19 janvier, 2007

PLUS RIEN NE PEUT L'ARRÊTER BARRICK GOLD CORPORATION

La compagnie canadienne Barrick Gold Corporation, parmi les premières productrices d'or au monde, peut commencer à construire sa mine à ciel ouvert, à la frontière entre le Chili et l'Argentine. Située à plus de 4 000 mètres d'altitude en pleine cordillère des Andes, Pascua-Lama devrait produire à partir de 2010, pour une vingtaine d'années. L'investissement est lourd ­ 1,5 milliard de dollars ­, mais la mine promet de rapporter gros : 700 000 onces d'or (une once pèse 28,349 grammes) et 18 millions d'onces d'argent par an. Le 6 décembre dernier, l'Argentine a approuvé le projet. Au Chili, l'accord a été donné le 15 février par la Corema, l'organisme régional chargé de veiller à la protection de l'environnement. Avec une condition majeure à la clé : la compagnie n'a pas droit de toucher aux glaciers. Le fonctionnement de la mine ne doit pas même les affecter.

Culture. Car c'est là le hic de l'histoire, devenue emblématique au Chili de l'opposition citoyenne aux grandes compagnies (1). Une partie du gisement d'or se trouve sous 20 hectares de glaciers. Qu'à cela ne tienne, disait l'entreprise il y a encore un an, il suffit de les découper et de les amener par camion vers un autre glacier auquel ils finiront par s'agréger. Une explication qui n'a pas convaincu la Corema. Sous la pression des écologistes et d'une petite partie des 70 000 habitants de la vallée de Huasco, elle s'oppose au projet.



Aux portes du désert d'Atacama, le plus aride au monde, leur magnifique vallée forme un sillon verdoyant, baignée de rivières, entre des montagnes pelées par la sécheresse. Elle prend naissance dans la cordillère et ses ressources hydrauliques dépendent en partie des glaciers qui gênent Barrick. S'ils venaient à fondre, l'eau diminuerait dans la vallée. Un bien précieux d'autant que 13 % des habitants vivent de l'agriculture, principalement de l'olive et du raisin. Dans la vallée depuis l'ère précolombienne, la communauté des Indiens Diaguitas survit grâce à l'élevage et à l'agriculture de subsistance. Eux aussi craignent la destruction de leur lieu de vie, à la disparition de leur culture.
Afin de respecter la clause de la Corema, Barrick s'est donc engagé «à ne pas extraire un million d'onces d'or se trouvant à proximité des champs de glace», selon Vincent Borg, chargé de presse de la compagnie. «Insuffisant, tranche Lucio Cuenca, directeur de l'association environnementale Olca. L'entreprise utilisera 82 tonnes d'explosifs par jour. Ajouté au mouvement des machines, cela signifie 13 à 15 tonnes de poussière émise quotidiennement dans l'atmosphère. Or un glacier couvert de poussière fond.»


Poussière. Depuis 1981, date à laquelle les prospections minières ont commencé sur les glaciers, 50 % à 70 % des plus petits ont disparu. La faute à qui ? Aux «changements climatiques», selon Barrick; «à Barrick», selon la Direction générale des eaux chilienne (DGA). L'organisme dépendant du ministère des Travaux publics a estimé que la fonte était due à la poussière générée par l'entreprise, recouvrant en partie les glaciers, et à la route construite par Barrick à même les glaciers. «Mais désormais, rassure Rodrigo Weisner, directeur de la DGA, si de la poussière s'élève à nouveau, Barrick doit prendre des mesures, et c'est ici qu'intervient l'Etat, afin de contrôler que les mesures soient bien prises.»


Or au Chili le contrôle de l'Etat sur les activités industrielles est rare. «Sur 5 534 projets approuvés entre 1990 et 2004 par l'instance nationale de protection l'environnement, 71 % n'ont pas été contrôlés une seule fois», souligne Paola Vasconi de la fondation environnementale Terram. Autrement dit, les Chiliens craignent que Barrick, malgré son slogan d'«entreprise minière responsable», ne fasse au final que ce que bon lui semble.



Catastrophe. Autre préoccupation : l'acidification des eaux. Les tonnes de roche sans valeur seront déversées à la naissance de la rivière Estrecho, qui alimente en partie la vallée. Or la roche une fois brisée libère les produits chimiques qu'elle renferme naturellement : arsenic, mercure, plomb... «S'ils atteignent l'eau de la vallée, on risque une catastrophe sanitaire», alerte Lucio Cuenca. «Certains habitants n'ont pas l'eau courante, ils se servent directement dans la rivière.» Barrick a promis une usine de traitement de l'eau et un canal de déviation pour la rivière.

Une grande partie des habitants de la vallée, notamment les maires, sont en faveur de Pascua-Lama : ce sont 5 500 emplois au cours de la construction et 1 600 en phase productive dans une région fortement touchée par le chômage (jusqu'à 17 %). L'entreprise a déjà reçu 60 000 CV de tout le Chili. «Il est donc peu probable que la vallée de Huasco profite de tous les emplois», remarque Lucio Cuenca. Autre bénéfice attendu pour le pays : les recettes fiscales. Or, l'autre mine de Barrick au Chili, El Indio, n'a pratiquement pas versé d'impôt en dix ans d'activité (2). Et Pascua-Lama sera encore plus difficile à fiscaliser, la mine étant binationale.


(1) L'opposition au projet est moins importante du côté argentin.
(2) La loi chilienne permet aux multinationales, par des jeux de passe-passe juridiques, d'éviter les impôts.


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