09 février, 2021

PRÉSIDENTIELLE. SÉISME EN ÉQUATEUR, L’ÉCOLOGISTE ET INDIGÈNE YAKU PÉREZ FACE À ANDRÉS ARAUZ AU SECOND TOUR

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PHOTO  SANTIAGO ARCOS / REUTERS

Le second tour de la présidentielle opposera, le 11 avril, l’économiste Andrés Arauz, soutenu par l’ex-président socialiste Rafael Correa, à l’écologiste Yaku Pérez, appuyé par une partie du mouvement indigène. Le banquier Guillermo Lasso, représentant d’une droite ultralibérale et conservatrice, est disqualifié.

par Rosa Moussaoui

Jusqu’à la clôture des urnes, tous les sondages prédisaient, pour le second tour de l’élection présidentielle, un duel classique opposant le jeune économiste Andrés Arauz, soutenu par l’ex-président socialiste Rafael Correa, au banquier Guillermo Lasso, représentant d’une droite ultralibérale et conservatrice, membre de l’Opus Dei. L’Équateur a finalement connu, dimanche soir, un séisme politique, avec la qualification de justesse du candidat écologiste Yaku Pérez, appuyé par une bonne partie des troupes de l’influente Confédération des nationalités indigènes d’Équateur (Conaie), fer de lance du soulèvement d’octobre 2019 contre le pacte d’austérité conclu entre le FMI et le président Lenin Moreno.

Guillermo Lasso faisait déjà ses calculs

Avec près de 98 % des procès-verbaux compilés, lundi matin, Andrés Arauz se plaçait en tête du scrutin, avec 32,2 % des suffrages, suivi de Yaku Pérez (19,8 %), au coude à coude avec Guillermo Lasso (19,6 %). Fait inattendu, le social-démocrate Xavier Hervas, candidat de la Gauche démocratique, réalise une nette percée, avec 16,02 % des voix. Drôle d’équation électorale, qui pourrait bien donner lieu à des contestations et des recours comme à des marchandages interlopes : dès dimanche soir, en jurant, depuis Guayaquil, la capitale économique, de ne reconnaître les résultats que sur la base de 100 % des bulletins comptabilisés, Guillermo Lasso, candidat pour la troisième fois, faisait déjà ses calculs : « Je félicite les 65 % des électeurs équatoriens opposés au retour du modèle totalitaire et populiste qui a échoué partout où il s’est appliqué, à commencer par le Venezuela », a-t-il lancé, dans un appel clair à constituer, au second tour, un large front « anticorréiste ». Il avait déjà promis, à la veille du scrutin, d’appeler à voter pour Yaku Pérez, « une personne précieuse », si celui-ci devait accéder au second tour.

Yaku Pérez fédére son camp et séduit un nouvel électorat 

YAKU PEREZ, "L'ÉCO-SOCIALISME
INDIGÉNISTE" AU SERVICE DE LA CIA

En dépit des conflits et rivalités traversant la Conaie et malgré la pauvreté programmatique de sa campagne, le candidat écologiste est parvenu à fédérer son camp, tout en séduisant un électorat jeune, urbain, sensible aux questions environnementales et aux défis posés par le changement climatique, qui fait déjà sentir ses désastreux effets dans les Andes – fonte des glaciers tropicaux, assèchement de sources et de lacs d’altitude. Avec des mots durs pour les choix extractivistes de l’ère Correa, qui entretenait des relations très conflictuelles avec les communautés indigènes opposées aux projets pétroliers et miniers, il promet, sans revenir sur les concessions existantes, de geler la frontière de l’exploitation minière et pétrolière.

« Ce n’est pas un hasard s’il réalise ses meilleurs scores dans la sierra équatorienne et en Amazonie, remarque Cecilia Velasquez, la coordinatrice de son parti, Pachakutik. Notre lutte, notre projet politique, le cheminement du mouvement indigène consistent à défendre notre grande maison, la mère nature, la Pachamama. C’est pourquoi nous nous opposons à l’exploitation minière et pétrolière là où elle menace de polluer les eaux, les zones humides. La Constitution nous offre un point d’appui : elle prévoit la consultation des populations sur tout projet d’exploitation minière. Les contrats qui ne respectent pas de strictes conditions quant à la protection de l’environnement doivent être révisés. »

«  Le patron nous a demandé de voter pour Lasso et de lui envoyer la photo du bulletin de vote, sous peine d’être licencié.» LUIS QUILUMBAQIN, 35 ANS

Le spectre politique d’un pays clivé

Dans les quartiers populaires du sud de Quito, dimanche, c’est plutôt la question sociale qui préoccupait les électeurs, dans les files d’attente chaotiques formées aux abords des bureaux de vote. À Quitumbe, entre un échangeur de béton survolé, à basse altitude, par un hélicoptère militaire et des bus bleus filant à toute allure sans égard pour la foule débordant sur le béton, Alexander Villa, 22 ans, soulagé de s’être extirpé de cette cohue, se félicitait de son vote pour Xavier Hervas, sûr de sa détermination à remédier aux « déficiences du système éducatif ». Luis Quilumbaqin, 35 ans, témoignait des pressions endurées au travail : « Le patron nous a demandé de voter pour Lasso et de lui envoyer la photo du bulletin de vote, sous peine d’être licencié. J’ai coché le mien au crayon papier, envoyé la photo, puis gommé ce vote. Les gens d’argent veulent manipuler le scrutin, en profitant de la peur du chômage. Les riches ont peur du retour des corréistes, qui les obligeaient à payer leurs impôts. »

«  Arauz défend le même projet politique. Mais ils feront tout pour l’empêcher de gagner, quitte à faire voter les morts.» CARMEN, 26 ANS

Aux confins méridionaux de la capitale, dans la cour d’une école de Nueva Aurora aux entrées gardées par des policiers et des soldats, Carmen, 26 ans, piétinait sous un soleil de plomb à l’entrée de son bureau de vote, en espérant « que ces élections apportent le changement ». « Ce gouvernement n’a rien fait pour le peuple. Nous n’avons plus un sou en poche. Rafael Correa, lui, se préoccupait de nous. Il a beaucoup fait pour les pauvres, pour leur accès au travail, à la santé, à l’éducation. Arauz défend le même projet politique. Mais ils feront tout pour l’empêcher de gagner, quitte à faire voter les morts », nous expliquait-elle, la voix couverte par un haut-parleur exhortant les électeurs à se tenir éloignés les uns des autres.

« De quoi vivra un pays comme le nôtre, si on ferme les mines et les champs pétroliers ?» DAVID CANDO, ÉLECTEUR DE LASSO

À l’autre bout de la ville et du spectre politique, David Cando, un habitant de la vieille ville coloniale, électeur de Lasso, redoute la victoire d’Andrés Arauz, « une marionnette de Correa, qui a divisé le pays, démoli ses institutions, couvert la corruption ». Il juge les options écologistes de Yaku Pérez « trop extrémistes » – « De quoi vivra un pays comme le nôtre, si on ferme les mines et les champs pétroliers ? » –, mais n’hésitera pas à se rallier à lui au second tour, pour barrer la route au candidat socialiste.

Le candidat progressiste et l’héritage du corréisme

Alors que les études d’opinion laissaient présager, dans la dernière semaine de campagne, une possible victoire au premier tour, Arauz a certainement pâti des féroces attaques de ses adversaires, qui l’accusent, pêle-mêle, d’avoir bénéficié des financements d’une guérilla colombienne, d’avoir reçu à Buenos Aires le vaccin contre le Covid-19 – alors qu’il a contracté la maladie après son séjour en Argentine –, d’avoir eu recours à des tests PCR pour son équipe de campagne.

À double tranchant, l’omniprésence de Rafael Correa dans la campagne, depuis son exil en Belgique, a mobilisé la popularité de l’ex-président dans les classes populaires, tout en semant le doute sur l’autonomie et les promesses de renouveau générationnel du candidat progressiste. À la veille du scrutin, la sortie de Correa, très catholique, sur les femmes souhaitant avorter « par hédonisme » en raison de leur « activité sexuelle frénétique » a choqué l’électorat de gauche – même si ni Arauz ni Pérez n’osent s’afficher publiquement en faveur de la légalisation de l’IVG, devant une opinion très conservatrice sur le sujet.

Mais, dans l’entourage du candidat, on veut croire que le bilan du corréisme garantira, dans un pays clivé, la victoire au second tour. « Cette gauche aujourd’hui incarnée par Andrés Arauz a conduit pendant dix ans un pays habitué à voir valser les gouvernements. Elle est synonyme de stabilité politique, de compétence, de progrès, expose l’ancien chef de la diplomatie, Guillaume Long. Nous avons réduit la pauvreté et les inégalités comme jamais auparavant, nous avons doublé le PIB en dix ans. Dans ce contexte de pandémie, de crise économique et sociale terrible, cette expérience est notre atout majeur. »

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