 2022 ?
Nous avons subi une terrible défaite lors du premier référendum. Nous avons terminé cette campagne pour ce premier référendum par un rassemblement ici à l’Alameda (la grande avenue de Santiago) avec environ un demi-million de personnes. Les dirigeants et les leaders se sont battus pour parler (à ce meeting) parce qu’ils étaient tous convaincus que nous étions en train de gagner de loin. Par conséquent le scénario au Chili, c’était une nouvelle constitution, qui était en effet un projet avancé avec des droits sociaux, droits économiques, souveraineté pour les peuples indigènes, etc. Un projet merveilleux.
Il y a donc eu un triomphalisme aveugle. Notre propre gouvernement était aveugle.
Les médias ont-ils joué un rôle dans cette campagne ?
Tout à fait. Il y a eu une campagne de droite soutenue par l’ensemble des médias. Une campagne très forte. Mais il est également vrai que le gouvernement, je ne sais pas pour quelles raisons, a décidé de ne pas mettre en place de politiques publiques au cours des premiers mois (après son installation en mars 2022) et a décidé d’attendre le résultat du référendum.
Les médias suffisent-ils à expliquer le rejet de ce projet de Constitution ?
Les citoyens étaient et sont toujours dans une très mauvaise situation socio-économique. Lisez les rapports du Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud), ils démontrent dans leur dernière étude que l’inégalité augmente au Chili. Que les revenus (des classes populaires) sont très mauvais. Que les gens sont indignés par le système politique et par tous les partis politiques. Vous ne pouvez pas nier ces éléments pour maintenir l’illusion que vous vous en sortez très bien. Je dis cela parce que, dans cette élection avec système de vote obligatoire, pour la première fois, près de six millions de personnes qui ne votaient pas ont voté. Et ces six millions de personnes ont voté pour le rejet (de la Constitution proposée)…
Nous étions nombreux à nous demander pourquoi le rejet l’avait emporté…
Il existe des études qui montrent que c’est parce qu’ils ont associé l’approbation de la nouvelle Constitution avec le gouvernement de Gabriel Boric. Et ils ne veulent rien avoir affaire avec ce gouvernement. Rien. Et celui-ci semble toujours se satisfaire des 30 % (du premier tour de la présidentielle de novembre 2021). Or, dans aucun pays au monde, on ne gagne une élection avec 30 % des électeurs.
Mais il n’y a pas eu que des défaites. En décembre 2023, le second projet de Constitution rédigée par l’extrême droite a bien été repoussé ?
Le deuxième référendum est arrivé, toujours avec le vote obligatoire, et il a totalement changé la situation. C’est-à-dire que les six millions (de nouveaux électeurs) ne voulaient pas non plus d’une Constitution de droite, de la Constitution de Kast (le leader de l’extrême droite, ndlr). Le rejet s’est répété, avec 60 % des voix, mais en sens inverse, c’est-à-dire contre la Constitution proposée par la droite.
Je faisais partie de la direction de cette campagne, et nous avons réalisé que le gouvernement ne devait pas apparaître, même simplement cité, dans cette campagne. En commençant par le président Boric. Nous le leur avons dit et ils l’ont compris.
Les partis de gauche ont accepté de ne pas se mettre en avant ?
Les partis ne pouvaient pas se présenter en tant que tels. Nous avons fait campagne avec des drapeaux chiliens. Les partis l’ont compris. Ils se sont retirés. Et notre campagne visait quoi ? À montrer que le projet de Constitution de la droite allait priver les femmes de leurs droits, allait priver les municipalités de leurs ressources, et par conséquent, des actions peut-être élémentaires mais essentielles, comme l’éclairage public, comme les couches pour les personnes âgées, que certaines municipalités distribuent aux familles, allaient disparaître. Pour les familles sans ressources, c’est important. Ce sont des choses comme ça qui ont défini notre campagne contre la Constitution de droite. Pas des questions de grande dimension. C’est comme ça que nous avons gagné le second référendum (en décembre 2023).
Quelle a été l’erreur lors des récentes élections municipales ?
Aux dernières municipales (octobre-novembre 2024), les partis de droite ont tous eu plus de postes de conseillers municipaux, plus de maires, plus de gouverneurs. Mais il y a eu des candidats de gauche qui ont gagné dans de grandes communes comme à Pudahuel ou Maipu (deux communes très peuplées de la région de Santiago que la gauche a pris à la droite). Ils se sont présentés comme indépendants des partis politiques. À Maipu, le candidat de gauche s’est occupé des problèmes de l’eau, des bidonvilles, du crime organisé, d’une nouvelle ligne de métro… Des choses concrètes. Et il a eu raison. Cela prouve que nous pouvons arrêter la droite, nous pouvons encore provoquer un revirement face au scénario qui est en train de nous tomber dessus.
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