LES PALESTINENS DU CHILI |
Revue d’Etudes Palestiniennes n° 95 (Printemps 2005) – Revue Trimestrielle publiée par l’Institut des Etudes Palestiniennes.
Par Cecilia Baeza
«Le déclenchement de la Seconde Intifada en septembre
«Plus de 50 ans après la création de l’État d’Israël, 10 ans après la mise en lace du processus d’Oslo, les Palestiniens restent aujourd’hui dans leur grande majorité hors des territoires occupés sur une population d’environ 10 millions, seuls près de 4 millions vivent dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie.»
«….depuis leur exode massif provoqué par la création de l’État d’Israël en 1948, l’histoire des Palestiniens s’est déployée dans un espace incluant presque tous les États avoisinants et l’avenir de la question palestinienne semble devoir impliquer de façon inextricable l’ensemble des acteurs régionaux. Pourtant, l’importance sociale, politique et stratégique des populations palestiniennes du Moyen-Orient n’implique pas en soi que les trajectoires des Palestiniens d’Amérique latine soient négligeables.»
«Qu’est-ce qu’être Palestinien au Chili ?…….Les migrants arabes et leurs descendants sont nombreux en Amérique latine mais le Chili a ceci de spécifique que plus de 90% des Arabes installés sur son territoire sont d’origine palestinienne alors que dans d’autres pays du sous-continent on rencontre plus fréquemment Syriens et Libanais.»
«L’immigration palestinienne au Chili a débuté à la fin du 19ème siècle…..Le Mouvement s’est poursuivi jusque dans l’entre-deux guerres : 81% des Palestiniens sont arrivés entre 1900 et 1930…..Au moins 60% d’entre eux ont entre 10 et 30 ans à leur arrivée. Issus de zones de forte concentration chrétienne, la plupart sont de confession grecque orthodoxe»
«Les estimations divergent mais oscillent alors entre 5 000 et 8 000 arrivants sur la période 1900-1948. La seconde vague remonte à la création de l’État d’Israël (1948) et n’a cessé depuis, même si de manière plus sporadique. Les évènements affectant la Cisjordanie continuent de jalonner l’histoire migratoire – la guerre des 6 jours (1967), la Première Intifada (1987) puis la Seconde (2000).»
«Les associations affirment aujourd’hui que le Chili est, en dehors des États arabes, le pays où la communauté palestinienne est la plus importante au monde : entre 350 000 et 400 000 Palestiniens et descendants de Palestiniens y seraient résidents.»
«Le partage d’expérience commune passée est-il suffisant pour faire de la somme des Palestiniens et leurs descendants une «communauté» ?»
«Comment s’auto-désignaient les premiers arrivants : arabes, chrétiens, palestiniens ? L’appellation même de «Palestinien» est, on le sait, lourde de sens : les migrants se sont-ils sentis dès les premiers temps concernés et engagés par ce qui se passait dans la Palestine mandataire, puis par le conflit opposant le nouvel État d’Israël aux Palestiniens et aux autres Arabes ?»
«A cette époque, les Amériques sont perçues comme un nouvel Eldorado autant par les Arabes que par les Européens qui viennent massivement s’y installer. Partis de Haïfa ou Beyrouth puis passés par Gènes et Marseille, les plus chanceux et les mieux dotés arrivent aux États-Unis…..Les autres, souvent refoulés au poste migratoire d’Ellis Island, se contentent de l’Amérique latine, en particulier l’Amérique centrale, le Brésil, le Chili et l’Argentine.»
«Qu’en est-il de l’identité chilienne ? L’idée d’une «nation» chilienne est à la fois une condition et un processus en cours de définition depuis l’indépendance (1810). L’élite alors à la tête de l’État est issue de la «nation colonisatrice» et cherche à fonder l’identité chilienne à partir d’un métissage entre Européens et indigènes censé permettre de «blanchir» la population autochtone.»
«Bien que décrié par les pères fondateurs du nationalisme chilien Se réclamer d’une colonia (colonie) assure une fonction de différenciation sociale en permettant de marquer la distance à «l’indigène». Comment peut-on être dès lors «palestinien-chilien ?»
«L’existence d’une vie communautaire européenne a son effet miroir : c’est d’abord elle qui va légitimer dès le début des années 1930 la création de structures arabo-palestiniennes empêchant l’assimilation totale des descendants.»
«On assiste dans les années 1950 à un deuxième essor institutionnel : en 1955 la société palestinienne de rentes et investissements achète un terrain dans le quartier côté de Las Condes (Santiago) et y installe l’Estadio Palestino. La même année, on construit la polyclinique arabe Solomon-Sumar, du nom d’un grand industriel du textile. L’autre espace communautaire est le quartier Patronato à Santiago-Patronato est le quartier historique de la communauté palestinienne du Chili : c’est là que les premières familles installent les boutiques de textile.»
«Ce changement de statut social sera plus tard le moteur de l’intégration ; en 1970, près de 70% des mariages se font avec des non-palestiniens…..Effectivement, la collectivité connaît une ascension sociale vertigineuse. Dans les années 1940, les palestiniens-chiliens accèdent à de hautes fonctions politiques…..La réussite est telle qu’en 1959, un auteur chilien, Enrique Bunster, publie un roman «Un angel para Chili» où il prédit une forte domination des Arabes au Chili.»
«On trouve alors des chiliens d’ascendance arabe dans l’ensemble du paysage politique chilien. De fait, en 1950, on ne compte pas moins de 22 Arabes ou descendants d’Arabes élus locaux, qu’ils soient maires ou conseillers municipaux…..Etre Palestinien devient désirable et c’est bien le statut social qui permettra de compenser l’acculturation en cours.»
«Jusqu’au début des années 1970 les structures communautaires, de leur côté, sont très peu politisées et ne s’investissent nullement en tant qu’institutions…..Vis-à-vis du pays d’origine, les palestiniens-chiliens éprouvent tout au plus une sympathie entretenue par les pratiques communautaires, mais celle-ci ne saurait se transformer en une action militante.»
«Les principaux protagonistes de la «cause arabe» - premier avatar de ce qui sera plus tard la «cause palestinienne» - sont, d’une part, la presse communautaire et, d’autre part, les élites.»
«On doit en effet constater dès les années 1940 que ceux qui accèdent au statut d’élites, en particulier dans le champs politique, activent une loyauté que l’on pourrait qualifier de latente parmi le reste du groupe…..L’observation vaut spécialement pour les personnalités qui ont accédé à des responsabilités politiques de portée internationale.»
«L’expérience des palestiniens-chiliens ayant occupé des fonctions gouvernementales et/ou diplomatiques, dès l’après-guerre et jusqu’au début des années 1960, est à ce titre très frappante….Sur les 51 États membres signataires de la Charte de San Francisco de 1945, 20 sont en effet des pays latino-américains, soir une proportion (40%) tout à fait considérable. En 1956, le sous-continent représente encore un quart de l’Assemblée. Avant que la grande vague de décolonisation n’inaugure la phase de prolifération étatique, la voix des pays d’Amérique latine est par conséquent très prisée.»
«Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale adopte la Résolution 181 par 33 voix pour, 13 voix contre et 10 abstentions ; le décompte pour l’Amérique latine fait état de 13 votes favorables, une opposition (Cuba) et 6 abstentions (Argentine, Chili, Colombie, Salvador, Honduras et Mexique). Edward Glick s’est intéressé aux conditions du vote sud-américain et a fourni d’intéressants résultats : selon lui, la position de ces États ne saurait être imputé à la campagne menée par les agences sionistes appuyées par l’administration américaine dans la région pour gagner des soutiens……Dans le cas des votes défavorables à la création d’Israël, l’auteur se réfère en particulier aux liens directs ou indirects des diplomates avec la communauté arabe…..La loyauté des élites palestiniennes du Chili a donc très rapidement été mise à l’épreuve, et ce à un moment crucial pour le destin des Palestiniens. La position chilienne en 1947 est historique et fait figure de référence pour la collectivité.»
«L’investissement des palestiniens-chiliens dans la politique étrangère émeut jusqu’à la France, alors concernée par les velléités indépendantistes des pays du Maghreb et préoccupée par l’accession au pouvoir de Nasser en Egypte (1953).»
«La thèse dominante affirme qu’une identité palestinienne autonome ne se serait construite et affirmée qu’après 1948 et surtout depuis les années 60 avec la création du mouvement de libération nationale. Avant 1948, aurait primée une «identité-terroir».
«Comment se définissaient les gens de la génération arrivée au début du siècle ? S’identifiaient-ils à une appartenance nationale (palestinienne), religieuse (chrétienne), locale (région de Bethléem) ou encore ethnique ‘arabe) ?»
«La relation observée au Chili entre «palestinité» et «arabité» est plus complexe. A première vue, les collectivités s’organisent aussi bien au sein d’entités «arabes» que «palestiniennes»…….De fait, il est assez surprenant de constater que les Syriens ont souvent été à l’origine de création d’entités panarabes….Il reste que les entités panarabes n’empêchent pas la coexistence, dès les années 30, de deux clubs séparés, le Club Palestino et le Club Sirio. Force est de constater que la communautarisation des Palestiniens a été très tôt jalouse de son indépendance.»
«A l’hypothèse selon laquelle les migrants arrivés au Chili s’identifieraient à la Palestine dès leur arrivée, il faudrait peut-être ajouter que certains canaux de diffusion semblent avoir permis aux collectivités palestiniennes d’Amérique latine d’être au fait de l’éveil politique nationaliste des années 1920-1930.»
«De plus, les contacts sont à cette époque encore étroits avec les familles d’origine et certains leaders du mouvement nationaliste tentent de sensibiliser à le lutte nationale ceux qui ont émigré.»
«Le trait et tout aussi singulier si on compare la situation des Palestiniens du Chili à celle des Palestiniens des États-Unis : il est surprenant de constater que jusqu’à présent le concept qui prédomine là-bas et celui de Arab-Americain. La dénomination de Palestinian-American est très rare et en tout cas postérieure à 1967. L’un des facteurs décisifs est sans doute la bien plus grande diversité de la population arabe des États-Unis : Yéménites, Irakiens, Palestiniens, Libanais, Syriens et d’autres encore composant ensemble la collectivité…..Il faut également noter sue l’éveil politique des communautés arabo-palestiniennes des États-Unis semble exclusivement consécutif à 1967…..»