21 novembre, 2025

LES AMBIGUÏTÉS DU MOUVEMENT « GÉNÉRATION Z » AU MEXIQUE

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LORS D’UN RASSEMBLEMENT ORGANISÉ PAR LE MOUVEMENT NOMMÉ
« GÉNÉRATION Z » CONTRE LE GOUVERNEMENT DE LA PRÉSIDENTE MEXICAINE
CLAUDIA SHEINBAUM,  SUR L’AVENUE REFORMA À MEXICO, LE 20 NOVEMBRE 2025.
PHOTO YURI CORTEZ 
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Le Monde

Les ambiguïtés du mouvement « génération Z » au Mexique / Impulsé par un milliardaire en guerre avec le gouvernement mexicain de Claudia Sheinbaum, un mouvement nommé « génération Z » a réuni des dizaines de milliers de personnes lors d’une manifestation contre l’insécurité et la corruption qui s’est tenue le 15 novembre à Mexico et a terminé par de violents affrontements avec la police.

Par Mathieu Tourliere (Mexico, correspondance) Publié le 21 novembre 2025  Temps de Lecture 4 min.


À quelques mètres d’un vendeur à la sauvette qui offre des drapeaux pirates du manga japonais One Piece pour l’équivalent de 1,50 euro, Emanuel Montecristo, un ouvrier du bâtiment de 28 ans, exige du mur de policiers devant lui de laisser passer la petite centaine de manifestants réunie ce jeudi 20 novembre, à Mexico, pour dénoncer la corruption et l’insécurité.

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► À penser en dessin : FENÊTRE SUR COUR

Le jeune est revenu dans le centre-ville de la capitale du Mexique, à plus de deux heures de son quartier dans la périphérie, pour exprimer sa colère. Le visage caché derrière son tee-shirt, il explique que sa mère tenait une petite pharmacie qu’elle a dû fermer après avoir reçu des menaces de mort de racketteurs. « Nous sommes allés voir la police, mais ils nous ont dit que la menace n’était pas sérieuse. J’ai dû me cacher, de peur qu’ils me tuent », dit-il.

Cinq jours auparavant, samedi 15 novembre, Emanuel Montecristo avait participé à la première manifestation de sa vie : un rassemblement convoqué par la « génération Z » sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, pour protester contre le gouvernement de la présidente, Claudia Sheinbaum. Sur l’abdomen, il porte encore la brûlure d’un pétard lancé par un policier lorsque les forces de l’ordre ont violemment dispersé les manifestants, pour un bilan officiel de 120 blessés, dont 84 policiers et 6 journalistes, et de 40 arrestations.

Inexistant il y a encore un mois au Mexique, le mouvement de la « génération Z » est né sur les réseaux sociaux à partir de la mi-octobre, lorsque des comptes anonymes ont relayé des vidéos, créées par intelligence artificielle, qui mêlaient manifestants encagoulés, drapeaux de One Piece – symbole utilisé par les jeunes du Népal lors des soulèvements du mois d’octobre – et images du Palais national de Mexico en feu. Ces comptes invitaient la jeunesse à manifester le 15 novembre pour s’insurger contre les scandales de corruption qui ont entaché des figures de Morena, le parti au pouvoir, et pour exiger la destitution de la présidente de gauche.

Nuire à Claudia Sheinbaum

LE MILLIARDAIRE RICARDO SALINAS PLIEGO
PHOTO FERNANDO RAMÍREZ

Le gouvernement et ses partisans soutiennent que la « génération Z » n’est pas un mouvement spontané, mais le produit d’une campagne lancée par le milliardaire Ricardo Salinas Pliego pour nuire à Claudia Sheinbaum, créditée d’un taux de popularité de 72 %. Son équipe a présenté une enquête démontrant que l’appel à manifester de la « génération Z » avait été amplifié sur les réseaux sociaux par des millions de « bots », des influenceurs et des opposants politiques. Morena a exhibé un contrat de 100 000 euros que le Parti Action nationale (PAN, droite), le principal parti d’opposition, a octroyé, en février, à un porte-parole du mouvement pour des services de « stratégie numérique ».

De nombreux détails avaient déjà interpellé ceux qui s’étaient penchés sur les vidéos : « La musique, les expressions ou les symboles n’étaient clairement pas ceux de la génération Z [les jeunes nés entre 1997 et 2012], mais plutôt de millennials voire de boomeurs [les générations précédentes] ; c’était visiblement le produit d’une agence de marketing politique dans une stratégie pour monter les jeunes contre le gouvernement », soutient l’analyste politique Vanessa Romero.

Le mouvement a pris une nouvelle ampleur le 1er novembre, après le meurtre de Carlos Manzo, le maire de la ville d’Uruapan. Politicien bravache au verbe haut, l’élu s’était séparé de Morena et avait demandé au gouvernement de déployer plus de soldats pour affronter les groupes armés qui terrorisent les habitants de cette ville de l’État du Michoacan (ouest), l’une des principales régions de production d’avocats et de citrons verts du pays. Son assassinat, le septième d’un maire au Mexique en 2025, a secoué l’opinion et ébranlé le gouvernement de Claudia Sheinbaum.

Stratégie payante

Surfant sur cette vague d’indignation, le réseau de la « génération Z » a alors élargi son appel à manifester en incluant la protestation contre le meurtre de Carlos Manzo et l’insécurité. La stratégie s’est avérée payante : ignoré pendant plusieurs semaines, l’appel à manifester a finalement réuni des dizaines de milliers de personnes à Mexico, dont une petite proportion de jeunes. Celle du 20 novembre n’a rassemblé que quelques dizaines de personnes.

L’analyste Carlos Bravo note que de nombreuses personnes ont manifesté pour la première fois le 15 novembre sans savoir qui était à l’origine du mouvement, mais en portant des revendications légitimes, notamment sur la collusion entre les groupes criminels et les gouvernements locaux contrôlés par Morena. « Le gouvernement vient d’une opposition qui s’est forgée dans les manifestations, mais qui invalide constamment les personnes qui protestent contre ses politiques », déplore-t-il.

Ricardo Salinas Pliego, grand promoteur de la manifestation, n’a pas grand-chose à voir avec la génération Z : libertarien autoproclamé proche de certains mouvements d’extrême droite latino-américains, ce milliardaire de 70 ans est le propriétaire de TV Azteca, la deuxième chaîne de télévision du Mexique, qui a couvert les protestations pendant plusieurs heures en continu. Le magnat est aussi propriétaire d’une banque et d’une myriade d’entreprises dans divers secteurs, qu’il a bâties durant plus de trois décennies grâce à des concessions publiques octroyées par les présidents successifs.

« Gauchistes de merde »

Après avoir été l’un des plus proches alliés de l’ancien président Andrés Manuel Lopez Obrador, le mentor politique de Claudia Sheinbaum, Ricardo Salinas a violemment rompu avec « AMLO » en 2024, au sujet des quelque 2 milliards d’euros que le service des impôts réclame à ses entreprises depuis plus de dix ans, et est devenu l’un des plus féroces détracteurs du gouvernement.

Depuis, l’homme d’affaires et ses médias attaquent inlassablement les cadres de Morena, qu’il traite de « gauchistes de merde » – une expression empruntée au président argentin, Javier Milei – et qu’il accuse d’instaurer un « narcogouvernement » qui pousserait le Mexique vers une « dictature communiste » comme à Cuba, au Venezuela, au Nicaragua ou en Corée du Nord. Ricardo Salinas rêve désormais d’un destin à la Donald Trump : caressant une candidature pour l’élection présidentielle de 2030, il se présente comme le seul homme capable de battre Morena dans les urnes en ralliant les partis d’opposition et les Mexicains mécontents.

Mathieu Tourliere (Mexico, correspondance)