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JOSETTE AUDIN, DURANT LA REMISE DU PRIX DE MATHÉMATIQUE AUDIN À PARIS, LE 21 JUIN 2007. MILITANTE COMMUNISTE ET ANTI-COLONIALISTE, ELLE AURA PASSÉ SA VIE À SE BATTRE POUR FAIRE RECONNAÎTRE LA RESPONSABILITÉ DE L’ETAT FRANÇAIS DANS LA MORT DE SON MARI, MAURICE AUDIN. ELLE EST MORTE LE SAMEDI 2 FÉVRIER 2019. PHOTO THOMAS COEX / AFP |
Elle avait consacré son existence à ce que la vérité soit faite sur l’assassinat de son mari et la pratique de la torture pendant la guerre d’Algérie. Josette Audin est décédée samedi matin à l’âge de 87 ans.
MAURICE ET JOSETTE AUDIN |
Une grande dame s’est éteinte. Josette Audin est décédée samedi à l’âge de 87 ans, emportant avec elle l’histoire intime de la grande Histoire, celle qu’elle aura contribué à écrire par sa persévérance et son courage. Nous n’oublierons pas son merveilleux sourire, le 13 septembre dernier, lorsque le président de la République est venu chez elle lui demander pardon, « au nom de la République ». Josette aura vécu ce moment avant de s’en aller. Cette reconnaissance officielle de l’assassinat de Maurice Audin par l’armée française, elle y a travaillé plus de soixante ans, affrontant les lâchetés politiques et les mensonges de la Grande Muette. Par amour. Mais aussi pour tous les Algériens victimes de la torture. Car si sa vie a été indissociablement liée au nom de son mari, Josette Audin était une militante communiste, anticolonialiste, dont l’engagement ne s’est jamais affadi. Ces derniers mois, en dépit de la maladie, elle trouvait la force d’être là où son combat devait la mener. Le 12 décembre, elle était au premier rang de l’amphithéâtre de l’Institut Poincaré, pour la cérémonie de remise du prix de mathématiques Maurice-Audin. Le 14 septembre, elle avait tenu à venir à la Fête de l’Humanité, pour partager avec les siens la formidable victoire politique de la reconnaissance, la veille, du crime d’État par Emmanuel Macron. Le public de la Fête le lui avait bien rendu, par un de ces instants magiques où l’émotion n’a plus besoin de mots. À l’Agora, sa frêle silhouette avait soulevé l’admiration et le respect d’un public qui a partagé son engagement pendant toutes ces années. Celui qui a permis que le nom de Maurice Audin ne tombe pas dans l’oubli.
Le 11 juin 1957, un commando de parachutistes l’arrache au bonheur
JOSETTE AUDIN, VEUVE DU MATHÉMATICIEN MAURICE AUDIN PHOTO ARNAUD DUMONTIER |
Josette Audin n’a jamais renoncé, ne s’est jamais résignée
« Mon mari s’appelait Maurice Audin. Pour moi il s’appelle toujours ainsi, au présent, puisqu’il reste entre la vie et la mort qui ne m’a jamais été signifiée », écrivait-elle en 2007 dans un courrier adressé à Nicolas Sarkozy, publié dans nos colonnes, resté lettre morte. Inflexible, pendant plus de soixante ans, Josette n’a jamais renoncé à sa quête de vérité. Dès le 4 juillet 1957, elle porte plainte contre X pour homicide volontaire. La famille de Maurice Audin est la seule à l’épauler dans ces semaines pénibles, où les soutiens se font rares. Les collègues de la faculté ne se précipitent pas pour l’aider. Quant aux camarades, « c’était trop dangereux pour eux de me contacter ». L’instruction de l’affaire, commencée en juillet 1957 à Alger, est transférée à Rennes en 1960. Deux ans plus tard, un premier non-lieu sera prononcé pour « insuffisance de charges ». Mais Josette Audin ne baisse pas les bras. C’est une battante, une militante. Elle décide de rester vivre en Algérie et, après l’indépendance, elle fait le choix de devenir fonctionnaire algérienne, quitte à perdre beaucoup de salaire. Ce n’est qu’à l’été 1966, après le coup d’État de Boumédiène, qu’elle se résout à partir en France, pour protéger sa famille. « On a annoncé à tout le monde, aux voisins, qu’on allait passer l’été dans le sud de l’Algérie. Ma mère avait tout organisé. On a atterri pour une autre vie à Étampes », raconte Pierre Audin, son plus jeune fils, lui aussi mathématicien. « Pas de chance, le proviseur du lycée où ma mère enseignait était au FN. Donc on est partis vivre à Argenteuil… » Quelques semaines après son arrivée en France, en décembre 1966, la Cour de cassation déclare l’affaire « éteinte ». Mais les plaies sont toujours ouvertes. « Ma mère n’en parlait jamais. C’était son jardin secret, et on l’a respecté, confie Pierre Audin. Il y avait son portrait partout, je me doutais que c’était un héros, mais je ne savais pas pourquoi. Un jour, je suis tombé sur un livre dans la bibliothèque, intitulé l’Affaire Audin… »
La reconnaissance par Macron, une victoire personnelle et politique
JEUDI 13 SEPTEMBRE 2018, LE CHEF DE L’ÉTAT S’EST DÉPLACÉ AU DOMICILE DE JOSETTE AUDIN, 87 ANS, VEUVE DE MAURICE AUDIN, POUR LUI DEMANDER « PARDON ». PHOTO L'HUMANITÉ |
Le 13 septembre dernier, dans le salon de Josette, où Maurice Audin est partout, éternel jeune homme de 25 ans immortalisé par des clichés posés sur les étagères du salon, une page d’histoire s’est écrite. Un dialogue entre Emmanuel Macron et Josette Audin en dit long : « Je vous remercie sincèrement », lui dit-elle. « C’est à moi de vous demander pardon, donc vous ne me dites rien. On restaure un peu de ce qui devait être fait », répond Emmanuel Macron. « Oui, enfin, je vous remercie quand même ! » lui rétorque Josette Audin d’un air malicieux. Le président : « Je vois que l’indiscipline continue »… L’insoumission, l’indocilité plutôt. Le combat de Josette Audin, exemplaire, lui survivra. Nous y veillerons. Pendant soixante ans, nos colonnes ont tenté de l’accompagner dans son juste combat. C’est dire si les équipes de l’Humanité ont du chagrin aujourd’hui. À ses enfants, Michèle et Pierre, ses petits-enfants, et toute sa famille, elle adresse ses condoléances les plus chaleureuses.