17 février, 2021

MORT DE CARLOS MENEM, LE FOSSOYEUR DE L’ARGENTINE

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ] 

PHOTO CHARLY DIAZ AZCUE 

Enterré lundi à Buenos Aires avec les honneurs militaires, l’ex-président argentin a mis en place les politiques économiques responsables de la faillite du pays.

par Marc de Miramon 

PHOTO LAURA RAUCH

« Je suis celui qui aura dit non au déclin de l’Argentine », lançait Carlos Menem en 1990, quelques mois après son arrivée aux affaires. L’Internationale libérale le regarde alors avec des yeux de Chimène, tant il incarne, dix ans après l’élection de Reagan aux États-Unis et celle de Margaret Thatcher au Royaume-Uni, l’espoir de rallier les classes laborieuses au dogme de l’enrichissement personnel et de la « théorie du ruissellement ».

Dans les colonnes du Figaro Magazine, le 9 juin 1990, l’essayiste thatchérien Guy Sorman résume les attentes envers un homme qui vient de trahir le camp péroniste, auquel il se vante pourtant d’appartenir : «Les entreprises publiques inefficaces, comme partout, et une gigantesque bureaucratie saignent le pays. Sur ce secteur public s’est greffé un syndicat unique, la CGT, légèrement (sic) maffieux, capable de paralyser le pays à tout moment », écrit-il, avant de saluer la volonté de Menem à mener ses « réformes », qu’il qualifie de « révolutionnaires ». « Plus inattendu encore, ajoute l’essayiste, (il) a décidé de rallier ses adversaires libéraux et d’appliquer leur programme. Menem n’appelle pas cela le libéralisme, mais “l’économie populaire de marché”. La solution ? Privatiser ! »

Il a presque tout privatisé, tout vendu

Six ans plus tard, en octobre 1996, le « péroniste ultralibéral » qui n’a jamais perdu une élection savoure son deuxième mandat, qui commence pourtant sous la pression de la rue. Fidèle à ses promesses, il a presque tout privatisé, tout vendu. L’hyperinflation a reculé mais les syndicats, à qui Menem annonce que « 2 000 grèves ne changeront pas notre politique économique », contestent ses potions amères alors que le chômage grimpe en flèche (18 %) et que le consensus national s’effrite.

Né dans une famille d’émigrés syriens – il a été enterré lundi, selon le rite musulman –, Menem impose un style flamboyant de jet-setteur, multiplie les frasques sentimentales et pose à moitié nu dans ses luxueux appartements, pendant que se rapprochent les concerts de casseroles. Le « bon vivant » vante «l’érotisme du pouvoir » mais le « miracle argentin », celui de la parité dollar-peso, n’a duré que le temps du pillage du pays. Il est détesté par la classe moyenne, lâché par les couches populaires pour ses trahisons envers la base péroniste, sa présidence est rythmée par les scandales de corruption, la ruine de l’industrie nationale et la casse sociale.

Les théorèmes de « l’École de Chicago »

À la fin de son deuxième mandat, le déficit atteint 6 milliards de dollars et la pauvreté a gagné le tiers de la population argentine. Mais le Fonds monétaire international soutient avec enthousiasme sa politique de nationalisation des pertes et de privatisation des bénéfices, tandis que les États-Unis et le Royaume-Uni, redevenus des partenaires de premier plan, applaudissent de concert à l’application des théorèmes de « l’École de Chicago », vingt ans après le laboratoire chilien de Pinochet.

Exsangue – la dette extérieure étant passée de 54 milliards de dollars à 130 milliards –, l’Argentine va exploser en 2001, deux ans après le passage de témoin de Carlos Menem à Fernando de la Rua. Intégralement soumis aux caprices des marchés, le pays sombre lorsque les vautours quittent massivement une économie insolvable, alors que les épargnants se voient interdits de retraits bancaires supérieurs à 250 pesos par semaine. Devenu sénateur, Carlos Menem espère pourtant toujours revenir aux affaires mais son statut de parlementaire lui évitera surtout la prison en 2015. Après une condamnation pour « détournement de fonds ».

 [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ] 

DESSIN SERGIO LANGER

SUR LE MÊME SUJET :