Chez elle, au port de Valparaiso, la Dame blanche trône toujours au milieu de ses hommes : les navires de guerre...
L’Esmeralda est un magnifique voilier quatre mâts, navire-école de la marine chilienne. Une merveille. Une fierté. Mais lors du renversement du gouvernement Allende, le 11 septembre 1973, des dizaines de personnes y ont subi viols et torture.
Le Côté obscur de la Dame blanche, charge politique et sociale, suit la quête de justice des victimes, dont l’ancien maire de Valparaiso, Sergio Vuskovic Rojo, nommé par Salvador Allende.
L’Esmeralda, surnommée la Dame blanche, offre au réalisateur montréalais Patricio Henriquez le symbole parfait des contradictions de l’homme, capable de bâtir des joyaux et d’y agir en animal. Elle lui permet de donner une portée universelle à son propos : la sauvagerie n’est pas limitée à la jungle ou aux fonds de ruelle.
La torture s’est pratiquée ailleurs au Chili et dans le monde, mais les torts perpétrés à bord de l’Esmeralda sont emblèmes, sans doute parce que ce navire est toujours en service. Il continue de représenter la grandeur et le passé du mince pays sud-américain.
Produit par l’Office national du film du Canada, Le Côté obscur de la Dame blanche est une œuvre bien ficelée. Elle émeut sans sombrer dans le pathos.
Mais elle laisse un petit goût amer d’inachevé. Un narrateur aurait sans doute permis de transmettre davantage d’information — par exemple sur l’histoire du Chili — tout en donnant plus de vie à l’ensemble, qui perd un peu de sa cadence à mi-parcours. Il faut quand même reconnaître que le réalisateur sait faire parler ses images, magnifiques d’ailleurs.
Chilien, Patricio Henriquez habite Montréal depuis le soulèvement. Il n’est donc pas un artisan en mission commandée. Son intérêt et sa position sur cette histoire sont palpables, mais il s’efforce malgré tout de donner une voix à ceux qui assurent que le sang n’a pas coulé à bord de l’Esmeralda.
La sortie en salles de ce documentaire arrive à point, quelques semaines seulement après le décès d’Augusto Pinochet, qui a pris le pouvoir en 1973. Son cri s’ajoute à ceux, nombreux, qui réclament justice pour les horreurs commises par le défunt dictateur.
Le Chili est encore divisé. Les réactions à la mort de Pinochet l’ont bien illustré. Ce film le fait aussi : les manifestants encaissent plusieurs invectives de leurs compatriotes.
Comme quoi, pour certains Chiliens, il ne faut pas s’attaquer à la Dame blanche. Même si seul le symbole est visé.
Jean-Nicolas Patoine Le Soleil