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| LE SECRÉTAIRE À LA DÉFENSE AMÉRICAIN, PETE HEGSETH, À LA MAISON BLANCHE, À WASHINGTON, LE 2 DÉCEMBRE 2025. PHOTO JULIA DEMAREE NIKHINSONAP |
INTERNATIONAL / ÉTATS-UNIS : Au Pentagone, Pete Hegseth dans la tourmente, des accusations d’assassinats extrajudiciaires au « Signalgate » / Le secrétaire à la défense américain est mis en cause par le Congrès pour les frappes contre les bateaux soupçonnés de trafic de drogue dans les Caraïbes et accusé par l’inspection générale de l’administration qu’il dirige d’avoir « créé un risque à la sécurité opérationnelle » en utilisant la messagerie Signal en avril.
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Le Monde
Par Piotr Smolar (Washington, correspondant) Publié hier à 05h05, modifié hier à 09h20 Temps de Lecture 4 min. 
22 ATTAQUES AMÉRICAINES DANS LES
CARAÏBES ET LE PACIFIQUE DEPUIS
SEPTEMBRE DERNIER, FAISANT AU
MOINS 87 MORTS. PHOTO SOUTHCOM
dans le recrutement opéré par le président américain, Donald Trump, le choix de Pete Hegseth pour diriger le Pentagone était l’un des plus controversés. Moins d’un an plus tard, l’ancien présentateur de Fox News se trouve dans la tourmente. C’est au Congrès que la colère monte contre lui, à titre individuel et en raison de la campagne militaire en cours dans les Caraïbes. Une procédure de destitution pourrait être lancée par les démocrates, avec de faibles chances de réussite.
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| LA CANDIDATE COMMUNISTE JEANNETTE JARA PHOTO PABLO SANHUEZA |
► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR
La commission des forces armées de la Chambre des représentants et celle du Sénat se penchent sur les circonstances des frappes conduites le 2 septembre contre une embarcation censée transporter de la drogue. Après une première salve fracassant le bateau, une autre a suivi, alors que deux passagers en détresse étaient à l’eau. Tout en prétendant le soutenir, Pete Hegseth a fait porter la responsabilité opérationnelle ultime sur l’amiral Frank Bradley, chef du commandement des opérations spéciales, entendu au Congrès jeudi 4 décembre.
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| ILLUSTRATION DANS JACOBIN N° 11, |
D’après des élus présents à son audition à huis clos, Frank Bradley a dit ne pas avoir reçu l’ordre de « tous les tuer ». Le secrétaire à la défense a, quant à lui, déclaré qu’il n’avait pas donné l’ordre à l’amiral Bradley de procéder à une seconde frappe pour achever les hommes à la mer, en violation manifeste du manuel des lois de la guerre. « Je n’ai pas vu personnellement de survivants » après la première frappe, a expliqué Pete Hegseth, évoquant le « brouillard de la guerre ».
De nombreux élus, y compris républicains, ne sont absolument pas satisfaits de ces explications. « Il n’y a pas besoin d’avoir servi dans l’armée pour comprendre que ce fut une violation du code éthique, moral et juridique », a résumé le sénateur républicain Thom Tillis (Caroline du Nord). La morgue de Pete Hegseth et son mépris pour le contrôle parlementaire n’ont fait qu’exacerber la frustration des élus.
Si l’attention médiatique s’est portée sur les détails de cette journée, c’est l’ensemble de la campagne menée depuis qui pose problème. Les Etats-Unis semblent se soustraire au droit international humanitaire et à tout cadre légal. A ce jour, 22 frappes ont été conduites, tuant 87 personnes selon le Pentagone. Une nouvelle attaque, menée jeudi, a fait 4 morts, a annoncé l’armée américaine sur X. Aucune preuve n’a été fournie sur la présence à bord de chargements de drogue. Seules des images partielles, prises par drone, ont été diffusées.
Militarisation de la lutte antidrogue
Il est difficile de parler de crimes de guerre, car aucune guerre n’a été déclarée formellement, par le truchement du Congrès. Les cartels de la drogue mexicains et les groupes criminels Tren de Aragua (Venezuela) et MS-13 (Salvador) ont été classés, pour la première fois, comme organisations terroristes étrangères par l’administration. Fin octobre, Stephen Miller, chef adjoint de l’administration présidentielle, les qualifiait d’« État islamique de l’hémisphère occidental ». Mais cette surenchère verbale et la militarisation de la lutte antidrogue n’offrent pas de base indiscutable aux frappes. Au sein même du Pentagone, pourtant soumis à une purge sans précédent parmi les hauts gradés, des désaccords apparaissent. Le Wall Street Journal expliquait, mercredi 3 décembre, que l’amiral Alvin Holsey, chargé des opérations dans les Caraïbes, avait été contraint à la retraite anticipée par Pete Hegseth en octobre après des mois de tension, qui ont culminé début septembre.
Comme le soulignent de nombreux experts juridiques, tel Ryan Goodman, professeur à la faculté de droit de l’université de New York, il est légitime d’évoquer des assassinats extrajudiciaires. Selon le New York Times, une note confidentielle du ministère de la justice, censée préciser le cadre de cette lutte antidrogue, désigne les embarcations comme des cibles militaires légitimes parce que le profit de la vente servirait à acheter des armements, destinés à soutenir leur campagne d’empoisonnement de l’Amérique. Une construction intellectuelle précaire. Donald Trump se contente de dire que chaque bateau détruit représente 25 000 vies sauvées.
Fin septembre, lors d’une réunion de tous les hauts gradés, Pete Hegseth avait fustigé les « règles d’engagement stupides » imposées aux soldats. « Nous donnons carte blanche à nos combattants pour intimider, démoraliser, traquer et tuer les ennemis de notre pays. Fini les règles d’engagement politiquement correctes et autoritaires, place au bon sens, à une létalité maximale et à l’autorité des combattants », avait expliqué le secrétaire à la défense.
Lors d’une réunion du cabinet devant les caméras, mardi 2 décembre, autour de Donald Trump, Pete Hegseth a assumé la ligne suivie dans les Caraïbes. « Nous avons juste commencé à frapper les bateaux des narcos et à envoyer au fond de l’océan les narcoterroristes parce qu’ils empoisonnent les Américains, a-t-il assuré. On a connu une sorte de pause car il est difficile de trouver des bateaux à frapper en ce moment, ce qui est l’objectif, n’est-ce pas ? La dissuasion, ça compte, et non pas arrêter, transférer, puis recommencer. »
Négligences
L’autre scandale qui touche Pete Hegseth concerne les suites du « Signalgate ». L’inspection générale du Pentagone – qui est indépendante – a transmis un rapport au Congrès accusant le secrétaire à la défense d’avoir « créé un risque à la sécurité opérationnelle » lors des frappes contre les houthistes au Yémen, en avril. De hauts responsables de l’administration, jusqu’au vice-président, J. D. Vance, avaient échangé à ce sujet dans un groupe privé sur la messagerie Signal. Jeffrey Goldberg, un journaliste de The Atlantic, y avait été associé par inadvertance et avait révélé l’affaire.
Entre deux et quatre heures avant leur déclenchement, Pete Hegseth avait publié les détails des frappes à venir, exposant ainsi les forces américaines en cas d’interception de ces échanges, confirme le rapport. « Utiliser un téléphone portable personnel pour conduire des affaires officielles et envoyer des informations non publiques du département de la défense par le biais de Signal risque potentiellement de compromettre des informations sensibles, ce qui pourrait conduire à causer du tort au personnel militaire et aux objectifs de la mission », résume le rapport.
L’inspection générale estime que le secrétaire à la défense – qui a refusé de se soumettre à une audition – a l’autorité nécessaire pour déclassifier des informations. Mais il n’a nullement suivi la procédure habituelle. La négligence des participants, et particulièrement de l’ancien présentateur de Fox News, dans leurs échanges sur une messagerie privée de type Signal, a provoqué la stupeur des hauts responsables militaires, mais aussi des alliés des Etats-Unis, s’interrogeant sur le partage du renseignement. Contrairement aux règles en vigueur, Pete Hegseth n’a pas conservé l’intégralité de ses échanges sur une question officielle.
Piotr Smolar (Washington, correspondant)
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