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UNE DU « LE MONDE DIPLOMATIQUE »
DU 2025 / 11
Le Monde
DiploNovembre 2025, page 1 / Il mérite le Nobel ! / Éditorial, par Benoît Bréville / Théoricien de la « diplomatie du gourdin », le président Theodore Roosevelt considérait l’Amérique latine comme une « arrière-cour » où les États-Unis pouvaient intervenir à leur guise. À la moindre menace contre les intérêts américains, il envoyait ses marines — au Honduras, en République dominicaine, à Cuba. En 1903, Washington parraine un mouvement sécessionniste au Panamá, alors province colombienne, afin de s’assurer le contrôle du futur canal. Trois ans plus tard, auréolé de sa médiation dans le conflit russo-japonais, Roosevelt reçoit le prix Nobel de la paix.
Éditorial, par Benoît Bréville
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Henry Kissinger, conseiller à la sécurité nationale de 1969 à 1975, était lui aussi un adepte de la déstabilisation. « Je ne vois pas pourquoi nous resterions bras croisés lorsqu’un pays devient communiste à cause de l’irresponsabilité de son propre peuple », estimait-il en juin 1970 à propos du Chili, où Salvador Allende menaçait de remporter l’élection présidentielle. Le dirigeant socialiste est néanmoins élu. Kissinger ne voit alors plus qu’une solution : le coup d’État militaire, « mais en passant par des sources chiliennes et en adoptant une attitude discrète ». Allende est renversé le 11 septembre 1973. Une dictature sanguinaire le remplace. Et Kissinger remporte le Nobel de la paix un mois plus tard, pour avoir signé un cessez-le-feu avec le Vietnam après avoir embrasé toute l’Indochine.
M. Barack Obama avait seulement soutenu timidement un coup d’État contre le président hondurien Manuel Zelaya quand il fut couronné en octobre 2009, peu après son arrivée à la Maison Blanche. Mais il n’a pas tardé à se mettre au niveau de ses prédécesseurs, en bombardant l’Afghanistan, l’Irak, la Libye et la Syrie ; en développant un programme d’exécutions extrajudiciaires — souvent sur la base de simples soupçons, loin de tout théâtre de guerre déclarée — au Yémen, au Pakistan, en Somalie.
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M. Donald Trump pouvait donc légitimement nourrir quelques espoirs pour l’édition 2025. Lui aussi déploie ses troupes dans les Caraïbes. Lui aussi pratique le chantage à l’aide américaine, en menaçant l’Argentine d’asphyxie financière en cas de revers électoral de M. Javier Milei. Lui aussi multiplie les assassinats (de moins en moins) ciblés au nom de la lutte contre le terrorisme — c’est ainsi qu’il justifie l’élimination en pleine mer de citoyens vénézuéliens, accusés sans preuve de trafic de drogue. Et lui aussi planifie des coups d’État contre les gouvernements récalcitrants, comme au Venezuela où il a autorisé la Central Intelligence Agency (CIA) à renverser le président Nicolás Maduro.
Tout cela n’a pas suffi. Le comité norvégien lui a préféré Mme Maria Corina Machado, une opposante vénézuélienne d’extrême droite qui appelle depuis vingt-cinq ans à une intervention étrangère contre son propre pays, et qui, sitôt récompensée, s’est empressée de féliciter M. Benyamin Netanyahou pour ses actions à Gaza. M. Trump a noyé sa déception en lançant une nouvelle croisade, contre la Colombie cette fois. Il peaufine son curriculum vitæ pour la cuvée 2026.
Depuis cinquante ans, le comité Nobel rejette les candidatures de dissidents du monde occidental. MM. Julian Assange ou Edward Snowden, par exemple, ont œuvré à la paix autrement que Mme Machado. Mais ils présentent ce travers rédhibitoire : ils balaient devant leur porte — la nôtre.
Benoît Bréville
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