LE CENTRE DE CONGRÈS SANDTON À JOHANNESBURG, OÙ SE DÉROULERA LE SOMMET ENTRE LES PAYS BRIC. PHOTO JAMES OATWAY / REUTERS |
Monde - Afrique du Sud/ Ordre mondial : cinq questions sur un sommet des « Brics » qui s’annonce historique / Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud (les Brics) se retrouvent, ce mardi à Johannesburg, pour un sommet qui s’annonce historique. / Cette rencontre vise à regrouper les pays du Sud global pour établir un nouvel ordre mondial pour en finir avec l’hégémonie des pays du Nord et la suprématie du dollar.
Johannesburg (Afrique du Sud), envoyé spécial.
LORS DE LA RÉUNION DES MINISTRES DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DES BRICS AU CAP (AFRIQUE DU SUD), LE 1er JUIN 2023. PHOTO ANADOLU AGENCY VIA AFP |
Jamais un sommet des cinq pays composant les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) n’avait autant attiré l’attention depuis la création de cette entité politico-administrative. Le thème de ce 15ème sommet s’intitule « Les Brics et l’Afrique : un partenariat pour une croissance mutuellement accélérée, un développement durable et un multilatéralisme inclusif ». Mais les débats attendus dépasseront largement la question du continent africain.
Les décisions qui seront prises pourraient affecter l’ordre mondial, notamment avec l’élargissement de cette structure à de nombreux pays, qui concernera très certainement le contrôle des voies maritimes, terrestres et certains détroits.
Lundi soir, à la veille de son ouverture, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, s’est adressé à la nation. Il a affirmé qu’être membre des Brics avait créé des opportunités positives pour l’Afrique du Sud et avait permis au pays d’avoir une relation stratégique avec la Chine. « Nous voulons construire un partenariat entre les Brics et l’Afrique afin que notre continent puisse ouvrir des opportunités pour accroître le commerce, les investissements et le développement des infrastructures », a-t-il insisté. L’Humanité décrypte pourquoi il s’agit d’un événement mondial.
Comment ont été créés les Brics ?
Il y a d’abord eu des tentatives pour rassembler les pays du Sud et les structurer. En 2001, le président sud-africain Thabo Mbeki avait lancé une telle initiative en invitant les dirigeants de sept pays à venir en Afrique du Sud. Les discussions préparatoires se focalisaient sur le fait que les pays du Sud étaient marginalisés alors que le G7 semblait être le principal organe apte à établir un programme mondial. Cette réunion n’a pas eu lieu à cause des attentats du 11 Septembre.
L’Afrique du Sud s’est alors lancée dans une initiative de moindre envergure avec, en 2003, un partenariat trilatéral avec l’Inde et le Brésil, l’Ipsa. En 2006, les quatre pays Bric (Brésil, Russie, Chine et Inde) ont commencé à se réunir de manière informelle avec la même intention : coordonner les pays du Sud global afin de défendre leurs intérêts.
Les Bric ont été lancés en 2009 et l’Afrique du Sud en est devenue membre à la fin de 2010. Les Bric sont devenus Brics. Depuis, ceux-ci se sont concentrés sur trois piliers de la coopération : les défis politiques et sécuritaires mondiaux, l’architecture économique et financière et, enfin, le renforcement de la coopération entre les cinq pays fondateurs.
Qui participe au sommet ?
Le président brésilien Lula da Silva, le premier ministre indien Narendra Modi, le président chinois Xi Jinping et le président sud-africain Cyril Ramaphosa participeront au sommet qui se tient dans une banlieue huppée de Johannesburg : Sandton. En revanche, le président russe, Vladimir Poutine, n’y participera que de façon virtuelle car il est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes de guerre présumés en Ukraine.
Selon la ministre sud-africaine des Relations internationales et de la Coopération, Naledi Pandor, 67 dirigeants des pays du Sud global ont été invités. Parmi les invités figure le président iranien Ebrahim Raïssi. Mais Pandor a tenu à insister : la participation probable de Raïssi au sommet des Brics ne signifie pas que le bloc devient pro-russe ou anti-occidental.
Cyril Ramaphosa a également invité les dirigeants de 20 organisations internationales, dont le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, et le président de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat.
Pourquoi cela pourrait-être un tournant ?
Cette réunion se déroule alors qu’un certain nombre de pays en développement entendent désormais peser sur les grandes orientations mondiales qui les affectent. Bien qu’invités par les pays occidentaux aux sommets du G7 et du G20, ils veulent se libérer de la mainmise des principales puissances sur les instruments économiques et financiers ainsi que sur les monnaies avec la domination du dollar dans les échanges commerciaux.
Actuellement, le bloc des Brics représente plus de 42% de la population mondiale, 30 % de son territoire, 23 % du PIB mondial et 18 % du commerce mondial. Néanmoins, seulement environ 6 % du commerce total des cinq pays Brics se fait entre eux. Selon le Fonds monétaire international (FMI), ils pourraient représenter un tiers de l’économie mondiale d’ici à 2028.
De fait, c’est bien le concept de « Sud global » qui s’est imposé ces dernières années en faisant référence à des pays relativement pauvres, décrits comme en développement ou émergents. À opposer au « Nord global » composé des États-Unis, de l’Europe et de certains pays riches d’Asie et du Pacifique. Ces évolutions commencent à marquer la géopolitique mondiale. En toute logique, de nombreux pays veulent devenir membres des Brics. De plus, la question du dépassement du dollar ne se fait pas sans contradiction.
Quelle devise pour les échanges ?
L’une des principales réalisations du groupe a été la création de la Nouvelle Banque de développement (NDB), créée en 2015 pour soutenir les projets d’infrastructure et de développement dans les cinq pays et d’autres en développement. Elle est aujourd’hui dirigée par l’ancienne présidente brésilienne, Dilma Rousseff.
De nombreuses rumeurs ont avancé l’idée qu’ une nouvelle monnaie de réserve des Brics, adossée à l’or, était à l’étude et serait annoncée lors du sommet. Anil Sooklal, le conseiller de Cyril Ramaphosa, l’a démentie. Lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères du bloc, les sujets de discussion comprenaient la nécessité pour les Brics d’effectuer des transactions commerciales et financières dans leur propre monnaie.
Il s’agirait donc plutôt d’un nouveau système de paiement commun, qui aurait pour avantage de contourner le dollar tout en développant les échanges entre pays membres.
Qui veut rejoindre les Brics ?
Vingt-trois pays, dont l’Indonésie, l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Argentine, Cuba, le Nigeria, le Venezuela, la Thaïlande et le Vietnam, ont officiellement exprimé leur désir d’y adhérer. Plusieurs autres États, dont les Comores, le Gabon et la République démocratique du Congo (RDC), ont manifesté une volonté informelle de le faire. Les Brics deviendraient alors les Brics +.
Cependant, l’intérêt de cette expansion n’est pas vu de la même manière par les cinq dirigeants, sans parler des critères d’acceptation des candidats. Selon certains diplomates, la Chine et la Russie veulent maintenant élargir le nombre de leurs membres (ce qui n’était pas le cas il y a quelques années), tandis que le Brésil et l’Inde se méfient.
L’Afrique du Sud, elle, se veut prudente comme l’a déclaré Naledi Pandor : « Je me garderai certainement de tout critère d’expansion qui nous mènerait sur une voie où nous contribuerions à accroître le conflit dans la communauté mondiale ou dans n’importe quelle partie du monde. »
La Russie y voit aussi un moyen d’alléger son isolement après l’invasion de l’Ukraine, tandis que la Chine cherche à renforcer son influence géopolitique dans un contexte de tensions croissantes avec les États-Unis au sujet de Taïwan.
LULA EN CHINE DESSIN THIAGO LUCAS |
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