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Le MondeINTERNATIONAL / ALLEMAGNE / En Allemagne, le service de renseignement intérieur classe l’AfD comme un parti «extrémiste de droite confirmé » / Après trois ans d’enquête, l’office de protection de la Constitution est convaincu que le parti d’extrême droite a « des aspirations contre l’ordre fondamental libéral et démocratique ». Réagissant à cette décision, qui ouvre la voie à une surveillance accrue, le secrétaire d’État américain Marco Rubio a accusé Berlin de « tyrannie ».
Par Elsa Conesa (Berlin, correspondante)
Publié le 02 mai 2025 / Temps de Lecture 3 min.
mis en sourdine pendant la campagne électorale, le débat sur l’interdiction du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) devrait repartir de plus belle en Allemagne. L’office de protection de la Constitution, agence chargée du renseignement intérieur, a en effet classé, vendredi 2 mai, le mouvement comme « extrémiste de droite confirmé », indiquant que les « indices selon lesquels l’AfD aurait des aspirations contre l’ordre fondamental libéral et démocratique » sont devenus à ses yeux des « certitudes ».
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ALICE WEIDEL, CODIRIGEANTE DU PARTI D'EXTRÊME DROITE ALTERNATIVE POUR L'ALLEMAGNE (AFD), S'ADRESSE AUX DÉLÉGUÉS LORS D'UN CONGRÈS DU PARTI LE 11 JANVIER 2025 À RIESA, DANS L'EST DE L'ALLEMAGNE - PHOTO JENS SCHLUETER - BERLIN |
L’agence enquêtait depuis environ trois ans sur la qualification du parti, arrivé deuxième aux élections du 23 février avec près de 21 % des voix. Elle avait initialement prévu de révéler le fruit de ses investigations fin 2024 avant d’y renoncer, craignant d’interférer avec la campagne qui démarrait du fait de la tenue de ce scrutin anticipé. Peut-être pour les mêmes raisons, elle a finalement publié sa décision à un moment de quasi-vacance du pouvoir à Berlin : la coalition sortante d’Olaf Scholz est sur le départ et le gouvernement du futur chancelier, Friedrich Merz, doit être formellement intronisé mardi 6 mai au Bundestag. L’AfD a néanmoins dénoncé, vendredi, une décision « manifestement motivée par des raisons politiques » et un « coup dur pour la démocratie allemande », rappelant qu’elle demeure en tête des sondages.
L’office de protection de la Constitution précise avoir examiné le programme et les déclarations du parti et de ses dirigeants, ainsi que ses liens avec des acteurs et des groupes d’extrême droite. Son rapport ferait « plus de 1 000 pages », selon le ministère de l’intérieur. L’agence estime, en particulier, que « la conception du peuple basée sur l’ethnie et l’origine qui prévaut au sein du parti n’est pas compatible avec l’ordre fondamental libéral et démocratique ». « L’AfD ne considère pas, par exemple, les citoyens allemands issus de l’immigration de pays à majorité musulmane comme des membres équivalents du peuple allemand défini par le parti en termes ethniques », poursuit-elle, pointant « une agitation continue contre certaines personnes ou groupes de personnes ».
Changer la donne
Cette décision pourrait changer la donne pour la formation d’Alice Weidel, qui a reçu le soutien de l’administration Trump pendant la campagne. « L’Ouest a fait tomber le mur de Berlin. Et il est reconstruit - pas par les Soviets ou les Russes mais par l’establishment allemand », a d’ailleurs réagi le vice-président JD Vance sur le réseau social X vendredi soir, après que le secrétaire d’État américain Marco Rubio a accusé Berlin de « tyrannie ». « C’est la démocratie, a répondu le ministère des affaires étrangères allemand. Notre histoire nous a appris que l’extrêmisme de droite doit être stoppé ».
Jusqu’à présent, seules les fédérations de Thuringe, de Saxe et de Saxe-Anhalt avaient fait l’objet de cette classification, tandis que l’organisation fédérale était considérée comme un « cas suspect ». Concrètement, les services fédéraux pourront surveiller plus facilement l’organisation, avec des moyens étendus, procédant à des écoutes et recrutant des informateurs. Surtout, cette décision pourrait permettre de fonder juridiquement des demandes d’interdiction de l’AfD auprès de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, lesquelles sont très encadrées puisqu’elles ne peuvent émaner que du Bundestag, du Bundesrat ou du gouvernement fédéral. Le chancelier sortant, Olaf Scholz, a mis en garde vendredi, selon le quotidien Bild, contre « une décision précipitée », les juges suprêmes ayant déjà rejeté toutes les demandes récentes d’interdiction.
Le débat resurgit alors même que le Parti chrétien-démocrate (CDU), qui s’apprête à gouverner, est lui-même divisé quant à l’attitude à adopter face à l’AfD, un mouvement qui occupe désormais un quart des sièges au Bundestag, deux fois plus qu’au cours de la législature précédente. Jens Spahn, le futur responsable du groupe parlementaire de la CDU au Bundestag, défend une normalisation des relations plutôt que le maintien strict du « cordon sanitaire » qui prévaut en Allemagne depuis l’après-guerre.
« Il y a une querelle au sein de la CDU entre les fédérations régionales, confirme Ursula Munch, directrice de l’Académie de formation politique de Tutzing, près de Munich. En Saxe, par exemple, les dirigeants sont plus disposés à collaborer avec l’AfD. » L’experte estime néanmoins que l’interdiction serait « un pari risqué ». « Il serait plus intelligent de combattre l’AfD politiquement, car il est difficile d’essayer de faire interdire un parti qui est élu par tant de gens, au risque de le renforcer », juge-t-elle.
Revendiquant plus de 50 000 membres, l’AfD est née dans le sillage de la crise de la dette, en 2013, à l’initiative d’économistes hostiles à la monnaie unique, avant de se déporter vers la droite extrême à la faveur de la crise des réfugiés, en 2015.
Son programme pour les élections de 2025 reprenait ainsi le terme controversé de « remigration », référence explicite à l’expulsion de millions d’immigrés et d’Allemands d’origine étrangère, évoquée il y a plus d’un an lors d’une réunion secrète entre des membres de la mouvance identitaire et plusieurs dirigeants de l’AfD.
Elsa Conesa (Berlin, correspondante)
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