29 août, 2024

RÉSISTER OU SE RENDRE ?

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QUATRIÈME DE COUVERTURE ET COUVERTURE
LULA: BIOGRAPHIE TOME 
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DIPLOMATIQUE
Septembre 2024, page 14, en kiosques / Quand le président «Lula » attendait son arrestation / Résister ou se rendre ? / En 2018, le juge Sergio Moro ordonne la détention de l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva — dit « Lula » — à la suite de sa condamnation dans l’affaire de corruption « Lava Jato ». Accablé, l’entourage du dirigeant est divisé : doit-il se soumettre ou non ? Pour la première fois, un livre retrace cet épisode méconnu d’un calvaire judiciaire dont il sortira blanchi au bout de cinq cent quatre-vingts jours d’emprisonnement. / 

par Fernando Morais  

COUVERTURE LULA:
BIOGRAPHIE TOME
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Le Monde diplomatique Résister ou se rendre ? 

Jeudi 5 avril 2018, siège du syndicat des métallurgistes de São Bernardo do Campo dans l’État de São Paulo (1).

Au deuxième étage, où l’on amène Lula, la seule décision prise à l’unanimité des personnes présentes est qu’il dormira au siège. Le président du syndicat des métallurgistes de l’ABCD [ensemble de municipalités industrielles faisant partie de la région métropolitaine de São Paulo] Moisés Selerges se charge d’improviser un hébergement pour qu’il puisse y passer la nuit. Dans une pièce d’accès difficile (…) au sous-sol du bâtiment (…) il installe un sommier et un matelas double, un oreiller, des draps rayés et un édredon en coton imprimé aux fleurs vertes et bleues. Le syndicaliste fait également un saut jusqu’à l’appartement du dirigeant, où il rassemble deux vêtements de rechange dans un petit sac en plastique brun. Dans la chambre voisine de celle réservée à l’ex-président, on dispose une petite table avec des sandwichs au jambon et au fromage, des canettes de boisson gazeuse, de la bière et de l’eau.

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« DANIEL JADUE GRAN SEÑOR »
RUMBA POR LA LIBERTAD
 DE DANIEL JADUE

RUMBA POR LA LIBERTAD DE DANIEL JADUE
TEXTO CANCIONERO POPULAR, MÚSICA AIDA SUNO

« Certes, ils défendent Lula avec véhémence, au Brésil et à l’étranger, convaincus que celui-ci est victime d’un lawfare (néologisme juridique qui associe les mots law et warfare — loi et guerre —, pour définir l’utilisation fallacieuse de la loi contre un adversaire afin de détruire sa réputation et de délégitimer ses arguments)   » 

Quant à la décision la plus grave et la plus importante — comment réagir à l’ordre d’arrestation —, le proche entourage de Lula est clairement divisé. Les sénateurs Lindbergh Farias, Gleisi Hoffmann, l’avocat Luiz Eduardo Greenhalgh, compagnons de l’ex-président depuis plus de trente ans, et João Pedro Stédile et Guilherme Boulos (2), respectivement du Mouvement des sans-terre (MST) et du Mouvement des sans-toit (MTST), soutiennent l’idée selon laquelle la sentence du juge Sergio Moro devrait être tout simplement ignorée, renvoyant ainsi le problème aux adversaires. Leur seul mot d’ordre : « résister ». D’après eux, les forces de sécurité ne commettraient jamais la folie de massacrer la foule qui protège le siège du syndicat. Transformée en nouvelle planétaire, l’impasse donnerait, selon l’opinion des partisans de la résistance, l’occasion de dénoncer au monde la persécution de leur camarade entreprise par Moro, le ministère public et la police fédérale. Or, même si cette proposition émane de deux chefs de parti et des dirigeants des deux organisations sociales les plus importantes du pays, les avocats Valeska Teixera Martins et Cristiano Zanin Martins sont étonnés de l’entendre. Certes, ils défendent Lula avec véhémence, au Brésil et à l’étranger, convaincus que celui-ci est victime d’un lawfare (néologisme juridique qui associe les mots law et warfare — loi et guerre —, pour définir l’utilisation fallacieuse de la loi contre un adversaire afin de détruire sa réputation et de délégitimer ses arguments), mais ils savent également que le fait de ne pas se plier à l’ordre d’arrestation conduirait fatalement le juge à le considérer comme un fugitif et à décréter son placement en détention provisoire (…).

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« Je suis un bâtisseur de rêves »

Silencieux comme à son habitude, et sans exprimer son opinion à quiconque, l’expérimenté capitaine Valmir Moraes, chef de l’équipe de sécurité personnelle de Lula depuis les années 2000, écoute les discussions avec inquiétude. Il sait que la police fédérale n’a ni la structure ni la formation pour disperser les foules, et craint qu’une confrontation ne débouche sur un carnage, puisqu’un seul coup de feu tiré avec un HK417 [un fusil d’assaut] suffirait à tuer une demi-douzaine de personnes. Tous les acteurs présents ne le savent peut-être pas, mais la police militaire de São Paulo a également été mise en état d’alerte. Le bâtiment du syndicat et les rues autour se remplissent davantage. Les vingt-quatre heures accordées par Moro filent et personne ne semble connaître l’issue du dilemme : l’ex-président résistera-t-il ? Se rendra-t-il pacifiquement à la police ?

Dans la nuit du vendredi 6 avril, quelques heures après l’expiration du mandat de dépôt du juge Sergio Moro. Ce document exigeait de l’ancien président qu’il se présente « volontairement » au siège de la police fédérale de Curitiba pour purger sa peine de douze ans et un mois dans le pénitencier de cette ville du sud du Brésil, capitale de l’État du Paraná.

La nuit est déjà tombée lorsque l’ex-président tire discrètement son collaborateur Marco Aurélio Santana Ribeiro, dit Marcola, par le bras et le conduit dans une pièce vide. Il verrouille la porte de l’intérieur, éteint la lumière et laisse la pièce plongée dans l’obscurité ; l’assistant ne comprend pas ce qui se passe (…). Lula demande : — Marcola, tu m’accompagnes jusqu’au bout ?

— Oui, président, bien sûr.

— Alors pars d’ici sans attirer l’attention, fais ta valise et achète-toi un billet d’avion pour Curitiba. En arrivant là-bas, va voir nos avocats, Luiz Carlos da Rocha et Manoel Caetano, et attends-moi.

Marcola devient alors, outre Moraes, la seule personne à savoir formellement ce que les avocats et certains politiciens pressentent déjà : bien que n’ayant pas respecté le délai imposé par Moro, Lula se pliera au mandat d’arrêt. En fait, même ceux qui ont préconisé une solution radicale reviennent sur terre : s’il y avait 100 000 ou 200 000 personnes dans les rues, et non 10 000, une résistance aurait pu être envisagée. Les syndicalistes plus âgés, échaudés par les grèves successives, ont déjà éprouvé dans leur chair la violence de la troupe de choc, de la cavalerie et des meutes de chiens de la police militaire de São Paulo. Les militants expérimentés, abonnés aux affrontements aux portes des usines, savent que même avec de nombreux blessés, la police antiémeute n’aurait pas beaucoup de mal à disperser la manifestation, à enfoncer les portes du syndicat et à ouvrir la voie à une intervention de la police fédérale.

Samedi 7 avril, siège du syndicat. Lula ne s’est pas encore rendu au siège de la police fédérale. Pourtant l’ancien chef d’État a bien décidé d’accepter son arrestation, mais à ses conditions. C’est une voiture de la police fédérale qui devra venir le chercher ce jour à São Bernardo, parmi les siens. Et après qu’aura été organisée dans les locaux du syndicat une messe en hommage à son épouse, Marisa Léticia, décédée un an plus tôt. Mais également, après que l’ancien ouvrier métallurgiste se sera une dernière fois exprimé librement devant ses partisans, les dirigeants des mouvements sociaux et de la gauche brésilienne…

— Je suis poursuivi pour des crimes que je n’ai pas commis. (…) Laissez-moi vous dire une chose : je vais respecter leur mandat. Et je vais le faire parce que je veux faire un transfert de responsabilité. Ils trouvent que tout ce qui se passe dans ce pays arrive à cause de moi. Ils ont ordonné mon arrestation, mais ils doivent savoir que la mort d’un combattant n’arrête pas la révolution.

— Ne te rends pas ! Ne te rends pas ! Ne te rends pas !

Les voix se bousculent, mais Lula poursuit, désormais sur un ton indiquant que le temps de faire ses adieux est arrivé :

— Je suis un bâtisseur de rêves… J’ai rêvé qu’il était possible de gouverner ce pays en impliquant des millions et des millions de pauvres dans l’économie, dans les universités, en créant des millions et des millions d’emplois dans ce pays. J’ai rêvé qu’il était possible de réduire la mortalité infantile en apportant du lait, des haricots et du riz pour que les enfants puissent manger tous les jours. J’ai rêvé qu’il était possible de prendre les étudiants de la banlieue et de les mettre dans les meilleures universités de ce pays — pour que nous n’ayons pas des juges et des procureurs n’appartenant qu’à la seule élite (…). Ce crime-là, je l’ai commis.

Il est presque 13 heures, l’heure des derniers instants :

— Camarades, je ne peux vous rendre ma gratitude, pour tant de tendresse et de respect que vous m’avez consacrés pendant toutes ces années. (…) Voilà pourquoi, camarades, je vous embrasse. Soyez tranquilles, ce cou ne va pas se courber. Ma mère m’a déjà fait un cou court pour qu’il ne fléchisse pas. Et il ne fléchira pas, parce que j’y vais la tête haute. Je sortirai de là, la poitrine gonflée, parce que je vais prouver mon innocence. Je vous embrasse très fort, camarades, merci. Merci à tous pour l’aide que vous m’avez apportée. Un baiser, mes amis, merci beaucoup.

8 novembre 2019. Lula sort de prison.

Fernando Morais

Auteur de Lula. De la lutte syndicale au combat politique (biographie, tome 1), dont est tiré ce texte, Les Éditions d’Ithaque, Paris, 2024.

Notes :

(1) Les passages en italique sont de la rédaction.

(2) NDLR. En 2018, M. Guilherme Boulos était le dirigeant du Mouvement des sans-toit (MTST). Il est aujourd’hui député du Parti socialisme et liberté (PSOL) et candidat de la gauche à la mairie de São Paulo en 2024.

 

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