Paul Schäfer et la «Colonia Dignidad» : réminiscences nazies au pays de Pinochet (Mémoire brute) Paulus, Julien n°42, octobre-décembre 2007
«S’il ne fut pas un nazi de premier plan, l’admiration pour le nazisme de cet officier et ambulancier dans la Wehrmacht pendant la Deuxième guerre semble bien avérée par la discipline imposée à la Colonia : culte de la rédemption par le travail (“Arbeit macht frei”), mépris des femmes, enfants séparés des parents, langue de bois, uniforme obligatoire, etc., le tout imprégné d’un protestantisme baptiste intégriste. (1) » Le portrait ainsi dressé par Cécile Rolin est celui de Paul Schäfer, fondateur et gourou d’une espèce d’enclave «germanoaryenne » nichée en plein coeur du Chili : la Colonia Dignidad. Créée en 1962, cette « colonie » allemande forte de 300 « colons » évolua en quasi autarcie et fut dirigée d’une main de fer par son Führer local. Présentée comme une société de bienfaisance, cette secte, véritable Etat dans l’Etat, fut surtout, jusque dans les années 90, le théâtre de pratiques odieuses de la part de ses chefs et constitua, de surcroît, une « base arrière » efficace de la dictature sanglante d’Augusto Pinochet.
C’est en 1961 que Paul Schäfer, ex-caporal et brancardier de la Wehrmacht devenu pasteur luthérien, s’exile au Chili suite à des accusations de pédophilie portées contre lui par d’anciens pensionnaires de l’établissement pour orphelins de guerre qu’il avait fondé en Bavière. Rejoint par quelques dizaines de compatriotes « adeptes » du pasteur, Schäfer fonde avec l’aide de l’Etat chilien qui lui octroie des terres la « Société de bienfaisance et d’éducation Dignidad » ou « Colonia Dignidad » qui a pour but de venir en aide aux populations déshéritées de la région. Présentée comme une association caritative (et, de ce fait, non soumise à l’impôt), la Colonia deviendra bientôt un véritable camp retranché de 15.000 hectares, cerné de barbelés et soumis à l’autorité délirante de son chef et à ses pulsions sexuelles déviantes. Elle constituera également un refuge pour nombre d’anciens nazis en fuite (2).
En septembre 1973, Schäfer s’attire l’amitié de Pinochet en soutenant son coup d’Etat militaire contre le président Allende. Les activités de la Colonia bénéficieront désormais de la protection du dictateur. En échange, celle-ci devient un lieu de rassemblement et de torture de militants de gauche et d’opposants à la dictature. Schäfer, qui se fait désormais appeler « El Tío permanente » (« l’Oncle permanent »), met son enclave et le savoir-faire de certains anciens «spécialistes » de la répression parmi ses pairs à disposition de la DINA (service secret chilien). Un vaste réseau de souterrains est créé où l’on installe salles de torture, dépôts d’armes de guerre, laboratoires de recherches chimiques et bactériologiques, matériel de renseignement. Les années de la junte militaire sont les plus fastes pour la Colonia qui ne cesse de se développer et affiche une santé économique florissante. Pinochet et son épouse sont régulièrement conviés à passer quelques jours de vacances au sein de l’enclave allemande, de même que Manuel Contreras, le chef de la DINA.
Ce n’est qu’au début des années 90, avec le retour de la démocratie parlementaire, que l’Etat chilien commence à s’intéresser à cette étrange colonie. En 1991, la Colonia perd son statut de société de bienfaisance et se rebaptise « Villa Baviera ». En 1997, suite aux témoignages d’anciennes victimes, Paul Schäfer est accusé de pédophilie et fuit le Chili. Condamné par contumace pour viol sur mineurs et accusé de tortures à l’encontre d’opposants disparus sous la dictature de Pinochet, il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international. Finalement arrêté le 10 mars 2005, à Buenos Aires, en Argentine, il sera extradé trois jours plus tard et purge actuellement une peine de 20 ans de prison.
Au total, vingt-deux responsables de la Colonia Dignidad furent condamnés pour abus sexuels sur vingt-sept enfants de paysans pauvres des environs. Paul Schäfer, quant à lui, n’a toujours pas été jugé pour son rôle dans la disparition et les tortures d’opposants politiques à la junte militaire. Il est également à noter qu’à ce jour cette colonie allemande n’a pas été démantelée et qu’elle continue son existence autarcique au coeur du Chili démocratique.
Notes :
- ROLIN, Cécile, « Les indignités d’une ferme “modèle” » in Libertés ! Le mensuel d’Amnesty International, n° 417, octobre 2005, p. 3 ; le présent article s’en inspire largement.
- Le médecin nazi Josef Mengele y aurait séjourné, ainsi que le colonel SS Walter Rauff, inventeur des « camions à gaz » destinés à asphyxier les prisonniers juifs.
Pour en savoir plus : PLOQUIN, Frédéric et POBLETE, Maria, La colonie du docteur Schaefer, une secte nazie au pays de Pinochet, Paris, Fayard, 2004.